En vue des Tian Shan :
« Nous parcourons pendant trois jours ces steppes désolées. Les chevaux avancent sans mesurer l’espace, ils affrontent les kilomètres en quête d’herbe, en quête d’eau, raclant l’horizon qui s’étale sans vergogne jusqu’aux premiers pics des Tian Shan. Ces quêtes font naître, à la nuit tombante, des mirages : les belles herbes qui affleurent les marécages créent l’illusion d’une prairie opulente, mais nos chevaux s’y engluent jusqu’au ventre ; les pierres scintillantes des rivières asséchées nous font croire que l’eau y abonde. Sur la route des illusions, nous confondons autos et vaches, villages et troupeaux, hommes et pierres.
Au village d’Ak Beijit, nous quittons les routes de la soie. Rien ne sert de courir après les rêves. Nous fuyons dans les montagnes et les gorges éloignées en direction de la vallée de l’Arpa, voie d’accès aux plaines chaudes et fertiles du Ferghana. Nous suivons les rivières asséchées qui tracent un sillon dans les montagnes et abreuvent les vallées rocailleuses à la fonte des neiges. Au mois d’août, l’herbe est sèche. Nos chevaux avancent vers des territoires plus prospères. Seuls le spectacle des adrets verdoyants et l’espoir qu’après le désert, il ne peut y avoir qu’une herbe grasse, les incitent à poursuivre toujours plus avant cette aventure.
La vallée de l’Arpa est un immense plateau, qui s’étire à l’est vers la chaîne du Ferghana et est bordé au sud par les cimes enneigées des Tian Shan qui dessinent la frontière avec la Chine. Au sortir d’une vallée dérobée se trouve un poste avancé aux confins de l’empire, à l’allure de bivouac de berger. On y pratique la chasse aux clandestins et on piège ceux qui tentent d’y pénétrer par des voies dérobées. Un militaire posté en haut d’une colline scrute le monde à travers ses jumelles, pendant que les autres patrouillent autour d’une tente rectangulaire. Leur campement est installé juste après un virage de sorte que, dès que l’on débouche dans la vallée, il n’y a plus aucun moyen de l’éviter. À peine arrivés, nous sommes cueillis.
“Qu’est-ce qui se passe ?
— Passeport, nous ordonne un des hommes.
— Et toi, tu les as, tes papiers ?”
Avec leurs treillis dépenaillés et leurs têtes de trafiquants, je suis loin d’être certain d’avoir en face de moi des militaires. Car ici, bergers, militaires et marchands de chyrdak portent la même tenue de camouflage.
“Va chercher le fusil”, ordonne le chef à l’un de ses gars qui revient muni d’un AK47. C’est assez convaincant. “Descendez de cheval ! Attachez-les là-bas !” dit-il en indiquant les piquets de bois qui retiennent la tente.
L’attente étant un peu longue, Tsigane, Moujik II et Musicien des steppes se mettent à déraciner un à un les piquets. Nous les replantons aussi vite que possible avant que la tente ne s’écroule sur le chef, ce qui pourrait avoir des conséquences diplomatiques dramatiques. Ce dernier ne tarde pas à ressortir avec nos passeports : “Vous êtes ici dans une zone frontalière. Un de mes hommes va vous conduire auprès du poste central de Kargentash.”
Nous connaissions l’existence de ce poste, dont le franchissement requiert un permis. C’est pour cette raison que nous avons coupé par les montagnes. Mais il n’était pas prévu que nous tombions sur des gardes-frontière à cet endroit-là. »
Dans la solitude du Pamir (p. 267-269)
Un bouzkachi en guise d’adieux (p. 384-387)
Extrait court
« Nous parcourons pendant trois jours ces steppes désolées. Les chevaux avancent sans mesurer l’espace, ils affrontent les kilomètres en quête d’herbe, en quête d’eau, raclant l’horizon qui s’étale sans vergogne jusqu’aux premiers pics des Tian Shan. Ces quêtes font naître, à la nuit tombante, des mirages : les belles herbes qui affleurent les marécages créent l’illusion d’une prairie opulente, mais nos chevaux s’y engluent jusqu’au ventre ; les pierres scintillantes des rivières asséchées nous font croire que l’eau y abonde. Sur la route des illusions, nous confondons autos et vaches, villages et troupeaux, hommes et pierres.
Au village d’Ak Beijit, nous quittons les routes de la soie. Rien ne sert de courir après les rêves. Nous fuyons dans les montagnes et les gorges éloignées en direction de la vallée de l’Arpa, voie d’accès aux plaines chaudes et fertiles du Ferghana. Nous suivons les rivières asséchées qui tracent un sillon dans les montagnes et abreuvent les vallées rocailleuses à la fonte des neiges. Au mois d’août, l’herbe est sèche. Nos chevaux avancent vers des territoires plus prospères. Seuls le spectacle des adrets verdoyants et l’espoir qu’après le désert, il ne peut y avoir qu’une herbe grasse, les incitent à poursuivre toujours plus avant cette aventure.
La vallée de l’Arpa est un immense plateau, qui s’étire à l’est vers la chaîne du Ferghana et est bordé au sud par les cimes enneigées des Tian Shan qui dessinent la frontière avec la Chine. Au sortir d’une vallée dérobée se trouve un poste avancé aux confins de l’empire, à l’allure de bivouac de berger. On y pratique la chasse aux clandestins et on piège ceux qui tentent d’y pénétrer par des voies dérobées. Un militaire posté en haut d’une colline scrute le monde à travers ses jumelles, pendant que les autres patrouillent autour d’une tente rectangulaire. Leur campement est installé juste après un virage de sorte que, dès que l’on débouche dans la vallée, il n’y a plus aucun moyen de l’éviter. À peine arrivés, nous sommes cueillis.
“Qu’est-ce qui se passe ?
— Passeport, nous ordonne un des hommes.
— Et toi, tu les as, tes papiers ?”
Avec leurs treillis dépenaillés et leurs têtes de trafiquants, je suis loin d’être certain d’avoir en face de moi des militaires. Car ici, bergers, militaires et marchands de chyrdak portent la même tenue de camouflage.
“Va chercher le fusil”, ordonne le chef à l’un de ses gars qui revient muni d’un AK47. C’est assez convaincant. “Descendez de cheval ! Attachez-les là-bas !” dit-il en indiquant les piquets de bois qui retiennent la tente.
L’attente étant un peu longue, Tsigane, Moujik II et Musicien des steppes se mettent à déraciner un à un les piquets. Nous les replantons aussi vite que possible avant que la tente ne s’écroule sur le chef, ce qui pourrait avoir des conséquences diplomatiques dramatiques. Ce dernier ne tarde pas à ressortir avec nos passeports : “Vous êtes ici dans une zone frontalière. Un de mes hommes va vous conduire auprès du poste central de Kargentash.”
Nous connaissions l’existence de ce poste, dont le franchissement requiert un permis. C’est pour cette raison que nous avons coupé par les montagnes. Mais il n’était pas prévu que nous tombions sur des gardes-frontière à cet endroit-là. »
(p. 179-181)
Dans la solitude du Pamir (p. 267-269)
Un bouzkachi en guise d’adieux (p. 384-387)
Extrait court