En selle :
« Un matin de juin, après deux semaines d’attente et beaucoup d’errance, le passeport vétérinaire arrive enfin. Tout est réglé. Ma retraite dans l’Altaï s’achève. Le chef de la police revient m’offrir comme promis une cravache en cuir tressé, sorte de kamtcha mongole : “Tiens ! C’est pour atteindre plus rapidement l’Afghanistan.”
Je rassemble rapidement mes affaires et harnache les chevaux. Je bâte le sept ans et selle la monture diplomatique. C’est la première fois que je lui fixe les sacoches chargées. Apeuré d’être ainsi pris en sandwich, il rue, tire sur la longe et parvient à coups de sauts de mouton à en décrocher partiellement une, qui pend sur l’un de ses flancs. Les Kazakhs se mettent à ronronner à l’unisson, technique pour calmer une bête énervée. Je le rattrape, le débâte et recommence l’opération en le gardant libre. Quand on lui laisse la liberté de fuir – principal moyen de défense des chevaux –, son appréhension diminue. Je fixe de nouveau les sacoches, qu’il accepte sans broncher.
Alexeï, Bokhat et Akhat se sont réunis avec leurs épouses pour le départ. Alexeï me donne les dernières recommandations, quelques astuces d’agent de renseignement pour bluffer l’adversaire et une peau de mouton brun pour que mon postérieur supporte les kilomètres. J’aurais préféré une peau de loup, qui m’aurait donné un petit air d’Alexandre le Grand – bien que ce dernier fût assis sur une peau de guépard. Mais la peau de mouton est un bon début ! Tatiana me remet une pierre turquoise censée me porter bonheur. Je prends un dernier thé puis monte en selle. Davaï ! La voie est libre, et je m’engouffre sur les pistes du Turkestan.
Les démons de l’aventure vont enfin être rassasiés. Ils ne me rongeront plus de l’intérieur. Je regarde, le vague à l’âme, la ferme qui se perd dans le paysage, tous ces gens qui m’ont accueilli sans me connaître et que je ne reverrai peut-être jamais. Quittant mon havre, je hurle de bonheur, ivre de la joie de me sentir l’homme le plus libre du monde. Cela fait longtemps que je n’ai pas été aussi heureux. Je deviens un peu plus cheval. Désormais, je passerai la plupart de mes journées en selle. Mon lot quotidien sera les vastes steppes, les montagnes aux sommets enneigés et les aventures de la route. Enfin les mois d’errance, sur des pistes inconnues, avec mes chevaux pour seuls compagnons ! »
En vue des Tian Shan (p. 179-181)
Dans la solitude du Pamir (p. 267-269)
Un bouzkachi en guise d’adieux (p. 384-387)
« Un matin de juin, après deux semaines d’attente et beaucoup d’errance, le passeport vétérinaire arrive enfin. Tout est réglé. Ma retraite dans l’Altaï s’achève. Le chef de la police revient m’offrir comme promis une cravache en cuir tressé, sorte de kamtcha mongole : “Tiens ! C’est pour atteindre plus rapidement l’Afghanistan.”
Je rassemble rapidement mes affaires et harnache les chevaux. Je bâte le sept ans et selle la monture diplomatique. C’est la première fois que je lui fixe les sacoches chargées. Apeuré d’être ainsi pris en sandwich, il rue, tire sur la longe et parvient à coups de sauts de mouton à en décrocher partiellement une, qui pend sur l’un de ses flancs. Les Kazakhs se mettent à ronronner à l’unisson, technique pour calmer une bête énervée. Je le rattrape, le débâte et recommence l’opération en le gardant libre. Quand on lui laisse la liberté de fuir – principal moyen de défense des chevaux –, son appréhension diminue. Je fixe de nouveau les sacoches, qu’il accepte sans broncher.
Alexeï, Bokhat et Akhat se sont réunis avec leurs épouses pour le départ. Alexeï me donne les dernières recommandations, quelques astuces d’agent de renseignement pour bluffer l’adversaire et une peau de mouton brun pour que mon postérieur supporte les kilomètres. J’aurais préféré une peau de loup, qui m’aurait donné un petit air d’Alexandre le Grand – bien que ce dernier fût assis sur une peau de guépard. Mais la peau de mouton est un bon début ! Tatiana me remet une pierre turquoise censée me porter bonheur. Je prends un dernier thé puis monte en selle. Davaï ! La voie est libre, et je m’engouffre sur les pistes du Turkestan.
Les démons de l’aventure vont enfin être rassasiés. Ils ne me rongeront plus de l’intérieur. Je regarde, le vague à l’âme, la ferme qui se perd dans le paysage, tous ces gens qui m’ont accueilli sans me connaître et que je ne reverrai peut-être jamais. Quittant mon havre, je hurle de bonheur, ivre de la joie de me sentir l’homme le plus libre du monde. Cela fait longtemps que je n’ai pas été aussi heureux. Je deviens un peu plus cheval. Désormais, je passerai la plupart de mes journées en selle. Mon lot quotidien sera les vastes steppes, les montagnes aux sommets enneigés et les aventures de la route. Enfin les mois d’errance, sur des pistes inconnues, avec mes chevaux pour seuls compagnons ! »
(p. 30-31)
En vue des Tian Shan (p. 179-181)
Dans la solitude du Pamir (p. 267-269)
Un bouzkachi en guise d’adieux (p. 384-387)