Traque de météorites :
« La quête de météorites est addictive et passionnelle, plus encore que celle des minéraux et fossiles, sans doute parce que les météorites sont semées sur la surface de la Terre et que leur recherche semble relever du hasard, alors qu’en fait il n’en est rien. Le chasseur, ou le cueilleur, travaille avec des cartes, des relevés GPS, des archives de chutes observées ou supposées, des tirages obtenus à partir d’images satellites prises sur Google Earth, mettant en évidence des cratères d’impact ou des terrains propices. Et une fois sur site, il y a concurrence entre les candidats, une course contre la montre. C’est à qui en ramassera le plus. Les météorites semblent posées pour qu’on les trouve, comme dans un jeu assez enfantin rappelant la chasse aux œufs de Pâques. Elles font redevenir l’homme enfant. Cette quête est tellement chargée de sens, avec l’espoir de trouver la pierre qui contiendra la preuve irréfutable d’une vie extraterrestre, qu’elle conduit à des aveuglements et des acharnements absurdes. Ainsi, en 2014, je partais avec un ami sur la trace d’une chute oubliée, celle de Boukhara, en Ouzbékistan, une rare CV3 tombée en 2001, porteuse, qui sait, des fameux indices tant attendus. Problème, cette chute observée dans un village que nous retrouvons à 7 kilomètres de Boukhara, au milieu des champs de coton, n’a jamais été vraiment étudiée. Seuls cinq morceaux ont été trouvés. Mais aucune photo, aucune trace de ces exemplaires. Et pour cause : la météorite est arrivée sur Terre au plus fort de la vague d’attentats ayant terrorisé Tachkent, la capitale du pays. S’ensuivit une campagne de répression sanglante menée par Islam Karimov, tyran plus que président, mis aux rênes du pouvoir par l’Union soviétique au début des années 1990. La CV3 avait ainsi disparu de la sphère médiatique, et personne ne semblait plus capable de la pister. C’était sans compter sur notre acharnement et notre perspicacité. Sur un pont à l’entrée du village, nous ramassons un caillou étrange, hautement magnétique, de grande densité, présentant apparemment une croûte de fusion et des chondres. Une roche sans aucune ressemblance avec celles que nous découvrons alentour. Nous sommes fous de joie, et oublions de nous demander comment un caillou a pu rester là, durant treize ans, sans qu’un enfant ait eu envie de le jeter dans l’eau ! La conviction d’avoir retrouvé l’emplacement exact de la chute, GPS en main, et un précieux fragment occultèrent toute autre hypothèse. Pour renforcer encore mes certitudes, nous découvrons un peu par hasard, la veille de notre retour en France, la masse principale de cette CV3 exposée dans une vitrine du musée de l’Histoire des peuples d’Ouzbékistan de Tachkent. “Exactement identique à la nôtre”, soufflai-je à mon compagnon de prospection qui, lui, paraissait dubitatif. Il avait raison. Les analyses chimiques prouvèrent par la suite qu’il s’agissait d’une roche terrestre. Mais je voulais tant que cette météorite fût celle que nous cherchions que chaque nouvel indice alimentait ma croyance.
Les fossiles, eux aussi, ont longtemps alimenté les mythes. Dès les VIe et Ve siècles avant notre ère, Pythagore et Hérodote comprirent que les coquillages pétrifiés étaient des restes d’animaux ayant vécu autrefois dans des mers beaucoup plus étendues. Certains savants ensuite, comme Léonard de Vinci, leur donnèrent raison. Mais les créationnistes leur répondirent plus tard que les fossiles étaient des créatures avortées de Dieu. Sans doute étaient-ils aussi convaincus que je l’étais avec ma CV3, jusqu’à ce que je sois confronté au verdict de la science. Pour les Chinois, les œufs de dinosaure étaient des œufs de dragon, collectés et adorés comme tels. Reste que le fond même de toutes ces croyances, ce qui les lie, les coordonne et leur donne cohérence, se nomme “permanence” : la roche comme indéfectible miroir du temps qui passe. »
Pierres de rêve (p. 44-45)
Immensité (p. 64-68)
Extrait court
« La quête de météorites est addictive et passionnelle, plus encore que celle des minéraux et fossiles, sans doute parce que les météorites sont semées sur la surface de la Terre et que leur recherche semble relever du hasard, alors qu’en fait il n’en est rien. Le chasseur, ou le cueilleur, travaille avec des cartes, des relevés GPS, des archives de chutes observées ou supposées, des tirages obtenus à partir d’images satellites prises sur Google Earth, mettant en évidence des cratères d’impact ou des terrains propices. Et une fois sur site, il y a concurrence entre les candidats, une course contre la montre. C’est à qui en ramassera le plus. Les météorites semblent posées pour qu’on les trouve, comme dans un jeu assez enfantin rappelant la chasse aux œufs de Pâques. Elles font redevenir l’homme enfant. Cette quête est tellement chargée de sens, avec l’espoir de trouver la pierre qui contiendra la preuve irréfutable d’une vie extraterrestre, qu’elle conduit à des aveuglements et des acharnements absurdes. Ainsi, en 2014, je partais avec un ami sur la trace d’une chute oubliée, celle de Boukhara, en Ouzbékistan, une rare CV3 tombée en 2001, porteuse, qui sait, des fameux indices tant attendus. Problème, cette chute observée dans un village que nous retrouvons à 7 kilomètres de Boukhara, au milieu des champs de coton, n’a jamais été vraiment étudiée. Seuls cinq morceaux ont été trouvés. Mais aucune photo, aucune trace de ces exemplaires. Et pour cause : la météorite est arrivée sur Terre au plus fort de la vague d’attentats ayant terrorisé Tachkent, la capitale du pays. S’ensuivit une campagne de répression sanglante menée par Islam Karimov, tyran plus que président, mis aux rênes du pouvoir par l’Union soviétique au début des années 1990. La CV3 avait ainsi disparu de la sphère médiatique, et personne ne semblait plus capable de la pister. C’était sans compter sur notre acharnement et notre perspicacité. Sur un pont à l’entrée du village, nous ramassons un caillou étrange, hautement magnétique, de grande densité, présentant apparemment une croûte de fusion et des chondres. Une roche sans aucune ressemblance avec celles que nous découvrons alentour. Nous sommes fous de joie, et oublions de nous demander comment un caillou a pu rester là, durant treize ans, sans qu’un enfant ait eu envie de le jeter dans l’eau ! La conviction d’avoir retrouvé l’emplacement exact de la chute, GPS en main, et un précieux fragment occultèrent toute autre hypothèse. Pour renforcer encore mes certitudes, nous découvrons un peu par hasard, la veille de notre retour en France, la masse principale de cette CV3 exposée dans une vitrine du musée de l’Histoire des peuples d’Ouzbékistan de Tachkent. “Exactement identique à la nôtre”, soufflai-je à mon compagnon de prospection qui, lui, paraissait dubitatif. Il avait raison. Les analyses chimiques prouvèrent par la suite qu’il s’agissait d’une roche terrestre. Mais je voulais tant que cette météorite fût celle que nous cherchions que chaque nouvel indice alimentait ma croyance.
Les fossiles, eux aussi, ont longtemps alimenté les mythes. Dès les VIe et Ve siècles avant notre ère, Pythagore et Hérodote comprirent que les coquillages pétrifiés étaient des restes d’animaux ayant vécu autrefois dans des mers beaucoup plus étendues. Certains savants ensuite, comme Léonard de Vinci, leur donnèrent raison. Mais les créationnistes leur répondirent plus tard que les fossiles étaient des créatures avortées de Dieu. Sans doute étaient-ils aussi convaincus que je l’étais avec ma CV3, jusqu’à ce que je sois confronté au verdict de la science. Pour les Chinois, les œufs de dinosaure étaient des œufs de dragon, collectés et adorés comme tels. Reste que le fond même de toutes ces croyances, ce qui les lie, les coordonne et leur donne cohérence, se nomme “permanence” : la roche comme indéfectible miroir du temps qui passe. »
(p. 74-78)
Pierres de rêve (p. 44-45)
Immensité (p. 64-68)
Extrait court