En quête de dévoilement :
« Autre secret des relations interpersonnelles livré par le stop : entrer en communication. En voiture avec un inconnu, pour quelques minutes ou quelques heures, il faut plonger à la découverte de l’autre. Sinon quel intérêt y aurait-il à voyager avec tant de contraintes ? Au départ, l’exercice est difficile. L’échange peut sembler plat ou banal. On a tant l’habitude de ces conversations creuses, durant lesquelles on disserte de la pluie et du beau temps, de politique et autres marronniers, sans réellement explorer les thèmes qui nous sont chers, qui nous animent et qu’il est si malaisé de dévoiler. Des questions aussi peu originales que “Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?” ou “Vous êtes d’où ?” remplissent l’habitacle. Cela sonne faux, comme les tentatives malhabiles afin de savoir qui est vraiment votre conducteur. Fort heureusement, avec un peu de pratique, ces digues sont vite franchies. Et il n’est pas rare de tomber sur des personnes qui se livrent tout de go, révélant des aspects profonds de leur personnalité. Ce fut le cas de l’homme qui nous prit, un bon ami et moi, en bord de route à la sortie de Lyon. Sans que nous ayons le temps de comprendre, la discussion bascule dans l’intime. L’homme nous raconte simplement son histoire, poignante. Suite à un accident vasculaire, il a perdu la mobilité de la moitié de son visage. Après quoi, c’est son travail qu’il a perdu, puis son couple s’est dissous. En peu de temps, tout s’est effondré autour de lui, à cause de cette absence d’expressivité faciale. Il a fallu que des amis l’invitent dans un club libertin pour qu’il sorte de sa longue dépression. Là, enfin, il a découvert un milieu dans lequel il ne se sent pas jugé, où les relations lui semblent moins artificielles. Il a maintenant repris goût à la vie, une vie plus authentique, dégagée d’un certain nombre de procédés et d’illusions. La discussion ainsi engagée s’est prolongée plusieurs dizaines de minutes, qui nous ont paru des heures tant elles étaient denses : nous nous sommes mis naturellement à parler de cœur à cœur, presque sans filtre. Au départ, cette capacité à créer de l’intensité dans la rencontre me laissait perplexe. Elle m’attirait, bien entendu, mais je me sentais étranger à elle. Quel étonnant clin d’œil de la vie : cette recherche est aujourd’hui au cœur de mon métier de réalisateur ! Lors de chaque interview que je réalise, je recherche instinctivement des pépites de vérité, ces moments où mon interlocuteur met en mots ce qu’il a d’essentiel. Progressivement, à bord de véhicules divers, j’ai découvert un secret simple : c’est en se dévoilant que l’on invite l’autre à se dévoiler. Si la théorie est évidente, la mise en pratique se heurte à la peur de se mettre à nu devant un étranger. Cet instinct de protection est si fort qu’il barricade notre petit moi, le préservant de toute intrusion et fermant par là même toute possibilité de discussion, toute écoute empathique de l’autre. La curiosité est alors une bonne alliée pour grandir. Ayant expérimenté l’intensité des rencontres permise par cette simplicité volontaire, j’ai aussi appris à me dévoiler plus facilement. Exprimant mes sentiments ou évoquant mes histoires de vie marquantes, j’invite mon interlocuteur à en faire autant, à se raconter sans peur d’être jugé dans cette intimité. »
Synchronicités providentielles (p. 27-31)
Le stop comme respiration : entre intensité et vide (p. 54-59)
Extrait court
« Autre secret des relations interpersonnelles livré par le stop : entrer en communication. En voiture avec un inconnu, pour quelques minutes ou quelques heures, il faut plonger à la découverte de l’autre. Sinon quel intérêt y aurait-il à voyager avec tant de contraintes ? Au départ, l’exercice est difficile. L’échange peut sembler plat ou banal. On a tant l’habitude de ces conversations creuses, durant lesquelles on disserte de la pluie et du beau temps, de politique et autres marronniers, sans réellement explorer les thèmes qui nous sont chers, qui nous animent et qu’il est si malaisé de dévoiler. Des questions aussi peu originales que “Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?” ou “Vous êtes d’où ?” remplissent l’habitacle. Cela sonne faux, comme les tentatives malhabiles afin de savoir qui est vraiment votre conducteur. Fort heureusement, avec un peu de pratique, ces digues sont vite franchies. Et il n’est pas rare de tomber sur des personnes qui se livrent tout de go, révélant des aspects profonds de leur personnalité. Ce fut le cas de l’homme qui nous prit, un bon ami et moi, en bord de route à la sortie de Lyon. Sans que nous ayons le temps de comprendre, la discussion bascule dans l’intime. L’homme nous raconte simplement son histoire, poignante. Suite à un accident vasculaire, il a perdu la mobilité de la moitié de son visage. Après quoi, c’est son travail qu’il a perdu, puis son couple s’est dissous. En peu de temps, tout s’est effondré autour de lui, à cause de cette absence d’expressivité faciale. Il a fallu que des amis l’invitent dans un club libertin pour qu’il sorte de sa longue dépression. Là, enfin, il a découvert un milieu dans lequel il ne se sent pas jugé, où les relations lui semblent moins artificielles. Il a maintenant repris goût à la vie, une vie plus authentique, dégagée d’un certain nombre de procédés et d’illusions. La discussion ainsi engagée s’est prolongée plusieurs dizaines de minutes, qui nous ont paru des heures tant elles étaient denses : nous nous sommes mis naturellement à parler de cœur à cœur, presque sans filtre. Au départ, cette capacité à créer de l’intensité dans la rencontre me laissait perplexe. Elle m’attirait, bien entendu, mais je me sentais étranger à elle. Quel étonnant clin d’œil de la vie : cette recherche est aujourd’hui au cœur de mon métier de réalisateur ! Lors de chaque interview que je réalise, je recherche instinctivement des pépites de vérité, ces moments où mon interlocuteur met en mots ce qu’il a d’essentiel. Progressivement, à bord de véhicules divers, j’ai découvert un secret simple : c’est en se dévoilant que l’on invite l’autre à se dévoiler. Si la théorie est évidente, la mise en pratique se heurte à la peur de se mettre à nu devant un étranger. Cet instinct de protection est si fort qu’il barricade notre petit moi, le préservant de toute intrusion et fermant par là même toute possibilité de discussion, toute écoute empathique de l’autre. La curiosité est alors une bonne alliée pour grandir. Ayant expérimenté l’intensité des rencontres permise par cette simplicité volontaire, j’ai aussi appris à me dévoiler plus facilement. Exprimant mes sentiments ou évoquant mes histoires de vie marquantes, j’invite mon interlocuteur à en faire autant, à se raconter sans peur d’être jugé dans cette intimité. »
(p. 59-61)
Synchronicités providentielles (p. 27-31)
Le stop comme respiration : entre intensité et vide (p. 54-59)
Extrait court