Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Vie des cimetières (La)
  • Éclat du rire (L’)
  • Clameur du monde (La)
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • Engagement humanitaire (L’)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Changer le monde :

« Avec un rire comme un soleil qui se lève sur le paysage des lèvres, avec un rire d’orage à déraciner les chaînes de télévision, avec un rire à dégorger les bœufs, à décorer les œufs, un rire à fendre les bouteilles et qu’y coule un nouveau vin d’ivresse, avec un rire comme un ruisseau qui traverse nos jardins de ronces et chante l’infini (oui, oui, toujours, toujours l’infini s’enfuit), avec un rire en forêt de dents, en éclats d’écorce, en coup de hache dans le désespoir qui nous emprisonne la cage thoracique, avec un rire comme la pluie tombe sur les ridicules, sur nos masques quotidiens, sur les toits pollués de cérumen, sur les banques empestées de flux, sur nos cuisines équipées ultramodernes de l’an dernier (ô catalepsie volontaire, ô obsolescence programmée), avec un rire comme fourmilière sur la main vous le sentez sur le menton, dans la bouche et dans le nez, avec ce rire-là qui nous fait éternuer pour empêcher la bétonisation de nos corps, ce mouvement de voix et du menton, qui nous laisse l’impression d’être vivants, invités du soleil et du ciel immenses, avec ce rire-là, nous changerons le monde. Car il va vers la tombe, il le sait, le monde, il ne le garde pas pour lui, il le crie et le dit : “Avant, c’était la nuit, avant c’était le néant. Et nous y retournons puisque les dieux n’existent pas. Achetez, accumulez, empilez, entassez pour vos enfants, qui en feront autant ! Profitez des promotions, profitez de l’instant et laissez tomber toute culpabilité écologique ! Ne riez pas, Mesdames et Messieurs, ne riez pas, c’est sérieux. Le monde des affaires doit rester sérieux. Laissez aux petiots le loisir des cirques, laissez aux enfants les clowns, laissez aux marmots le théâtre, oubliez les poissons d’avril et les farces entre collègues ! Et gardez au chaud la télévision ! Autrement dit : connectons toutes les machines à laver les cerveaux.” Avec ce rire-là, le rire de nos bébés (joie pure comme une eau claire où se reflète le soleil), nous enterrerons en musique les préceptes d’un monde mort de peine capitaliste.
En conclusion, “rire” en français s’écrit en quatre lettres. Une lettre de réclamation : le monde comme il est ne me convient pas bien. Mieux vaut s’en dilater la rate que de lever le poing. C’est un voyage à pied qui éloigne la colère. Une lettre philosophique : pour quoi, comment ? La réflexion se fait voix et sourcils, joues et lèvres ouvertes. Le cerveau laisse penser la peau. Un voyage en machine sans pensées de Machin. Une lettre d’adieu : rire nous fait quitter la Terre, la réalité difforme et perdre la mémoire de nos revanches idiotes. Un voyage dans un train qui ne se retourne pas. Une lettre d’amour, enfin : nous voilà tous ensemble, ensemble, ensemble dans un souffle de joie, comme voyageurs cosmonautes entre lune et soleil.
Le rire cosmonaute, justement, parlons-en. Par un autre regard encore, j’aperçois trois types de rires différents de peau : le rire cosmonaute, le rire funambule et le scaphandrier. Tous trois ont quitté le bitume plaquant des habitudes, tous trois ont quitté le sol. Le rire cosmonaute nous inviterait sur la lune, il nous offre le recul de l’envol lointain, l’oubli du quotidien, l’insouciance (voire l’inconscience du mal que peut occasionner l’humour), le semblant de fromage sur le sol et les étoiles en plafond infini. C’est ce rire de se savoir six fois plus léger que nous avons tous entendu retransmis par satellite avec Apollo 11, et ces cosmonautes américains qui chantaient, ramassant des cailloux, de la poussière magique, des histoires millénaires, conglomérats de bijoux tombés d’autres planètes pour les rapporter sur Terre. Au contraire du Petit Poucet qui pleurait l’abandon de ses parents, le cosmonaute ramasse les cailloux pour rire des retrouvailles avec un milliard de cousins astronomiques.
Le rire scaphandrier, lui, serait lourd et sentirait la ferraille. Il est en dessous de tout. Son costume imperméable à l’air et au vent doux le rend insensible. Il se moque, il raille, il se croit à l’abri de son scaphandre, loin des critiques et des discours, loin des caresses et des baisers. Il se permet donc, roi des sous-marins, de glisser du cynisme, de déroger aux règles du respect, de la bienséance et du vivre ensemble. Ce n’est pas un compagnon agréable. Mais il rit.
Le rire funambule serait sans doute le plus juste. Il ne porte pas de scaphandre, remarquons-le de suite. Juste deux souliers fins, ballerines de cuir et chemise blanche. Son balancier croise le fil de ses pensées. Il voudrait bien tirer vers le haut, cosmonaute imaginaire, espérant toucher la lune, mais la pesanteur l’attrape, le suit et le menace. Tu pourrais bien tomber comme un homme de plomb, tu pourrais bien t’enterrer le jour même de ta chute. Le funambule rit de trouver l’équilibre et de se trouver là où personne ne va. Une fois le câble détendu, en effet, son territoire reste vierge. Il a été le seul, l’unique explorateur de ce morceau de ciel : 10 mètres de haut, entre l’église et le grand hôtel. Le rire funambule est le plus beau des rires. La portion de ciel qu’il a fugitivement habitée se souvient de sa blancheur de coquillage et le sol de son ombre d’oiseau. »
(p. 82-86)

La poésie du mode (p. 22-25)
Cent blagues (p. 61-65)
Extrait court
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