
Le geste :
« Silencieusement, sans une éclaboussure, la pagaie perce la surface et s’enfonce dans la rivière aux reflets vert bouteille. La main basse tire en arrière sans à-coup, laissant la coque du canoë défiler à mesure que l’eau est pressée contre le plat immergé. Un léger vortex naît au dos de la pale, se dédouble puis disparaît, pendant que la pagaie, à l’air libre, effectue son retour vers l’avant. Le rythme est régulier, juste assez soutenu pour maintenir l’erre du bateau. De temps à autre, un petit choc sourd trahit un “col-de-cygne”. Le manche de la pagaie a heurté le plat-bord et s’y appuie ; la pale pivote avant de s’écarter de la coque : le propulseur est devenu gouverne. Alors, imperceptiblement, la proue retrouve le point de mire que la propulsion unilatérale avait laissé glisser de côté, et le bateau reprend sa trajectoire en souplesse.
La douceur qui émane de ce mouvement ne doit rien à un quelconque souci esthétique. Elle ne suit aucun précepte d’un supposé académisme technique. Elle vient, à la longue et tout simplement, parce qu’elle est la plus efficace des manières de conduire son canoë. Rien ne sert de bousculer la rivière, d’agiter son eau par des mouvements brutaux. Le canoë, non plus, ne supporte pas les secousses. Le moindre geste brusque ralentit le bateau et accroît la fatigue. Le chapelet de gouttes qui accompagne le retour aérien de la pagaie trouble suffisamment la surface pour qu’il ne soit besoin d’y ajouter d’autres perturbations. Cette caresse de l’onde, d’une délicatesse infinie, est un geste immémorial que chaque canoéiste perpétue. »
Souvenir d’enfance (p. 32-34)
Déboucher en mer (p. 44-47)
Le rapport à la ville (p. 72-76)
« Silencieusement, sans une éclaboussure, la pagaie perce la surface et s’enfonce dans la rivière aux reflets vert bouteille. La main basse tire en arrière sans à-coup, laissant la coque du canoë défiler à mesure que l’eau est pressée contre le plat immergé. Un léger vortex naît au dos de la pale, se dédouble puis disparaît, pendant que la pagaie, à l’air libre, effectue son retour vers l’avant. Le rythme est régulier, juste assez soutenu pour maintenir l’erre du bateau. De temps à autre, un petit choc sourd trahit un “col-de-cygne”. Le manche de la pagaie a heurté le plat-bord et s’y appuie ; la pale pivote avant de s’écarter de la coque : le propulseur est devenu gouverne. Alors, imperceptiblement, la proue retrouve le point de mire que la propulsion unilatérale avait laissé glisser de côté, et le bateau reprend sa trajectoire en souplesse.
La douceur qui émane de ce mouvement ne doit rien à un quelconque souci esthétique. Elle ne suit aucun précepte d’un supposé académisme technique. Elle vient, à la longue et tout simplement, parce qu’elle est la plus efficace des manières de conduire son canoë. Rien ne sert de bousculer la rivière, d’agiter son eau par des mouvements brutaux. Le canoë, non plus, ne supporte pas les secousses. Le moindre geste brusque ralentit le bateau et accroît la fatigue. Le chapelet de gouttes qui accompagne le retour aérien de la pagaie trouble suffisamment la surface pour qu’il ne soit besoin d’y ajouter d’autres perturbations. Cette caresse de l’onde, d’une délicatesse infinie, est un geste immémorial que chaque canoéiste perpétue. »
(p. 11-12)
Souvenir d’enfance (p. 32-34)
Déboucher en mer (p. 44-47)
Le rapport à la ville (p. 72-76)