Le surf, une discipline à contretemps :
« Les quelques secondes passées sur la vague auraient-elles la même saveur sans les minutes d’attente qui les précèdent ? Attendre, c’est écouter le monde et reformuler sa subjectivité par rapport au temps. C’est refuser la linéarité en considérant les événements qui se succèdent comme contractiles ou extensibles. Une sorte de mercure à densité variable, capable de plus d’intensité selon les aléas et les circonstances. Le surf se partage entre l’attente et l’action, le calme et l’excitation, tout comme l’océan peut être harmonie ou chaos. C’est au surfeur de trouver l’entre-deux, l’équilibre entre la sérénité de l’esprit et la puissance du corps.
Surfer est la célébration d’une existence pleine et authentique qui ne convient guère aux balisages qu’affectionne notre temps. On comprend mal l’obstination des surfeurs à répéter les mêmes gestes, à déployer tant d’efforts pour un plaisir si éphémère. Quoi de plus insensé en effet, dans nos vies accélérées, toujours dans l’urgence, que de se mettre à l’eau et d’attendre une vague hypothétique ? Quoi de moins raisonnable que d’aller au-devant du danger alors que partout s’exprime l’obsession de la sécurité ? Pourtant, entrer dans le tumulte glacial pour défier les puissances créatrices, répéter l’incessant corps à corps où fusionnent l’homme et l’élément, se laisser dériver à la surface de l’eau, représente bien plus qu’un jeu ou qu’un divertissement. Le surf, hymne à la lenteur, est une discipline à contretemps. En luttant fugacement contre l’océan, le surfeur, consciemment ou pas, revendique sa singularité.
Il est l’iconoclaste qui avance à contre-courant du modèle établi. Pour cette raison il est souvent mis à l’index, catégorisé comme le marginal, l’antiproductiviste indésirable qu’on dédaigne ou qu’on raille. Mais il est aussi – on ne se l’avoue que rarement – celui qu’on envie d’avoir su prendre d’autres chemins. Tel le profane qui contemple depuis le sable les courbes que dessine la planche, j’ai moi aussi été enivré par ce spectacle d’élégance et de liberté. Attiré par la beauté du geste, je voulais essayer. Nombreux ont été les aléas et les désillusions qui auraient pu me conduire à renoncer. Pourtant, une mystérieuse attraction m’invita toujours à revenir. Quelle est-elle ?
Je crois pouvoir y répondre aujourd’hui. Ce qui me poussa à vouloir accéder à cet instant fugitif qu’est la glisse, c’est justement la fascination pour son caractère fugace, l’impermanence n’étant pas la contrainte mais la condition sine qua non à remplir pour être touché par la grâce. C’est là que se trouve toute l’énigme : offrez au surfeur une vague sans fin et vous lui enlevez le goût du surf. La glisse est précieuse parce qu’elle est d’une sublime et brève intensité : comme le bonheur, le rire ou la passion. Les vagues qu’on dévale les unes après les autres sont des moments de rareté mis bout à bout qui n’existent que parce qu’ils disparaissent. Si le plaisir est proportionnellement accordé à la durée, alors la fugacité des sensations vécues en surf en fait l’expérience la plus extraordinaire qu’il nous est donné de tenter. On peut marcher des heures, naviguer des jours, voler de longues minutes ; on ne surfe en revanche que quelques secondes? »
Soul Surfers (p. 45-47)
L’esprit du lieu (p. 61-64)
Extrait court
« Les quelques secondes passées sur la vague auraient-elles la même saveur sans les minutes d’attente qui les précèdent ? Attendre, c’est écouter le monde et reformuler sa subjectivité par rapport au temps. C’est refuser la linéarité en considérant les événements qui se succèdent comme contractiles ou extensibles. Une sorte de mercure à densité variable, capable de plus d’intensité selon les aléas et les circonstances. Le surf se partage entre l’attente et l’action, le calme et l’excitation, tout comme l’océan peut être harmonie ou chaos. C’est au surfeur de trouver l’entre-deux, l’équilibre entre la sérénité de l’esprit et la puissance du corps.
Surfer est la célébration d’une existence pleine et authentique qui ne convient guère aux balisages qu’affectionne notre temps. On comprend mal l’obstination des surfeurs à répéter les mêmes gestes, à déployer tant d’efforts pour un plaisir si éphémère. Quoi de plus insensé en effet, dans nos vies accélérées, toujours dans l’urgence, que de se mettre à l’eau et d’attendre une vague hypothétique ? Quoi de moins raisonnable que d’aller au-devant du danger alors que partout s’exprime l’obsession de la sécurité ? Pourtant, entrer dans le tumulte glacial pour défier les puissances créatrices, répéter l’incessant corps à corps où fusionnent l’homme et l’élément, se laisser dériver à la surface de l’eau, représente bien plus qu’un jeu ou qu’un divertissement. Le surf, hymne à la lenteur, est une discipline à contretemps. En luttant fugacement contre l’océan, le surfeur, consciemment ou pas, revendique sa singularité.
Il est l’iconoclaste qui avance à contre-courant du modèle établi. Pour cette raison il est souvent mis à l’index, catégorisé comme le marginal, l’antiproductiviste indésirable qu’on dédaigne ou qu’on raille. Mais il est aussi – on ne se l’avoue que rarement – celui qu’on envie d’avoir su prendre d’autres chemins. Tel le profane qui contemple depuis le sable les courbes que dessine la planche, j’ai moi aussi été enivré par ce spectacle d’élégance et de liberté. Attiré par la beauté du geste, je voulais essayer. Nombreux ont été les aléas et les désillusions qui auraient pu me conduire à renoncer. Pourtant, une mystérieuse attraction m’invita toujours à revenir. Quelle est-elle ?
Je crois pouvoir y répondre aujourd’hui. Ce qui me poussa à vouloir accéder à cet instant fugitif qu’est la glisse, c’est justement la fascination pour son caractère fugace, l’impermanence n’étant pas la contrainte mais la condition sine qua non à remplir pour être touché par la grâce. C’est là que se trouve toute l’énigme : offrez au surfeur une vague sans fin et vous lui enlevez le goût du surf. La glisse est précieuse parce qu’elle est d’une sublime et brève intensité : comme le bonheur, le rire ou la passion. Les vagues qu’on dévale les unes après les autres sont des moments de rareté mis bout à bout qui n’existent que parce qu’ils disparaissent. Si le plaisir est proportionnellement accordé à la durée, alors la fugacité des sensations vécues en surf en fait l’expérience la plus extraordinaire qu’il nous est donné de tenter. On peut marcher des heures, naviguer des jours, voler de longues minutes ; on ne surfe en revanche que quelques secondes? »
(p. 69-72)
Soul Surfers (p. 45-47)
L’esprit du lieu (p. 61-64)
Extrait court