
Forêt magique :
« Celui qui vit en forêt, dort en forêt, respire en forêt, se glisse insensiblement dans la mémoire des odyssées qui semblent attachées aux arbres. L’ombre des frondaisons devient un lieu de passage, de transition entre des univers parallèles, aux frontières brouillées, fiction et réalité se mêlant dans un terreau commun d’étrangeté et d’arborescences fantastiques. Espace clos, la forêt soustrait au regard du village, de la cité. Elle est depuis toujours le refuge naturel de ceux qui désirent échapper à l’agitation et aux contraintes de l’édifice social. Le malandrin comme l’ermite, le bohème comme l’insoumis, l’utopiste comme le partisan, l’ascète comme l’enchanteur y trouvent refuge et repos, solitude et apaisement, quiétude et inspiration.
De ceux-ci, d’un versant oublié et venteux des Pyrénées, bordé de pins unis et magistraux, sous un ciel élargi d’aubes inaccessibles, j’envie la confiance, la frugalité, la solitude, l’attente. Aux autres, sous un chêne triple de Bourgogne, jailli en trois fûts germains et éperdus de symétrie, je confie le sceau de l’amitié ancienne, le serment d’un lien fraternel et ardent qu’aucun hiver, aucune chute ni aucune fin ne sauraient briser. Dans un bosquet de mélèzes dénudés, aériens, implacables, sur un fil de brume glaçant la plaine d’Alsace et reflétant la masse diaphane et rêveuse de montagnes jumelles, je leur avoue ma lassitude et mon effroi. Du plancher vénérable et raffiné d’une maison de Thaïlande, je leur offre des fruits colorés et suaves, en révérence d’une prodigalité tropicale trop souvent débitée et bradée en mobilier de pergola. Enfin, de la vertigineuse réussite d’un sapin de Douglas, éminent et serein en lisière d’un champ de l’Allier, je leur transmets un pacte d’espoir et de paix, la promesse d’une réconciliation et d’un retour d’exil.
Quand on habite la solitude et l’éloignement des bois, on rejoint en songe toutes les âmes qui s’y sont abritées et assoupies, puis réveillées et réunies, émerveillées ou révoltées. Ainsi d’Arthur, de Lancelot du Lac et de Gauvain, dont la quête fend la brume et les halliers de la sylve médiévale, lieu d’épreuves et de transformation où surgissent des démons, des hommes réduits à se nourrir de racines, des fées ou des chimères. Et lorsque le chevalier s’évanouit au cœur de la forêt périlleuse, l’ermite apparaît, porteur de la connaissance et annonciateur d’un renouveau physique et spirituel. Une fonction dévolue également aux chamans d’Amazonie ou de Sibérie, qui convient à une nuit de visions dans la lueur des braises. Parfois surgit, dans l’imaginaire lié à la forêt, la figure d’un Robin truculent, festoyant en vive compagnie. Merlin n’échappe plus au charme de la fée Viviane, mais souventes fois les druides renaissent de la découverte d’un dolmen ou des éboulis d’un mur celte. Dieu gaulois du Tonnerre, Taranis se rappelle alors aux hommes par la violence d’un orage. D’autres dieux et demi-dieux dansent dans l’imprécision des taillis, des cépées, du breuil. Pan y poursuit les nymphes, alors que les reclus en sainteté s’effacent dans un chêne creux ou dans une grotte qu’ils partagent avec les ours ou les loups. Par les nuits de grand vent, des sorcières en sabbat se perchent dans les feuillages et se gaussent des craintes des mortels. »
Le bonheur du récolteur (p. 22-26)
Forêt vitale (p. 33-36)
Extrait court
« Celui qui vit en forêt, dort en forêt, respire en forêt, se glisse insensiblement dans la mémoire des odyssées qui semblent attachées aux arbres. L’ombre des frondaisons devient un lieu de passage, de transition entre des univers parallèles, aux frontières brouillées, fiction et réalité se mêlant dans un terreau commun d’étrangeté et d’arborescences fantastiques. Espace clos, la forêt soustrait au regard du village, de la cité. Elle est depuis toujours le refuge naturel de ceux qui désirent échapper à l’agitation et aux contraintes de l’édifice social. Le malandrin comme l’ermite, le bohème comme l’insoumis, l’utopiste comme le partisan, l’ascète comme l’enchanteur y trouvent refuge et repos, solitude et apaisement, quiétude et inspiration.
De ceux-ci, d’un versant oublié et venteux des Pyrénées, bordé de pins unis et magistraux, sous un ciel élargi d’aubes inaccessibles, j’envie la confiance, la frugalité, la solitude, l’attente. Aux autres, sous un chêne triple de Bourgogne, jailli en trois fûts germains et éperdus de symétrie, je confie le sceau de l’amitié ancienne, le serment d’un lien fraternel et ardent qu’aucun hiver, aucune chute ni aucune fin ne sauraient briser. Dans un bosquet de mélèzes dénudés, aériens, implacables, sur un fil de brume glaçant la plaine d’Alsace et reflétant la masse diaphane et rêveuse de montagnes jumelles, je leur avoue ma lassitude et mon effroi. Du plancher vénérable et raffiné d’une maison de Thaïlande, je leur offre des fruits colorés et suaves, en révérence d’une prodigalité tropicale trop souvent débitée et bradée en mobilier de pergola. Enfin, de la vertigineuse réussite d’un sapin de Douglas, éminent et serein en lisière d’un champ de l’Allier, je leur transmets un pacte d’espoir et de paix, la promesse d’une réconciliation et d’un retour d’exil.
Quand on habite la solitude et l’éloignement des bois, on rejoint en songe toutes les âmes qui s’y sont abritées et assoupies, puis réveillées et réunies, émerveillées ou révoltées. Ainsi d’Arthur, de Lancelot du Lac et de Gauvain, dont la quête fend la brume et les halliers de la sylve médiévale, lieu d’épreuves et de transformation où surgissent des démons, des hommes réduits à se nourrir de racines, des fées ou des chimères. Et lorsque le chevalier s’évanouit au cœur de la forêt périlleuse, l’ermite apparaît, porteur de la connaissance et annonciateur d’un renouveau physique et spirituel. Une fonction dévolue également aux chamans d’Amazonie ou de Sibérie, qui convient à une nuit de visions dans la lueur des braises. Parfois surgit, dans l’imaginaire lié à la forêt, la figure d’un Robin truculent, festoyant en vive compagnie. Merlin n’échappe plus au charme de la fée Viviane, mais souventes fois les druides renaissent de la découverte d’un dolmen ou des éboulis d’un mur celte. Dieu gaulois du Tonnerre, Taranis se rappelle alors aux hommes par la violence d’un orage. D’autres dieux et demi-dieux dansent dans l’imprécision des taillis, des cépées, du breuil. Pan y poursuit les nymphes, alors que les reclus en sainteté s’effacent dans un chêne creux ou dans une grotte qu’ils partagent avec les ours ou les loups. Par les nuits de grand vent, des sorcières en sabbat se perchent dans les feuillages et se gaussent des craintes des mortels. »
(p. 29-31)
Le bonheur du récolteur (p. 22-26)
Forêt vitale (p. 33-36)
Extrait court