Un art immémorial :
« Depuis le matin, nous brodons. Huit heures par jour et cinq jours par semaine pour la plupart – deux jours et une matinée pour moi –, nous veillons à la lumière et nous méfions de l’ombre ; nous nous tenons droites, relâchons les épaules et évitons de croiser les jambes ; nous écartons les bouts de fil coupé, les perles mal faites que nous destinons au “cimetière” ; nous enfilons le fil dans l’aiguille, saisissons notre crochet des milliers de fois pour avaler les mètres de tissu en y semant tout ce qui brille et qui plaît. Ces bribes de gestes entre les gestes, inscrites dans aucun manuel tant elles sont infimes, ont survolé les siècles jusqu’à nous. Comme mes consœurs, j’en suis la dépositaire et la passeuse.
En creusant le sujet, j’apprends que, dès sa création en 1292, la corporation des brodeurs a interdit de broder de nuit pour privilégier le travail “à la lueur du jour”. Près de cinq siècles plus tard, une planche de l’Encyclopédie montre une brodeuse dans un atelier. À cent ans de là, en 1888, paraît Le Rêve, l’un des volumes de la saga des Rougon-Macquart, qu’Émile Zola situe dans une bourgade picarde. Angélique est une enfant trouvée puis recueillie par un couple de brodeurs œuvrant pour l’Église. “En ce moment, la chasuble à laquelle travaillait Angélique était une chasuble de satin blanc [?]. Depuis une heure qu’elle achevait, au passé, les feuilles des petites roses d’or, pas une parole n’avait troublé le silence. Mais l’aiguillée cassa de nouveau, elle la renfila à tâtons, sous le métier, en ouvrière adroite. Puis, comme elle avait levé la tête, elle parut boire dans une longue aspiration tout le printemps qui entrait.” Rien n’a changé. Nous pourrions permuter nos places, nos siècles. »
À l’atelier Bizet (p. 11-14)
Rêveries humaines (p. 25-27)
De l’aiguille à la main (p. 29-32)
« Depuis le matin, nous brodons. Huit heures par jour et cinq jours par semaine pour la plupart – deux jours et une matinée pour moi –, nous veillons à la lumière et nous méfions de l’ombre ; nous nous tenons droites, relâchons les épaules et évitons de croiser les jambes ; nous écartons les bouts de fil coupé, les perles mal faites que nous destinons au “cimetière” ; nous enfilons le fil dans l’aiguille, saisissons notre crochet des milliers de fois pour avaler les mètres de tissu en y semant tout ce qui brille et qui plaît. Ces bribes de gestes entre les gestes, inscrites dans aucun manuel tant elles sont infimes, ont survolé les siècles jusqu’à nous. Comme mes consœurs, j’en suis la dépositaire et la passeuse.
En creusant le sujet, j’apprends que, dès sa création en 1292, la corporation des brodeurs a interdit de broder de nuit pour privilégier le travail “à la lueur du jour”. Près de cinq siècles plus tard, une planche de l’Encyclopédie montre une brodeuse dans un atelier. À cent ans de là, en 1888, paraît Le Rêve, l’un des volumes de la saga des Rougon-Macquart, qu’Émile Zola situe dans une bourgade picarde. Angélique est une enfant trouvée puis recueillie par un couple de brodeurs œuvrant pour l’Église. “En ce moment, la chasuble à laquelle travaillait Angélique était une chasuble de satin blanc [?]. Depuis une heure qu’elle achevait, au passé, les feuilles des petites roses d’or, pas une parole n’avait troublé le silence. Mais l’aiguillée cassa de nouveau, elle la renfila à tâtons, sous le métier, en ouvrière adroite. Puis, comme elle avait levé la tête, elle parut boire dans une longue aspiration tout le printemps qui entrait.” Rien n’a changé. Nous pourrions permuter nos places, nos siècles. »
(p. 67-69)
À l’atelier Bizet (p. 11-14)
Rêveries humaines (p. 25-27)
De l’aiguille à la main (p. 29-32)