Kiss landing :
« Au voyageur aérien on vend du temps à bas prix afin qu’il puisse se rendre le plus vite possible, entouré de ses congénères, dans ces destinations prestigieuses dont la télévision lui a fait miroiter les couleurs sur son écran cathodique. Et qu’il en revienne tout aussi vite.
Les compagnies à bas coût ont imposé le nouveau modèle du passager moderne, qui ne récrimine jamais plus fort que le prix de son billet. Selon ce critère, un être capable de tout encaisser, de l’inconfort de l’avion et de ses sièges étroits au traitement rugueux des employés qui bousculent les traînards de la file d’attente au pied de la passerelle d’accès. Sans oublier ce qu’il a subi avant. Contrôle préalable ? Voilà mon passeport. Passage par le portique de détection des métaux ? On y va en tremblant d’avance que retentisse la sonnerie. Ceinture enlevée ? Ceinture enlevée. Chaussures aussi ? Chaussures aussi. L’humiliation imposée à l’homme en chaussettes, tel l’amant surpris par le mari jaloux et qui fuit par la fenêtre, n’en pousse aucun à faire demi-tour. Au nom de la sécurité, on ravale le voyageur aérien à un produit stérilisé, afin de s’assurer qu’il ne transporte aucun germe nocif ni substance explosive. Et les pilotes y sont soumis comme les autres.
Impossible de renier la filiation entre les merveilles d’électronique et d’informatique qui strient l’azur de leurs traînées de condensation au-dessus de nos têtes et les petits avions qui se contentent de flâner à quelques centaines de mètres d’altitude. Ni entre les hommes qui les pilotent ou se trouvent à bord comme passagers. Le bonheur de partir est le même, et semblable la joie du retour sur terre, jambes parfois un peu flageolantes lorsqu’ils quittent leur siège. Est-ce de soulagement que les passagers applaudissent à l’atterrissage, en hommage aux trop souvent invisibles acteurs du poste de pilotage ? Ceux-ci soupirent d’aise, et de la satisfaction d’avoir conduit une fois de plus à bon port leur cargaison humaine. Après le passage obligé par le sas de décompression psychologique des guichets de police et du hall d’arrivée, eux et leur escouade d’hôtesses et de stewards gagneront très vite leur hôtel pour un sommeil réparateur. Prêts dans quelques heures, délai réglementaire et obligatoire, à reprendre leur place aux commandes et en cabine pour une nouvelle étape. À l’issue de laquelle un nouveau kiss landing, atterrissage en douceur, l’expression anglaise évoquant le frôlement sensuel des lèvres qui se rapprochent en une ébauche de baiser à la Terre. »
Les frontières du ciel (p. 27-31)
La nostalgie des “vieux coucous” (p. 54-58)
Extrait court
« Au voyageur aérien on vend du temps à bas prix afin qu’il puisse se rendre le plus vite possible, entouré de ses congénères, dans ces destinations prestigieuses dont la télévision lui a fait miroiter les couleurs sur son écran cathodique. Et qu’il en revienne tout aussi vite.
Les compagnies à bas coût ont imposé le nouveau modèle du passager moderne, qui ne récrimine jamais plus fort que le prix de son billet. Selon ce critère, un être capable de tout encaisser, de l’inconfort de l’avion et de ses sièges étroits au traitement rugueux des employés qui bousculent les traînards de la file d’attente au pied de la passerelle d’accès. Sans oublier ce qu’il a subi avant. Contrôle préalable ? Voilà mon passeport. Passage par le portique de détection des métaux ? On y va en tremblant d’avance que retentisse la sonnerie. Ceinture enlevée ? Ceinture enlevée. Chaussures aussi ? Chaussures aussi. L’humiliation imposée à l’homme en chaussettes, tel l’amant surpris par le mari jaloux et qui fuit par la fenêtre, n’en pousse aucun à faire demi-tour. Au nom de la sécurité, on ravale le voyageur aérien à un produit stérilisé, afin de s’assurer qu’il ne transporte aucun germe nocif ni substance explosive. Et les pilotes y sont soumis comme les autres.
Impossible de renier la filiation entre les merveilles d’électronique et d’informatique qui strient l’azur de leurs traînées de condensation au-dessus de nos têtes et les petits avions qui se contentent de flâner à quelques centaines de mètres d’altitude. Ni entre les hommes qui les pilotent ou se trouvent à bord comme passagers. Le bonheur de partir est le même, et semblable la joie du retour sur terre, jambes parfois un peu flageolantes lorsqu’ils quittent leur siège. Est-ce de soulagement que les passagers applaudissent à l’atterrissage, en hommage aux trop souvent invisibles acteurs du poste de pilotage ? Ceux-ci soupirent d’aise, et de la satisfaction d’avoir conduit une fois de plus à bon port leur cargaison humaine. Après le passage obligé par le sas de décompression psychologique des guichets de police et du hall d’arrivée, eux et leur escouade d’hôtesses et de stewards gagneront très vite leur hôtel pour un sommeil réparateur. Prêts dans quelques heures, délai réglementaire et obligatoire, à reprendre leur place aux commandes et en cabine pour une nouvelle étape. À l’issue de laquelle un nouveau kiss landing, atterrissage en douceur, l’expression anglaise évoquant le frôlement sensuel des lèvres qui se rapprochent en une ébauche de baiser à la Terre. »
(p. 87-89)
Les frontières du ciel (p. 27-31)
La nostalgie des “vieux coucous” (p. 54-58)
Extrait court