Décollage :
« Le décollage se situe maintenant derrière moi, arrachement à la terre et aux contingences terrestres, sensation quasi sensuelle de se muer en un être nouveau. Le pouls s’accélère, le rythme respiratoire itou, manifestations parfois accompagnées, de manière plus intime, de frissons au bas-ventre. Certes, ces phénomènes ont tendance à s’atténuer avec les années, comme frappés de somnolence. En tout cas lorsque rien ne vient perturber l’exécution du décollage, qui réclame une attention soutenue de la part du pilote.
Demeure le sentiment diffus de devenir autre que je ne suis à l’ordinaire, par la grâce d’un thaumaturge : moi-même. Un surhomme ? Non ! Même si l’un des attributs majeurs du Superman venu de la planète Krypton, au cinéma, est sa capacité à voler ! Moi, j’ai besoin d’une machine avec laquelle je fais corps, que j’apprivoise et cajole, mais qui me demeurera étrangère dès que j’aurai coupé le moteur. Pourtant, comment ne pas éprouver de l’étonnement devant pareil miracle ? Mais, pour parler de miracle, inutile de se référer à quelque prétentieux anthropomorphisme. Le pilote ne devient pas oiseau par la grâce du décollage. Il ne se mue pas en volatile, en dépit des prothèses mécaniques qui paraissent donner le change. Il fait confiance à ces dernières, comme Icare à ses ailes de plumes et de cire. Leçon à retenir : Icare est mort de s’être trop approché du soleil. De s’être cru surhomme. N’empêche que le bref instant où le pilote prend l’air est un instant de grâce. Celui où les lois de l’aérodynamique et de la mécanique du vol se matérialisent. Surtout lorsqu’il décolle d’une courte piste en herbe, simple bande gazonnée ouverte en pleine forêt, entre les arbres, que le défilement dû à la vitesse transforme en mur. Le décollage sur la surface un peu cabossée devient évasion de la prison terrestre, échappatoire. Alors, le pilote entonne en son for intérieur un hymne d’action de grâce à la nature. Sensation que ne procure qu’à un moindre degré l’envol depuis une piste en dur. Le roulement sur le macadam ou le béton aux abords dégagés de tout obstacle proche rappelle par trop combien le miracle est de nos jours redevable à la technique, aux aménagements des abords de l’aérodrome. Faut-il s’étonner que les pilotes préfèrent décoller d’une surface en herbe, comme depuis les champs d’aviation d’antan sans piste tracée, ouverts sur le grand large, à leur convenance ? »
Les frontières du ciel (p. 27-31)
La nostalgie des “vieux coucous” (p. 54-58)
Kiss landing (p. 87-89)
« Le décollage se situe maintenant derrière moi, arrachement à la terre et aux contingences terrestres, sensation quasi sensuelle de se muer en un être nouveau. Le pouls s’accélère, le rythme respiratoire itou, manifestations parfois accompagnées, de manière plus intime, de frissons au bas-ventre. Certes, ces phénomènes ont tendance à s’atténuer avec les années, comme frappés de somnolence. En tout cas lorsque rien ne vient perturber l’exécution du décollage, qui réclame une attention soutenue de la part du pilote.
Demeure le sentiment diffus de devenir autre que je ne suis à l’ordinaire, par la grâce d’un thaumaturge : moi-même. Un surhomme ? Non ! Même si l’un des attributs majeurs du Superman venu de la planète Krypton, au cinéma, est sa capacité à voler ! Moi, j’ai besoin d’une machine avec laquelle je fais corps, que j’apprivoise et cajole, mais qui me demeurera étrangère dès que j’aurai coupé le moteur. Pourtant, comment ne pas éprouver de l’étonnement devant pareil miracle ? Mais, pour parler de miracle, inutile de se référer à quelque prétentieux anthropomorphisme. Le pilote ne devient pas oiseau par la grâce du décollage. Il ne se mue pas en volatile, en dépit des prothèses mécaniques qui paraissent donner le change. Il fait confiance à ces dernières, comme Icare à ses ailes de plumes et de cire. Leçon à retenir : Icare est mort de s’être trop approché du soleil. De s’être cru surhomme. N’empêche que le bref instant où le pilote prend l’air est un instant de grâce. Celui où les lois de l’aérodynamique et de la mécanique du vol se matérialisent. Surtout lorsqu’il décolle d’une courte piste en herbe, simple bande gazonnée ouverte en pleine forêt, entre les arbres, que le défilement dû à la vitesse transforme en mur. Le décollage sur la surface un peu cabossée devient évasion de la prison terrestre, échappatoire. Alors, le pilote entonne en son for intérieur un hymne d’action de grâce à la nature. Sensation que ne procure qu’à un moindre degré l’envol depuis une piste en dur. Le roulement sur le macadam ou le béton aux abords dégagés de tout obstacle proche rappelle par trop combien le miracle est de nos jours redevable à la technique, aux aménagements des abords de l’aérodrome. Faut-il s’étonner que les pilotes préfèrent décoller d’une surface en herbe, comme depuis les champs d’aviation d’antan sans piste tracée, ouverts sur le grand large, à leur convenance ? »
(p. 16-18)
Les frontières du ciel (p. 27-31)
La nostalgie des “vieux coucous” (p. 54-58)
Kiss landing (p. 87-89)