Éloge d’un peuple :
« La noblesse de classe prévaut dans maintes ethnies du Sahara. Pour la société matrilinéaire touarègue, le ventre teint l’enfant. Les nobles sont les imajeghen, les hommes libres, opposés aux captifs, les iklan. Historiquement, les nobles sont des guerriers, éleveurs de grands animaux, leurs vassaux sont des bergers endurcis ; les groupes des artisans ou des métis sont à part. La posture du combattant touareg est chevaleresque, d’ailleurs elle a marqué l’esprit des explorateurs civils et militaires férus d’histoire médiévale. L’honneur en toute circonstance, le respect de la parole donnée complètent le portrait hagiographique généralement brossé du chamelier voilé. Le sens de la réputation, la pudicité soulignée par le chèche de tête et de bouche, la retenue comme principe fondateur font du sabreur touareg un adversaire admiré. Dans les premières années du XXe siècle, le colonel Gouraud s’émouvait devant les Touaregs qui affrontaient sabre au clair, protégés d’un simple bouclier en peau d’oryx, la mitraille infernale. Lors du combat de Filingué, au Niger, en avril 1916, la fine fleur de la jeunesse des Ioulliminden de Ménaka se heurta aux armes automatiques disposées sur les remparts de la ville. À ceux qui, terrorisés, rebroussaient chemin, l’amenokal de la confédération hurla : “Que direz-vous aux femmes à votre retour au campement ?” Et les chameliers retournèrent à la mort? Un siècle plus tard, des fractions restent exsangues à la suite de ces batailles héroïques. Au cours des révoltes contemporaines, des Touaregs ont encore brillé au feu ; à l’inverse, certains se comportent sans gloire et des responsables tribaux se complaisent dans l’avilissement.
La grandeur d’âme dépasse tous les clivages, tous les découpages traditionnels. Les combats actuels relèvent plus que jamais de l’adaptabilité, et beaucoup de ces nomades font preuve de bravoure, de pugnacité, de noblesse dans leur attitude humble mais acharnée face aux éléments qu’ils doivent amadouer. Aujourd’hui, le caractère élevé des Sahariens, qu’ils soient touaregs, maures, toubous ou wodaabe, réside dans cette symbiose, cette manière de composer avec la nature. Résister avec honneur à la véhémence du temps, à l’austérité du climat, préserver une flexibilité salvatrice, refuser l’exil et la soumission à la cité, continuer à peupler la brousse de ses ancêtres, tout cela contribue à élever ces bergers du XXIe siècle au rang de chevaliers ! Sans le savoir pour nombre d’entre eux, ils concourent, en refusant crânement l’assimilation, à la beauté du monde. Leur dignité est dans la perpétuation de leur mode de vie. “Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction”, disait Boris Vian. Les nobles pâtres, riches d’une parcelle de planète, l’approuvent avec gravité.
Inlassablement, ils transvasent le thé par des gestes parcimonieux, sont chiches de paroles par respect du vent, leur grandeur consistant à se taire. Un aphorisme local conseille à celui qui n’aurait rien à dire de plus intelligent que le silence de garder le voile serré. »
Au gré des vents du désert (p. 18-21)
Le silence religieux du désert (p. 76-79)
Extrait court
« La noblesse de classe prévaut dans maintes ethnies du Sahara. Pour la société matrilinéaire touarègue, le ventre teint l’enfant. Les nobles sont les imajeghen, les hommes libres, opposés aux captifs, les iklan. Historiquement, les nobles sont des guerriers, éleveurs de grands animaux, leurs vassaux sont des bergers endurcis ; les groupes des artisans ou des métis sont à part. La posture du combattant touareg est chevaleresque, d’ailleurs elle a marqué l’esprit des explorateurs civils et militaires férus d’histoire médiévale. L’honneur en toute circonstance, le respect de la parole donnée complètent le portrait hagiographique généralement brossé du chamelier voilé. Le sens de la réputation, la pudicité soulignée par le chèche de tête et de bouche, la retenue comme principe fondateur font du sabreur touareg un adversaire admiré. Dans les premières années du XXe siècle, le colonel Gouraud s’émouvait devant les Touaregs qui affrontaient sabre au clair, protégés d’un simple bouclier en peau d’oryx, la mitraille infernale. Lors du combat de Filingué, au Niger, en avril 1916, la fine fleur de la jeunesse des Ioulliminden de Ménaka se heurta aux armes automatiques disposées sur les remparts de la ville. À ceux qui, terrorisés, rebroussaient chemin, l’amenokal de la confédération hurla : “Que direz-vous aux femmes à votre retour au campement ?” Et les chameliers retournèrent à la mort? Un siècle plus tard, des fractions restent exsangues à la suite de ces batailles héroïques. Au cours des révoltes contemporaines, des Touaregs ont encore brillé au feu ; à l’inverse, certains se comportent sans gloire et des responsables tribaux se complaisent dans l’avilissement.
La grandeur d’âme dépasse tous les clivages, tous les découpages traditionnels. Les combats actuels relèvent plus que jamais de l’adaptabilité, et beaucoup de ces nomades font preuve de bravoure, de pugnacité, de noblesse dans leur attitude humble mais acharnée face aux éléments qu’ils doivent amadouer. Aujourd’hui, le caractère élevé des Sahariens, qu’ils soient touaregs, maures, toubous ou wodaabe, réside dans cette symbiose, cette manière de composer avec la nature. Résister avec honneur à la véhémence du temps, à l’austérité du climat, préserver une flexibilité salvatrice, refuser l’exil et la soumission à la cité, continuer à peupler la brousse de ses ancêtres, tout cela contribue à élever ces bergers du XXIe siècle au rang de chevaliers ! Sans le savoir pour nombre d’entre eux, ils concourent, en refusant crânement l’assimilation, à la beauté du monde. Leur dignité est dans la perpétuation de leur mode de vie. “Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction”, disait Boris Vian. Les nobles pâtres, riches d’une parcelle de planète, l’approuvent avec gravité.
Inlassablement, ils transvasent le thé par des gestes parcimonieux, sont chiches de paroles par respect du vent, leur grandeur consistant à se taire. Un aphorisme local conseille à celui qui n’aurait rien à dire de plus intelligent que le silence de garder le voile serré. »
(p. 46-48)
Au gré des vents du désert (p. 18-21)
Le silence religieux du désert (p. 76-79)
Extrait court