Au gré des vents du désert :
« Le vent appartient au désert, ou l’inverse. Chez les vachers wodaabe, la vie est de plein air : une table pour l’alignement des calebasses, un ensemble de bois pour le couchage, légèrement surélevé. À l’air libre vous êtes ! Alors, quand votre hôte signale l’approche du chaos – pour vous invisible –, cinq minutes seulement s’écoulent avant que vous ne soyez submergé par les rouleaux de terre ocre et de brindilles. Si possible, l’éleveur allume un petit feu en toute urgence, pour rassembler ses vaches hébétées : mufle dans les braises, elles ont le souvenir du feu originel qui les a guidées hors de la mare amniotique des légendes fondatrices qui lient indéfectiblement le ruminant à son berger. Pour être utile, l’ouragan doit transporter la pluie et son odeur humide, comme une faveur olfactive d’herbe tendre? Le goût de l’averse est une saveur que nous avons perdue, qui ne sied qu’aux paysans, à ceux qui restent liés au cycle des saisons.
Le vent qui dessine devient caresse. Je me souviens, en Mauritanie : ciel bouché, vent aphone, silence pesant. Les courbes offertes par le souffle puissant sont inouïes, indécentes. Là, dévoilées, dénudées par la lumière blafarde, un cou, des hanches, une épaule, et là, oui, à la jonction de ces vallons, quelques touffes de sbat, comme un vrai blasphème !
Amour et haine du vent. Détestation des hurlements sauvages qui vous amènent à regretter amèrement vos quatre murs – la maison pour le nomade est le tombeau des vivants –, affection infinie pour cette respiration angélique qui trace les formes de belles mystérieuses, d’Antinéa fantasmées? Les héros de L’Atlantide furent-ils envoûtés par ces paysages évocateurs ?
Mais il ne fait pas que vous chambouler, le vent. Il dessine également sur le sable les motifs mensuels qui conduisent le maître de la caravane. Car comment diriger son vaisseau dans cette immensité vertigineuse et plane, ce désert sans repère aux yeux du néophyte, cette carapace du monde oublié des êtres où Dieu est si présent ? Comme l’écrit Balzac dans Une passion dans le désert, ce pays, “c’est Dieu sans les hommes” ! Une infime erreur, et le madougou, le guide, précipite sa troupe dans le chaos et l’oubli. Alors l’attention est à son comble : jour et nuit, il scrute les reliefs ondulés sur le sol et les détails qui l’aident à construire son chemin ; les motifs sur le sable en font partie. Carte sculptée par les rafales : chaque année à la même période les vents dominants sont identiques. Ici, la brise vous appuie ; demain, elle vous trahira? Que l’ouragan se lève, et ces rainures sur le sol disparaîtront. L’élément éolien est ainsi double, schizophrène. Il sculpte le paysage et mène à bon port la caravane, puis il détruit les repères, arase les campements, lime la terre jusqu’à la stériliser. Il est responsable de l’esthétique du Sahara : ergs somptueux, désert blanc d’Égypte, tassilis algériens, il a contribué à parfaire cet univers minéral sur lequel il règne en maître absolu. C’est pourquoi l’amoureux des sables le vénère et le remercie. Mais qu’il égare une équipe chamelière – ce qu’il doit considérer comme juste dîme au vu de son travail laborieux – ou qu’il empêche les semis de prospérer, et il est voué aux gémonies. Puisse l’ouvrage du vent lui éviter d’être accablé. »
Éloge d’un peuple (p. 46-48)
Le silence religieux du désert (p. 76-79)
Extrait court
« Le vent appartient au désert, ou l’inverse. Chez les vachers wodaabe, la vie est de plein air : une table pour l’alignement des calebasses, un ensemble de bois pour le couchage, légèrement surélevé. À l’air libre vous êtes ! Alors, quand votre hôte signale l’approche du chaos – pour vous invisible –, cinq minutes seulement s’écoulent avant que vous ne soyez submergé par les rouleaux de terre ocre et de brindilles. Si possible, l’éleveur allume un petit feu en toute urgence, pour rassembler ses vaches hébétées : mufle dans les braises, elles ont le souvenir du feu originel qui les a guidées hors de la mare amniotique des légendes fondatrices qui lient indéfectiblement le ruminant à son berger. Pour être utile, l’ouragan doit transporter la pluie et son odeur humide, comme une faveur olfactive d’herbe tendre? Le goût de l’averse est une saveur que nous avons perdue, qui ne sied qu’aux paysans, à ceux qui restent liés au cycle des saisons.
Le vent qui dessine devient caresse. Je me souviens, en Mauritanie : ciel bouché, vent aphone, silence pesant. Les courbes offertes par le souffle puissant sont inouïes, indécentes. Là, dévoilées, dénudées par la lumière blafarde, un cou, des hanches, une épaule, et là, oui, à la jonction de ces vallons, quelques touffes de sbat, comme un vrai blasphème !
Amour et haine du vent. Détestation des hurlements sauvages qui vous amènent à regretter amèrement vos quatre murs – la maison pour le nomade est le tombeau des vivants –, affection infinie pour cette respiration angélique qui trace les formes de belles mystérieuses, d’Antinéa fantasmées? Les héros de L’Atlantide furent-ils envoûtés par ces paysages évocateurs ?
Mais il ne fait pas que vous chambouler, le vent. Il dessine également sur le sable les motifs mensuels qui conduisent le maître de la caravane. Car comment diriger son vaisseau dans cette immensité vertigineuse et plane, ce désert sans repère aux yeux du néophyte, cette carapace du monde oublié des êtres où Dieu est si présent ? Comme l’écrit Balzac dans Une passion dans le désert, ce pays, “c’est Dieu sans les hommes” ! Une infime erreur, et le madougou, le guide, précipite sa troupe dans le chaos et l’oubli. Alors l’attention est à son comble : jour et nuit, il scrute les reliefs ondulés sur le sol et les détails qui l’aident à construire son chemin ; les motifs sur le sable en font partie. Carte sculptée par les rafales : chaque année à la même période les vents dominants sont identiques. Ici, la brise vous appuie ; demain, elle vous trahira? Que l’ouragan se lève, et ces rainures sur le sol disparaîtront. L’élément éolien est ainsi double, schizophrène. Il sculpte le paysage et mène à bon port la caravane, puis il détruit les repères, arase les campements, lime la terre jusqu’à la stériliser. Il est responsable de l’esthétique du Sahara : ergs somptueux, désert blanc d’Égypte, tassilis algériens, il a contribué à parfaire cet univers minéral sur lequel il règne en maître absolu. C’est pourquoi l’amoureux des sables le vénère et le remercie. Mais qu’il égare une équipe chamelière – ce qu’il doit considérer comme juste dîme au vu de son travail laborieux – ou qu’il empêche les semis de prospérer, et il est voué aux gémonies. Puisse l’ouvrage du vent lui éviter d’être accablé. »
(p. 18-21)
Éloge d’un peuple (p. 46-48)
Le silence religieux du désert (p. 76-79)
Extrait court