
Rosa, l’humeur du mouvement – Le Puy-en-Velay ~ Decazeville :
« Je suis prêt tôt malgré le gel. J’ai dormi au sec dans l’ancien four à pain de Rieutort-d’Aubrac, et suis en forme. J’ai envie d’avancer aujourd’hui, physiquement. J’ouvre la porte de mon refuge sur Antonio qui passe à ce moment.
— Ah salut ! Tu as dormi là ?
— Oui et toi ?
— J’ai campé un peu avant. Si j’avais su, j’aurais poursuivi jusqu’ici !
Il y a des gens qu’on croise souvent, mais qu’on ne rencontre jamais. Les regards pourtant se parlent depuis longtemps. La possibilité d’une belle rencontre, c’était ça jusqu’alors, Antonio et moi. Il est connu pour marcher vite, et veut faire beaucoup de kilomètres. Parfait. Notre nouveau groupe de deux suit donc les marques du gr.
Il n’y a pas grand monde de bon matin. La rencontre est précieuse, dynamisante. Après un long moment, nous nous disons qu’il est quand même bizarre de ne croiser personne. Et ça fait quatre heures que nous marchons à fond sans prendre de pause. Antonio allume son téléphone : l’application spéciale Compostelle nous indique que nous avons complètement dévié du chemin, à au moins 5 kilomètres d’ici. Nous avons suivi les marques identiques d’un autre gr. Tandis que je regrette les coquilles qui balisaient le chemin entre Charlieu et Le Puy, il ne nous reste qu’à regagner l’itinéraire à travers les belles étendues de l’Aubrac. Si beaucoup de gens disent que ces lieux sont magnifiques, ils disent aussi que ça ne dure pas assez longtemps. On va peut-être breveter ce parcours, finalement.
Deuxième fois que je marche avec quelqu’un, et seconde déviation imprévue. Au détour d’une rencontre, comme on dit, la marche partagée. J’aime cette expérience déviante. On voulait faire des kilomètres : nous avons été exaucés. Nous retrouvons le chemin à Aubrac, la cité qui a donné son nom au pays. Je n’ai pas pris le temps de cueillir, et mange alors dans une auberge. Une salade avec différents fromages locaux, pour changer. La terrasse s’avance sur le Jardin botanique de l’Aubrac. À mes pieds sont réunies les plantes rares de la région, juste là, servies sur un plateau, comme celui qui m’apporte mon assiette et celui que je viens de traverser.
Ce n’est pas parce qu’on fait des détours qu’on échappe à son destin. Au contraire, on permet son mouvement, qui révèle sa présence. Comme je n’ai aucune idée de rien, c’est en faisant un détour que j’ai su où j’étais, et vers où je vais réellement. Il y a des messages qu’on ne peut rêver plus clairs.
Aubrac est la porte du plateau, qui s’arrête au palier, nettement. “La porte de l’horreur, la porte des enfers”, indique un panneau, juste avant la descente. Les enfers. Voilà la vision que les gens avaient de ce lieu, qui colle tout à fait avec le fait qu’ici la vie ne trouve pas le repos éternel. C’est la définition exacte. Celui qui ne comprend pas ce qu’il traverse le traverse quand même, et il est important de traverser ce lieu sacré, pour que les morts qui restent bloqués en nous puissent aussi passer cette étape. Puis permettre la renaissance.
Ne pas perdre son passé, car il amortit le présent. C’est l’enseignement des chemins de l’Aubrac. Je suis en accord avec mon passé, et j’ai accepté d’autres nourritures que celles que j’ai cueillies moi-même. La confiance en l’inconnu est décuplée.
Margeride, Gévaudan, Aubrac. Les cimes centrales sont lieux de haute introspection. Je m’ouvre maintenant de nouveau au monde. »
Valerianella, le goût du départ – Charlieu ~ Le Puy-en-Velay (p. 46-48)
Sibthorpia, le murmure du temps – O Cebreiro ~ Compostelle ~ Fisterra (p. 167-169)
Extrait court
« Je suis prêt tôt malgré le gel. J’ai dormi au sec dans l’ancien four à pain de Rieutort-d’Aubrac, et suis en forme. J’ai envie d’avancer aujourd’hui, physiquement. J’ouvre la porte de mon refuge sur Antonio qui passe à ce moment.
— Ah salut ! Tu as dormi là ?
— Oui et toi ?
— J’ai campé un peu avant. Si j’avais su, j’aurais poursuivi jusqu’ici !
Il y a des gens qu’on croise souvent, mais qu’on ne rencontre jamais. Les regards pourtant se parlent depuis longtemps. La possibilité d’une belle rencontre, c’était ça jusqu’alors, Antonio et moi. Il est connu pour marcher vite, et veut faire beaucoup de kilomètres. Parfait. Notre nouveau groupe de deux suit donc les marques du gr.
Il n’y a pas grand monde de bon matin. La rencontre est précieuse, dynamisante. Après un long moment, nous nous disons qu’il est quand même bizarre de ne croiser personne. Et ça fait quatre heures que nous marchons à fond sans prendre de pause. Antonio allume son téléphone : l’application spéciale Compostelle nous indique que nous avons complètement dévié du chemin, à au moins 5 kilomètres d’ici. Nous avons suivi les marques identiques d’un autre gr. Tandis que je regrette les coquilles qui balisaient le chemin entre Charlieu et Le Puy, il ne nous reste qu’à regagner l’itinéraire à travers les belles étendues de l’Aubrac. Si beaucoup de gens disent que ces lieux sont magnifiques, ils disent aussi que ça ne dure pas assez longtemps. On va peut-être breveter ce parcours, finalement.
Deuxième fois que je marche avec quelqu’un, et seconde déviation imprévue. Au détour d’une rencontre, comme on dit, la marche partagée. J’aime cette expérience déviante. On voulait faire des kilomètres : nous avons été exaucés. Nous retrouvons le chemin à Aubrac, la cité qui a donné son nom au pays. Je n’ai pas pris le temps de cueillir, et mange alors dans une auberge. Une salade avec différents fromages locaux, pour changer. La terrasse s’avance sur le Jardin botanique de l’Aubrac. À mes pieds sont réunies les plantes rares de la région, juste là, servies sur un plateau, comme celui qui m’apporte mon assiette et celui que je viens de traverser.
Ce n’est pas parce qu’on fait des détours qu’on échappe à son destin. Au contraire, on permet son mouvement, qui révèle sa présence. Comme je n’ai aucune idée de rien, c’est en faisant un détour que j’ai su où j’étais, et vers où je vais réellement. Il y a des messages qu’on ne peut rêver plus clairs.
Aubrac est la porte du plateau, qui s’arrête au palier, nettement. “La porte de l’horreur, la porte des enfers”, indique un panneau, juste avant la descente. Les enfers. Voilà la vision que les gens avaient de ce lieu, qui colle tout à fait avec le fait qu’ici la vie ne trouve pas le repos éternel. C’est la définition exacte. Celui qui ne comprend pas ce qu’il traverse le traverse quand même, et il est important de traverser ce lieu sacré, pour que les morts qui restent bloqués en nous puissent aussi passer cette étape. Puis permettre la renaissance.
Ne pas perdre son passé, car il amortit le présent. C’est l’enseignement des chemins de l’Aubrac. Je suis en accord avec mon passé, et j’ai accepté d’autres nourritures que celles que j’ai cueillies moi-même. La confiance en l’inconnu est décuplée.
Margeride, Gévaudan, Aubrac. Les cimes centrales sont lieux de haute introspection. Je m’ouvre maintenant de nouveau au monde. »
(p. 76-78)
Valerianella, le goût du départ – Charlieu ~ Le Puy-en-Velay (p. 46-48)
Sibthorpia, le murmure du temps – O Cebreiro ~ Compostelle ~ Fisterra (p. 167-169)
Extrait court