Pakistan, Inde, Mongolie :
« Le crépuscule tombe sur Varanasi. Un flot continu de pèlerins se dirige vers le fleuve pour la puja – prière – du soir. La foule silencieuse s’assoit sur les ghâts, ces marches de pierre qui disparaissent dans l’eau, liens terrestres et liquides unissant les pèlerins à la déesse Gangâ. Car le Gange n’est pas un fleuve, mais une déesse. C’est précisément la fille du dieu des Neiges, descendue sur terre pour laver les péchés des hommes. Des clochettes tintent, accompagnées par le son flou d’un cor de brume. Trois brahmanes font danser l’encens, le lait et le feu. Prêtres héréditaires, ils connaissent les rituels complexes qu’exige Gangâ. Leurs gracieux mouvements circulaires précèdent les offrandes au fleuve. Sur les marches, d’autres brahmanes récitent des mantras, accompagnés par les percussions et les clochettes. Pour les hindous comme pour les bouddhistes, la musique est elle-même une offrande et un moyen d’intercession. Plusieurs fidèles déposent sur l’eau des coupelles de feuilles séchées contenant des pétales et une bougie ; c’est l’arti, le don du feu. Depuis trois mille ans, les hindous parcourent le sous-continent indien pour venir ici, à Varanasi. Ils psalmodient les mêmes prières, se baignent dans la même eau rédemptrice et rêvent que leurs cendres y soient immergées, pour couper court au cycle des réincarnations et se fondre enfin dans l’univers. Contemporaine de Babylone, sans cesse démolie et reconstruite, cette ville phénix ne finira jamais de renaître.
“Chacun, ici en Inde, cherche l’union mystique aussi banalement qu’on cherche l’argent en Amérique”, avait dit Malraux lors de son séjour à Varanasi. Pèlerins sincères, faux saints, vraies crapules, brahmanes, lépreux, intouchables, millionnaires, artistes, mendiants?, tous plongent dans l’eau sacrée, priant pour ne plus vivre de nouveau. Les femmes, elles, demandent à se réincarner en homme car une femme ne peut échapper directement au samsara, la métempsycose. À cette foule bigarrée s’ajoutent les immanquables vaches sacrées aux yeux de biche, les chèvres, les singes dressés pour voler à la tire, les enfants qui ne cessent de proposer “Postcard, postcard?”, leurs parents qui hurlent “Boat Madam, boat?”, leurs grands-parents qui réclament “Money, one rupee bakchich, money?” et, bien sûr, le soleil qui se lève chaque matin sur ce spectacle éternel, ce spectacle des vies et des morts. Les bûchers de crémation ronflent jour et nuit, les corbeaux croassent, les rats pullulent, singes et chiens se poursuivent : le répugnant côtoie sans cesse le sublime. Maisons, forteresses et temples s’entassent sur la rive occidentale alors que, de l’autre côté du fleuve, une langue de sable déserte s’étire à perte de vue. Zone maudite abandonnée aux intouchables car “ceux qui y vivent s’y réincarneront en singes ou en ânes”. Des temples ont sombré dans l’eau pour des raisons douteuses. Il ne faut pas chercher à tout comprendre : Varanasi, c’est une ambiance, un mystère, un cadeau de l’Inde. »
Sud de l’Europe (p. 14-15)
Extrait court
Extraits d’articles
Collecte de musiques travers le monde
« Le crépuscule tombe sur Varanasi. Un flot continu de pèlerins se dirige vers le fleuve pour la puja – prière – du soir. La foule silencieuse s’assoit sur les ghâts, ces marches de pierre qui disparaissent dans l’eau, liens terrestres et liquides unissant les pèlerins à la déesse Gangâ. Car le Gange n’est pas un fleuve, mais une déesse. C’est précisément la fille du dieu des Neiges, descendue sur terre pour laver les péchés des hommes. Des clochettes tintent, accompagnées par le son flou d’un cor de brume. Trois brahmanes font danser l’encens, le lait et le feu. Prêtres héréditaires, ils connaissent les rituels complexes qu’exige Gangâ. Leurs gracieux mouvements circulaires précèdent les offrandes au fleuve. Sur les marches, d’autres brahmanes récitent des mantras, accompagnés par les percussions et les clochettes. Pour les hindous comme pour les bouddhistes, la musique est elle-même une offrande et un moyen d’intercession. Plusieurs fidèles déposent sur l’eau des coupelles de feuilles séchées contenant des pétales et une bougie ; c’est l’arti, le don du feu. Depuis trois mille ans, les hindous parcourent le sous-continent indien pour venir ici, à Varanasi. Ils psalmodient les mêmes prières, se baignent dans la même eau rédemptrice et rêvent que leurs cendres y soient immergées, pour couper court au cycle des réincarnations et se fondre enfin dans l’univers. Contemporaine de Babylone, sans cesse démolie et reconstruite, cette ville phénix ne finira jamais de renaître.
“Chacun, ici en Inde, cherche l’union mystique aussi banalement qu’on cherche l’argent en Amérique”, avait dit Malraux lors de son séjour à Varanasi. Pèlerins sincères, faux saints, vraies crapules, brahmanes, lépreux, intouchables, millionnaires, artistes, mendiants?, tous plongent dans l’eau sacrée, priant pour ne plus vivre de nouveau. Les femmes, elles, demandent à se réincarner en homme car une femme ne peut échapper directement au samsara, la métempsycose. À cette foule bigarrée s’ajoutent les immanquables vaches sacrées aux yeux de biche, les chèvres, les singes dressés pour voler à la tire, les enfants qui ne cessent de proposer “Postcard, postcard?”, leurs parents qui hurlent “Boat Madam, boat?”, leurs grands-parents qui réclament “Money, one rupee bakchich, money?” et, bien sûr, le soleil qui se lève chaque matin sur ce spectacle éternel, ce spectacle des vies et des morts. Les bûchers de crémation ronflent jour et nuit, les corbeaux croassent, les rats pullulent, singes et chiens se poursuivent : le répugnant côtoie sans cesse le sublime. Maisons, forteresses et temples s’entassent sur la rive occidentale alors que, de l’autre côté du fleuve, une langue de sable déserte s’étire à perte de vue. Zone maudite abandonnée aux intouchables car “ceux qui y vivent s’y réincarneront en singes ou en ânes”. Des temples ont sombré dans l’eau pour des raisons douteuses. Il ne faut pas chercher à tout comprendre : Varanasi, c’est une ambiance, un mystère, un cadeau de l’Inde. »
(p. 88-91)
Sud de l’Europe (p. 14-15)
Extrait court
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Collecte de musiques travers le monde