Collection « Visions »

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Couverture

Échos d’Orient, Visions de glaneurs de musiques
Isabelle Vayron & Xavier Vayron


Échos d’Orient met en regard des photographies, des encadrés sur les traditions musicales et les instruments, ainsi qu’un récit qui trouve son prolongement dans les deux CD-audio inclus, qui rassemblent 2 heures 30 de mélodies et d’ambiances sonores. À travers le désert libyen, le plateau d’Anatolie, la vallée du Gange, la steppe mongole ou la jungle malaise, Isabelle et Xavier Vayron sont allés à la rencontre d’une centaine d’interprètes, professionnels ou amateurs, qu’ils ont enregistrés, photographiés et interviewés. Des voix du fado aux incantations soufies, de la complainte d’un berger iranien au chant diphonique mongol, du lusheng chinois au xylophone khmer, cet album offre une approche enthousiaste du riche patrimoine musical oriental.

Avec une préface par : Julie Boch

« Glaner. Ramasser dans les champs les épis laissés par les moissonneurs.
Cueillir ou ramasser au hasard, pièce à pièce.
Glaner sa nourriture : vivre de façon errante et précaire.
Des glaneurs, Isabelle et Xavier Vayron le sont à plus d’un titre. Partis à vélo de Paris, ils ont collecté pendant deux ans les musiques, les chants et les danses de vingt pays d’Orient, grappillant des sons, butinant des rencontres, faisant leur miel d’une vocalise, d’un battement de tambour ou d’un coup d’archet. Ils ne savaient pas le matin où ils dormiraient le soir, traçant mois après mois un itinéraire que seuls déterminaient le désir, le hasard, l’attrait de l’inconnu. À chaque tour de pédale, un univers nouveau se dévoilait à eux, qui complétait cette tapisserie orientale dont le fil d’or était la poursuite de la musique, clef des traditions religieuses ou sociales : des processions de la Semaine sainte en Calabre à l’appel du muezzin planant au-dessus d’Alexandrie, d’une transe soufie à un cours de gymnastique à Ispahan, d’un mariage touareg à un enterrement vietnamien, Isabelle et Xavier ont observé et parfois partagé les mille façons que les hommes ont de prier, de se réjouir et de pleurer.
Les deux cousins sont partis en sachant ce qu’ils cherchaient, mais pas ce qu’ils allaient trouver. C’est cette fraîcheur du regard et de l’écoute qui fait le prix de leur voyage. Aucun didactisme dans leur approche, mais pas d’amateurisme non plus. L’expérience du reportage que possédait Isabelle, la compétence technique de Xavier, expliquent la rigueur du choix des musiciens, la qualité des enregistrements, la beauté des photographies et la richesse du texte. Ils arrivaient les mains nues, à la seule force des mollets, un microphone et un appareil photo pour seules armes et leur curiosité comme seul viatique. C’est le dénuement et la sincérité de leur approche qui leur ont ouvert les portes des maisons, des universités, des ateliers et des arrière-salles ; partout, on leur indiquait les musiciens, quand ces derniers ne venaient pas spontanément à eux. Orgueil des villages ou fleuron des villes, amateurs passionnés ou professionnels reconnus, dans une oasis ou au fond d’une auberge, les interprètes se sont livrés sans réserve aux deux cousins, l’engagement artistique des premiers récompensant l’implication physique des seconds. La fougue d’Isabelle, la douceur de Xavier, la persévérance souriante de l’un et de l’autre, furent les sésames de leur long voyage au pays de la musique. Car il est un pays de la musique, un lieu qu’habitent tous ceux dont l’art sollicite, en les faisant vibrer d’une manière différente, les mêmes cordes de l’âme humaine. Les paysages que l’on découvre au fil de ces pages ne sont pas des intermèdes, ils éclairent les musiques qu’ils ont fait naître et qui, en retour, les donnent à lire. Pour dessiner cette géographie de l’âme, le son se fait couleur, matière et forme. Pas de limbe sans chevauchée dans l’étendue de la steppe ; les mélismes du qawal s’élèvent vers Dieu telles les flèches des minarets ; la vibration des gongs résonne comme la pluie de la mousson sur les toits ; l’âpreté des chants de la Passion s’accorde aux frottements des ailes des cigales dans le ciel méditerranéen ; la vigueur mélancolique du fado porte toute la révolte des tavernes de l’Alfama. On admire dans ces pages le génie inventif de l’homme, capable d’exprimer la singularité de son environnement dans l’agencement de rythmes et de notes.
Découvrir les musiques conduit, paradoxalement, à réévaluer les bruits, aussi les auteurs nous convient-ils à une plongée dans les ambiances : stridulation des grillons dans la campagne sicilienne, cris des marchands du souk de Tunis, grincement des norias géantes sur l’Oronte, pleurs d’un bébé sous une tente bédouine de Palmyre, exclamations des joueurs de trictrac dans les rues d’Istanbul, clapotis du Gange léchant les ghâts de Bénarès, bruissement de la jungle malaise : autant de sons, autant d’atmosphères, qui évoquent, instantanément, la présence de la nature et l’activité humaine. L’association de l’image, du son et de l’écrit, en plaçant les rencontres dans leur cadre, permet de dépasser les impressions superficielles : alors, l’oreille semble développer des facultés nouvelles, et s’ouvrir à ce qui la rebutait d’abord. Prendre le temps d’écouter, c’est pouvoir comprendre ; pouvoir comprendre, c’est savoir aimer. Aimer le son rugueux de l’er’hu, qui, lorsqu’il s’élève dans l’aube d’un parc chinois, n’est plus un raclement désagréable mais possède l’émouvante simplicité d’un instrument populaire ; aimer le tournoiement obsessionnel des chants du désert libyen, dont le mouvement répétitif reflète l’ondoiement infini des dunes ; aimer la voix nasillarde du ney, qui fait écho à la plainte d’un canari en cage dans l’atelier d’un cordonnier syrien ; aimer le timbre apparemment faux du lusheng, et trouver, dans cet étrange orgue portatif, un charme acide et entêtant. Chacun, bien sûr, se découvrira une préférence mystérieuse pour tel ou tel instrument, une voix plutôt qu’une autre ; là réside le secret de la musique : l’accord énigmatique que lui octroie ou lui refuse l’architecture intime de l’âme.
Ce que nous donnent à voir, à entendre et à comprendre les auteurs, c’est la part proprement charnelle de la musique : d’abord, le travail du luthier fabriquant l’instrument, comme cet artisan de Tunis caressant du rabot le corps de l’oûd ; ensuite, la transmission du savoir, celui par exemple de ce maître égyptien qui reçoit chez lui ses élèves ; enfin, la pratique, faite d’exercices et de répétitions, ainsi celle des élèves du conservatoire de Songkhla, en Thaïlande, qui mêlent gammes et arpèges en un joyeux tohu-bohu. Sans doute Isabelle et Xavier n’imaginaient-ils pas combien la musique transcende les difficultés de l’existence et permet de garder une ligne d’horizon : l’énergie déchirante du chant des minorités de Turquie, le son grêle d’une flûte de plastique taillée par un berger iranien pour conjurer sa solitude, la pureté du chant diphonique des cavaliers mongols aux pieds nus, la gaieté des sons que les orphelins cambodgiens tirent de leur xylophone : autant de témoignages du baume souverain qu’est la musique, qui transforme le cri de la douleur en voix de l’esprit. Eux-mêmes n’auraient pas su dépasser les conflits que leurs tempéraments opposés avaient fait naître au cours de cette cohabitation de deux années, sans l’exigence commune de leur quête musicale ; entre eux aussi, la musique a recousu les déchirures et comblé les fossés. En somme, peut-être la valeur ultime de ce livre est-elle de célébrer, contre toute attente, la vertu des dissonances. »

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