L’aventure vitale :
« L’aventurier vaut-il mieux que le touriste ? Peut-être, car il voyage généralement par ses propres moyens, évitant le recours à une trop facile motorisation. L’aventurier – tout du moins celui que je reconnais comme tel – juge même le moteur suspect, ainsi que le liquide dont il faut le nourrir, comme s’il craignait de la vitesse et de la puissance artificiellement placées entre ses mains qu’elles le détournent de lui-même et de son devoir existentiel de cheminer. L’aventurier voyage par plaisir mais pas seulement, il se sent un peu chargé de mission, apostrophé par un devoir dont il cherche inépuisablement le sens. C’est que l’aventurier d’aujourd’hui, bien avant d’être un consommateur, s’interroge sur ce qu’il doit accomplir en ce bas monde.
Il y a des récits d’aventure, des films d’aventure, des festivals de l’aventure. L’aventure est un loisir, une fantaisie individualiste qui saupoudre un peu d’exotisme au nez de qui reste chez lui. Une idée, un sponsor, une assurance rapatriement et c’est parti. Cap sur l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Asie pour s’exercer à l’incontournable “rencontre de l’autre”. Direction le grand large, les pôles ou les déserts pour soutenir la nécessaire “rencontre de soi”. Très en vogue pour les couples, le tour du monde à vélo avec un enfant en bas âge.
Hélas, les aventuriers d’aujourd’hui ont bien du mal à comprendre où ils vont, et pourquoi ils vont. Ils se pensent libres alors qu’ils tournent en rond. Les plus médiatiques font fortune sur des exploits publicitaires ; les plus courageux restent inconnus. Les premiers produisent de l’illusion à grande échelle, les seconds projettent leurs diapositives dans les maisons de retraite. Tous commercialisent un résidu de rêve. Ils ne servent d’ailleurs qu’à cela. Le public n’a pas besoin de rêves démesurés, des bribes lui suffisent.
C’est tout. Sachant que l’aventure ne sert plus à rien, ce n’est déjà pas si mal. La relégation de l’aventure au domaine du loisir, comparable à celle de la traction hippomobile à celui des champs de course, aurait pu la faire disparaître complètement. On ne doit sa survivance qu’à une poignée d’idéalistes. Mais qui parmi eux se souvient que la passion qui les taraude, et qu’ils identifient à un goût personnel exempt d’enjeu social, fut l’énergie première de l’Occident ? Qui connaît le rôle fondamental de l’aventure dans le surgissement de l’histoire ? Qui sait dans quelles forces il puise lorsqu’il trace sa route à l’estime ? »
Héraut de la nature (p. 56-57)
La parabole de Shackleton (p. 111-115)
Extrait court
« L’aventurier vaut-il mieux que le touriste ? Peut-être, car il voyage généralement par ses propres moyens, évitant le recours à une trop facile motorisation. L’aventurier – tout du moins celui que je reconnais comme tel – juge même le moteur suspect, ainsi que le liquide dont il faut le nourrir, comme s’il craignait de la vitesse et de la puissance artificiellement placées entre ses mains qu’elles le détournent de lui-même et de son devoir existentiel de cheminer. L’aventurier voyage par plaisir mais pas seulement, il se sent un peu chargé de mission, apostrophé par un devoir dont il cherche inépuisablement le sens. C’est que l’aventurier d’aujourd’hui, bien avant d’être un consommateur, s’interroge sur ce qu’il doit accomplir en ce bas monde.
Il y a des récits d’aventure, des films d’aventure, des festivals de l’aventure. L’aventure est un loisir, une fantaisie individualiste qui saupoudre un peu d’exotisme au nez de qui reste chez lui. Une idée, un sponsor, une assurance rapatriement et c’est parti. Cap sur l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Asie pour s’exercer à l’incontournable “rencontre de l’autre”. Direction le grand large, les pôles ou les déserts pour soutenir la nécessaire “rencontre de soi”. Très en vogue pour les couples, le tour du monde à vélo avec un enfant en bas âge.
Hélas, les aventuriers d’aujourd’hui ont bien du mal à comprendre où ils vont, et pourquoi ils vont. Ils se pensent libres alors qu’ils tournent en rond. Les plus médiatiques font fortune sur des exploits publicitaires ; les plus courageux restent inconnus. Les premiers produisent de l’illusion à grande échelle, les seconds projettent leurs diapositives dans les maisons de retraite. Tous commercialisent un résidu de rêve. Ils ne servent d’ailleurs qu’à cela. Le public n’a pas besoin de rêves démesurés, des bribes lui suffisent.
C’est tout. Sachant que l’aventure ne sert plus à rien, ce n’est déjà pas si mal. La relégation de l’aventure au domaine du loisir, comparable à celle de la traction hippomobile à celui des champs de course, aurait pu la faire disparaître complètement. On ne doit sa survivance qu’à une poignée d’idéalistes. Mais qui parmi eux se souvient que la passion qui les taraude, et qu’ils identifient à un goût personnel exempt d’enjeu social, fut l’énergie première de l’Occident ? Qui connaît le rôle fondamental de l’aventure dans le surgissement de l’histoire ? Qui sait dans quelles forces il puise lorsqu’il trace sa route à l’estime ? »
(p. 133-134)
Héraut de la nature (p. 56-57)
La parabole de Shackleton (p. 111-115)
Extrait court