Livre quatrième :
« Montée sur son estrade surmontée d’un porche, la yourte du khamba occupait une vaste cour du nord-ouest de l’enceinte de Zaya. À l’intérieur, l’espace était presque saturé d’icônes et de statuettes abritées dans leurs niches. Au centre trônait une imposante icône du Bouddha, protégée dans son écrin rouge aux entrelacs dorés. Assis dans une pose sereine, une coupe remplie de beurre dans la main droite posée sur ses genoux, il semblait fixer la porte de ses yeux verts et doux. L’odeur douceâtre et envoûtante de l’encens brun du Tibet mêlée à celle, un rien amère mais délicieusement aigre, de celui du Khangai, le voluptueux brouillard bleuté qui baignait la pièce, tout respirait la majesté, intimidante.
Le khamba était assis à droite, sur un lit en bois massif mais peu élevé, percé de tiroirs et couvert d’une peau d’ours. Le deel de soie jaune au col en biais dans lequel il s’était emmitouflé était doublé de peau d’agneau.
Il y avait là une dizaine de personnes, des lamas mais aussi quatre roturiers, dont Badarch.
— Nous sommes au complet ? demanda le khamba en fixant un point au-dessus de la tête des gens assemblés.
— Personne ne manque à l’appel, répondit Tsamba.
Le gesgui s’inquiéta :
— Couvrons la cheminée : on dit que les Rouges profitent de ces ouvertures pour espionner.
Le khamba esquissa un sourire narquois.
— Ce n’est pas le problème. La porte, par contre. Est-ce qu’on a veillé à poster des gens pour la garder ?
Il s’adressait à Tsamba.
— Dix de chaque côté.
— De confiance ?
— Je réponds d’eux.
— Les temps sont durs, il devient difficile de trouver à qui se fier, fit un lama en parcourant l’assemblée du regard.
Le khamba s’éclaircit la voix et posa son chapelet sur la table dans un bruit fracassant :
— À l’heure actuelle, le Gouvernement populaire gagne chaque jour du terrain. Après nous avoir menés à la baguette comme de chétifs veaux de mai, il compte maintenant nous bouffer ! La lamaserie et les gens de race sont assujettis à l’impôt et doivent prendre part aux corvées de relais. Les temps ont changé. Le servage, la transmission héréditaire des privilèges, tous ces nobles principes : balayés ! Autrefois les gouverneurs étaient des fonctionnaires désignés par l’administration pour diriger la bannière. Maintenant, c’est le système électoral qui y pourvoit. Les nobles ont été limogés. Nous admettre – et encore, certains d’entre nous – au sein de leur parti, ce n’était qu’une manœuvre pour gagner du temps et rassembler leurs forces. Il est maintenant clair qu’il n’y aura pas de Bogd IX. Ils ont pris tous les pouvoirs et siègent au-dessus de nos têtes. Par les temps qui courent, c’est soit attendre la mort en nous laissant engourdir comme des mouches en automne, soit nous battre pour défendre la moralité et la foi du Bouddha.
Il enchaîna cette introduction sur un long discours et exposa son plan de bataille, celui grâce auquel il comptait faire tomber le Gouvernement populaire. »
Livre deuxième (p. 261-262)
Livre troisième (p. 481-482)
Extrait court
« Montée sur son estrade surmontée d’un porche, la yourte du khamba occupait une vaste cour du nord-ouest de l’enceinte de Zaya. À l’intérieur, l’espace était presque saturé d’icônes et de statuettes abritées dans leurs niches. Au centre trônait une imposante icône du Bouddha, protégée dans son écrin rouge aux entrelacs dorés. Assis dans une pose sereine, une coupe remplie de beurre dans la main droite posée sur ses genoux, il semblait fixer la porte de ses yeux verts et doux. L’odeur douceâtre et envoûtante de l’encens brun du Tibet mêlée à celle, un rien amère mais délicieusement aigre, de celui du Khangai, le voluptueux brouillard bleuté qui baignait la pièce, tout respirait la majesté, intimidante.
Le khamba était assis à droite, sur un lit en bois massif mais peu élevé, percé de tiroirs et couvert d’une peau d’ours. Le deel de soie jaune au col en biais dans lequel il s’était emmitouflé était doublé de peau d’agneau.
Il y avait là une dizaine de personnes, des lamas mais aussi quatre roturiers, dont Badarch.
— Nous sommes au complet ? demanda le khamba en fixant un point au-dessus de la tête des gens assemblés.
— Personne ne manque à l’appel, répondit Tsamba.
Le gesgui s’inquiéta :
— Couvrons la cheminée : on dit que les Rouges profitent de ces ouvertures pour espionner.
Le khamba esquissa un sourire narquois.
— Ce n’est pas le problème. La porte, par contre. Est-ce qu’on a veillé à poster des gens pour la garder ?
Il s’adressait à Tsamba.
— Dix de chaque côté.
— De confiance ?
— Je réponds d’eux.
— Les temps sont durs, il devient difficile de trouver à qui se fier, fit un lama en parcourant l’assemblée du regard.
Le khamba s’éclaircit la voix et posa son chapelet sur la table dans un bruit fracassant :
— À l’heure actuelle, le Gouvernement populaire gagne chaque jour du terrain. Après nous avoir menés à la baguette comme de chétifs veaux de mai, il compte maintenant nous bouffer ! La lamaserie et les gens de race sont assujettis à l’impôt et doivent prendre part aux corvées de relais. Les temps ont changé. Le servage, la transmission héréditaire des privilèges, tous ces nobles principes : balayés ! Autrefois les gouverneurs étaient des fonctionnaires désignés par l’administration pour diriger la bannière. Maintenant, c’est le système électoral qui y pourvoit. Les nobles ont été limogés. Nous admettre – et encore, certains d’entre nous – au sein de leur parti, ce n’était qu’une manœuvre pour gagner du temps et rassembler leurs forces. Il est maintenant clair qu’il n’y aura pas de Bogd IX. Ils ont pris tous les pouvoirs et siègent au-dessus de nos têtes. Par les temps qui courent, c’est soit attendre la mort en nous laissant engourdir comme des mouches en automne, soit nous battre pour défendre la moralité et la foi du Bouddha.
Il enchaîna cette introduction sur un long discours et exposa son plan de bataille, celui grâce auquel il comptait faire tomber le Gouvernement populaire. »
(p. 694-695)
Livre deuxième (p. 261-262)
Livre troisième (p. 481-482)
Extrait court