Hivernage et préparatifs :
« Sur les hauteurs de l’île, dans les endroits les plus exposés, les pétrels géants ont bâti leurs nids. Autour d’eux, le vent des jours précédents a tassé la neige et certains poussins en sont même couverts, leur tête seule émergeant. Comment peuvent-elles, ces petites boules de duvet tapies sur leur lit de pierres, résister aux intempéries ? Certains jeunes doivent périr, surtout au moment où ils sont sur le point de quitter leur nid pour essayer leurs ailes. Mais, au début d’avril, la plupart restent sagement sur leur tas de cailloux, attendant que leur duvet soit remplacé par le premier plumage, noir. De temps à autre, les plus précoces étirent leurs ailes pour les agiter maladroitement et sans coordination. Quelques mètres plus bas, des oiseaux atterrissent. Ils se dandinent et hésitent à s’approcher de leurs nids respectifs. Ces pétrels ont une envergure qui peut atteindre deux mètres quarante. Leur plumage est en général marron clair, mais il est blanc chez dix pour cent de la population.
Celui qui approche est justement l’un des douze individus blancs que nous avons recensés sur l’île. Notre immobilité le rassure et il rejoint son petit, qui l’a déjà repéré et s’agite en piaffant d’impatience pour son repas retardé par le récent coup de vent ! N’y tenant plus, il sort du nid et bombarde l’adulte d’une succession de cris et de coups rageurs. Enfin le bec s’ouvre, et le petit y plonge le sien. Environ une centaine de ces poussins nichent sur l’île, et nous les découvrons parfois presque sous nos pieds, dans la neige. La première fois que nous avons traversé Avian, nous avons surpris un groupe de plusieurs dizaines d’adultes rassemblés sur une congère : certains dormaient, d’autres se lissaient les plumes. Effrayés par notre arrivée, ils s’étaient égaillés avant de se diriger enfin vers leur piste de décollage du haut de la congère qui menait à la mer ; l’un après l’autre, ils s’envolaient, courant maladroitement ailes écartées dans la pente. Après vingt ou trente mètres de course, ils décollaient au ras de l’eau, certains poussant encore avec leurs pattes sur la surface. Au sol, la neige était sale, couverte de plumes. Ce devait être l’époque de la mue. Aujourd’hui, nous approchons furtivement ce même lieu, et, du haut des rochers, regardons les oiseaux encore tranquillement assemblés? Puis un vrombissement nous fait lever la tête.
— Regarde, Jérôme, ce sont des cormorans !
Une cinquantaine de cormorans aux yeux bleus passent au-dessus de nous, vers le sud de l’île, volant en escadrille en forme de V. Ils ralentissent en virant à l’aplomb des falaises de la côte ouest et après un dernier coup de frein, ailes levées, chutent maladroitement au sol.
— Peut-être nichent-ils eux aussi sur l’île ?
Ce serait formidable, une colonie de cormorans, en plus des pétrels géants et des manchots Adélie ! Dans l’après-midi, un cri de manchot nous attire au-dehors. Une dizaine d’individus se tiennent devant le bateau, l’air coquin et curieux. En arrivant, nous en avions seulement aperçu quelques-uns, sales, les plumes froissées, l’œil triste. Ils étaient au bout de leur réserve de graisse après une saison de reproduction et deux semaines de jeûne pour parachever la mue. Ils reviennent en pleine forme, sans doute parce qu’ils ont enfin pu se nourrir en mer. Ils sont nombreux à envahir l’île et, dès le lendemain, plus d’un millier d’individus sont rassemblés sur la plage et dans les colonies. Beaucoup dorment, à plat ventre, le bec enfoncé dans la neige. D’autres restent debout, immobiles et rêveurs. Certains s’affairent sur les nids. Tous semblent attendre un signal. Le 14 avril, la température chute à – 15 °C et tous les manchots disparaissent. Où partent-ils ? Où passeront-ils l’hiver ? On ne le sait pas actuellement mais nul doute que leur départ présage de l’installation de l’hiver. »
En route pour la Péninsule (p. 43-44)
De Terra Firma à Avian (p. 141-143)
Extrait court
« Sur les hauteurs de l’île, dans les endroits les plus exposés, les pétrels géants ont bâti leurs nids. Autour d’eux, le vent des jours précédents a tassé la neige et certains poussins en sont même couverts, leur tête seule émergeant. Comment peuvent-elles, ces petites boules de duvet tapies sur leur lit de pierres, résister aux intempéries ? Certains jeunes doivent périr, surtout au moment où ils sont sur le point de quitter leur nid pour essayer leurs ailes. Mais, au début d’avril, la plupart restent sagement sur leur tas de cailloux, attendant que leur duvet soit remplacé par le premier plumage, noir. De temps à autre, les plus précoces étirent leurs ailes pour les agiter maladroitement et sans coordination. Quelques mètres plus bas, des oiseaux atterrissent. Ils se dandinent et hésitent à s’approcher de leurs nids respectifs. Ces pétrels ont une envergure qui peut atteindre deux mètres quarante. Leur plumage est en général marron clair, mais il est blanc chez dix pour cent de la population.
Celui qui approche est justement l’un des douze individus blancs que nous avons recensés sur l’île. Notre immobilité le rassure et il rejoint son petit, qui l’a déjà repéré et s’agite en piaffant d’impatience pour son repas retardé par le récent coup de vent ! N’y tenant plus, il sort du nid et bombarde l’adulte d’une succession de cris et de coups rageurs. Enfin le bec s’ouvre, et le petit y plonge le sien. Environ une centaine de ces poussins nichent sur l’île, et nous les découvrons parfois presque sous nos pieds, dans la neige. La première fois que nous avons traversé Avian, nous avons surpris un groupe de plusieurs dizaines d’adultes rassemblés sur une congère : certains dormaient, d’autres se lissaient les plumes. Effrayés par notre arrivée, ils s’étaient égaillés avant de se diriger enfin vers leur piste de décollage du haut de la congère qui menait à la mer ; l’un après l’autre, ils s’envolaient, courant maladroitement ailes écartées dans la pente. Après vingt ou trente mètres de course, ils décollaient au ras de l’eau, certains poussant encore avec leurs pattes sur la surface. Au sol, la neige était sale, couverte de plumes. Ce devait être l’époque de la mue. Aujourd’hui, nous approchons furtivement ce même lieu, et, du haut des rochers, regardons les oiseaux encore tranquillement assemblés? Puis un vrombissement nous fait lever la tête.
— Regarde, Jérôme, ce sont des cormorans !
Une cinquantaine de cormorans aux yeux bleus passent au-dessus de nous, vers le sud de l’île, volant en escadrille en forme de V. Ils ralentissent en virant à l’aplomb des falaises de la côte ouest et après un dernier coup de frein, ailes levées, chutent maladroitement au sol.
— Peut-être nichent-ils eux aussi sur l’île ?
Ce serait formidable, une colonie de cormorans, en plus des pétrels géants et des manchots Adélie ! Dans l’après-midi, un cri de manchot nous attire au-dehors. Une dizaine d’individus se tiennent devant le bateau, l’air coquin et curieux. En arrivant, nous en avions seulement aperçu quelques-uns, sales, les plumes froissées, l’œil triste. Ils étaient au bout de leur réserve de graisse après une saison de reproduction et deux semaines de jeûne pour parachever la mue. Ils reviennent en pleine forme, sans doute parce qu’ils ont enfin pu se nourrir en mer. Ils sont nombreux à envahir l’île et, dès le lendemain, plus d’un millier d’individus sont rassemblés sur la plage et dans les colonies. Beaucoup dorment, à plat ventre, le bec enfoncé dans la neige. D’autres restent debout, immobiles et rêveurs. Certains s’affairent sur les nids. Tous semblent attendre un signal. Le 14 avril, la température chute à – 15 °C et tous les manchots disparaissent. Où partent-ils ? Où passeront-ils l’hiver ? On ne le sait pas actuellement mais nul doute que leur départ présage de l’installation de l’hiver. »
(p. 77-78)
En route pour la Péninsule (p. 43-44)
De Terra Firma à Avian (p. 141-143)
Extrait court