Collection « Compagnons de route »

  • Robert Louis Stevenson
  • Henry Miller
  • Antoine de Saint Exupéry
  • Abbé Pierre
  • Panaït Istrati
  • Joseph Kessel
  • Stanley Kubrick
  • Vladimir Vyssotski
  • Ernest Hemingway
  • Blaise Cendrars
Couverture
Introduction – Lettre ouverte à Stevenson :

« “Bien que cette lettre soit destinée à tous, une habitude ancienne et aimable veut que nous l’adressions extérieurement à un seul individu.” Et celui-là, c’est vous, Robert Louis Stevenson. Je me contente de reprendre à mon compte cette phrase que vous écriviez dans une lettre à votre fidèle ami, critique rigoureux et éditeur consciencieux, Sidney Colvin. Je l’ai trouvée dans la “Dédicace” de votre récit Voyage avec un âne dans les Cévennes.
Stevenson, un nom qui résonne, des lettres qui se cognent dans les tours des phares d’Écosse et jusqu’à l’optique de celui de la pointe Vénus à Tahiti. Elles ricochent dans l’écume de mers déchaînées, d’Édimbourg où vous êtes né en 1850 aux Samoa, votre ultime refuge, où vous disparaissez quarante-quatre ans plus tard, un soir de décembre 1894.
Stevenson, un nom qui évoque, au-delà de l’œil de verre et de la jambe de bois du pire portrait de pirate de L’Île au trésor, une œuvre et une vie qui m’ont séduite.
Stevenson, précédé du prénom que vous avez vous-même choisi, une signature en élégantes lettres déliées qui s’appose et s’impose en moins de vingt ans dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’était l’heure glorieuse de l’essor industriel, des premiers bateaux à vapeur et des premières lignes de chemin de fer qui traversaient océans et continents, de Glasgow à New York et jusqu’en Californie, de San Francisco aux Marquises, de Sydney aux Samoa. Deux océans, non des moindres, l’Atlantique et le Pacifique, que vous avez captés dans leur farouche sauvagerie. L’Amérique que vous avez traversée par le train d’est en ouest, partageant la route de l’exil des migrants du Vieux Continent vers l’Eldorado des chercheurs d’or. Et jusqu’aux innombrables îlots des mers du Nord aux mers du Sud que vous avez courues et parcourues, le regard en éveil, la plume toujours alerte, en quête de liberté.
C’est la mer, ce sont les îles, les phares qu’ont édifiés vos ancêtres, mes innombrables voyages dans votre Écosse natale et le récit palpitant de vos aventures qui m’ont littéralement portée vers votre œuvre et votre vie de façon indissociable. Ne disiez-vous pas vous-même que l’histoire de votre vie vous était plus chère que n’importe quel poème ?
Cette soif de vous découvrir et de mieux vous connaître est née par 60° 07’ de latitude nord, 01° 07’ de longitude ouest, et surtout à la lumière de deux éclats blancs qui balaient de leur faisceau, toutes les vingt secondes depuis 1858 – vous aviez tout juste 8 ans –, la tumultueuse mer du Nord et les côtes accores des Shetland au large de l’île de Bressay.
La première fois que j’y suis allée, j’ai été interpellée par un banal panneau dans l’enceinte du phare. Il laissait entendre que cet édifice, comme tant d’autres, aurait inspiré, presque à votre insu, l’un de vos romans dont je n’avais jamais entendu parler, Kidnapped ! – “Enlevé !” en français –, et même L’Île au trésor. La tentation était irrésistible de vérifier pareille information. Bien m’en a pris.
Je n’avais jusqu’alors fait qu’effleurer votre œuvre, à l’école primaire. Long John Silver, pas plus que David Balfour ou Jim Hawkins, n’évoquait rien qui vaille à l’époque à la petite fille que j’étais. Mais à force d’aimer passionnément les lumières qui se posent sur les reliefs et les côtes de l’Écosse, à force de séjourner dans les phares construits par votre père, votre oncle et votre grand-père, et surtout à partir de ce solstice d’été de 2011 où je suis retournée au phare de Bressay avec un collectif d’artistes et un projet d’écriture, Le Phare où l’âme vagabonde, je tombai en amour. On Falling in Love, pour reprendre le titre d’un de vos essais. Je portais fièrement dans mon sac à dos pour tout bagage littéraire le tome 1 flambant neuf de vos œuvres en français dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade. Ce fut une révélation, une confirmation. L’Île au trésor certes, mais plus encore Le Pavillon dans les dunes, le récit de votre Croisière à l’intérieur des terres et celui de votre Voyage avec un âne dans les Cévennes ont achevé de me convaincre. J’étais irrémédiablement emportée dans votre sillage. Cet épisode marquait le début d’une aventure passionnante.
Depuis, vous êtes de tous mes voyages, de toutes mes lectures, de chaque mot que j’écris, de mes pensées également. La pile de vos livres et les écrits d’auteurs et de textes annexes à votre sujet, que j’ai lus avec passion, annotés, dont j’ai corné les pages et recopié des passages, ne cesse de croître, en français, en anglais, empruntés, découverts au gré de mes voyages. À la Central Library, George IV Bridge, dans la capitale écossaise, j’ai passé tant de temps que la bibliothécaire a accepté de me laisser partir pour quelques mois avec des ouvrages introuvables vous concernant. Quelle chance ! Je n’entre pas dans une librairie sans m’enquérir d’un titre que je n’aurais pas encore lu. Pour tuer le temps un jour où j’attendais une correspondance à la gare de Vitré, je passai la porte d’une boutique et trouvai, ô stupéfaction, deux œuvres qui m’étaient inconnues : Le Creux de la vague, un conte sinistre sur le thème de la mort écrit aux Samoa en 1893, quelques mois seulement avant votre disparition, et Gentlemen, suivi d’une Lettre à un jeune gentleman qui se propose d’embrasser la carrière artistique et de La Philosophie des parapluies, en référence au parapluie de feuilles de Robinson Crusoé, des billets d’humeur aussi étonnants que peut l’être votre Apologie des oisifs, une pépite. Comme on s’engouffre dans une brèche, je plongeai dans votre œuvre et allai de surprise en surprise, avec des moments de pure extase. Je n’oublierai jamais ce jour d’hiver où, traînant sur les quais parisiens, j’ai eu le bonheur de voir, au beau milieu de la vitrine de la librairie Shakespeare and Company, dans une première édition splendide, un exemplaire du récit de votre voyage de noces dans une mine désaffectée de Californie, The Silverado Squatters, avec une magnifique gravure sur cuir en couverture. Je suis entrée, extrêmement émue, déterminée. L’ouvrage était hélas à un prix inabordable. Je me suis contentée d’immortaliser ce moment qui restera de frustration par une photographie. C’était dans le Quartier latin, là où, dans vos années de bohème, l’âme insouciante, vous vous égariez avec votre cousin Bob, portant une veste de velours qui vous valut même le sobriquet de Velvet Coat. Inoubliables naturellement aussi ces nuits passées dans une maison d’hôtes, à Heriot Row à Édimbourg, dans la chambre où vous avez vécu. Imaginez ! J’avais pour livres de chevet les trente-cinq volumes de votre œuvre dans la sublime édition Tusitala. Le bonheur absolu ! Je n’ai guère dormi ces nuits-là, mais beaucoup rêvé et lu convulsivement. Dans un anglais émaillé de scots ou de gaélique et souvent truffé de français dans le texte, vos écrits étaient là, à portée.
Une œuvre unique et plurielle. Des romans, nouvelles, récits, essais, pamphlets par dizaines, des poèmes par centaines, ce qui laisse à penser aux Écossais que les Français connaissent Stevenson davantage par sa poésie que par L’Île au trésor ou L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, et des lettres par milliers. Comme vous, elles ont beaucoup voyagé. D’Auckland en Nouvelle-Zélande à Oakland en Californie, elles franchissaient par la mer l’équateur d’un tropique à l’autre. D’Édimbourg à Menton ou de Grez-sur-Loing à Londres, la malle-poste transportait bien des confidences. Vos lettres jouent en effet un rôle primordial dans la relation de votre œuvre à votre vie. Vous les avez voulues intimes et secrètes, mais aussi ouvertes et publiées. Adressées à votre famille, vos amis, vos pairs ou vos éditeurs, elles crient la lutte contre la maladie qui, de votre naissance à votre mort, ne vous a pas épargné, la faim et le besoin d’argent et d’indépendance, la révolte et l’amitié, la soif de reconnaissance, la quête du voyage et de la liberté, de la vôtre et de celles des peuples opprimés. Il y a celle, extraordinaire, adressée à votre mère alors en cure à Menton, datée du 12 novembre 1863, la veille de vos 13 ans. Vous y décriviez votre gâteau d’anniversaire et le prix qu’il avait coûté. Vous la commenciez dans un français cahotant et touchant qui traduit une grande affection. Vous l’interrompiez comiquement faute d’encre et la terminiez par un bref paragraphe en anglais, votre langue maternelle, à l’adresse de votre père dont vous redoutiez le jugement. Vous lui confiiez ne pas aller très bien, souhaiter quitter le collège Spring Grove School, rentrer à la maison, à Heriot Row, et vivre auprès de lui. C’est d’ailleurs par lettre que le plus souvent vous annonciez vos grandes décisions. Comme ce jour d’octobre 1874 – vous aviez à peine 24 ans – où, toujours à votre mère, vous confessiez “être quelque part un vagabond”. Moment capital et déterminant de votre vie. Et puis, il y a tous ces messages d’inquiétude devant la maladie, la mort et l’oubli. C’est cette angoisse probablement qui a fait que vos lettres nous sont parvenues, à nous, lecteurs. Un jour de l’automne 1888, à seulement 38 ans, alors que vous souffriez le martyre et qu’à bout de souffle vous pensiez votre dernière heure venue, vous avez glissé entre les mains de Lloyd Osbourne, le fils de votre femme, un message et une lettre scellée à remettre à votre ami Sidney Colvin. Vous le priiez d’ouvrir cette lettre après votre disparition… Par bonheur, cette mort annoncée prit six ans pour advenir. Colvin ouvrit la lettre et exauça votre vœu. Vous lui demandiez de collecter auprès de vos amis et de vos nombreux correspondants les missives de toute votre vie, d’en faire une réelle sélection, d’éliminer les quelques trop intimes de votre jeunesse, celles qui ne relevaient que du domaine des affaires dans votre maturité, et de les éditer en même temps qu’une histoire de votre vie. Ce fut fait. L’automne suivant votre mort, en 1895, paraissait sous le titre Vailima Letters, du nom de votre dernière demeure aux Samoa, un premier volume de vos lettres. Puis, au terme d’un imposant travail de Colvin, la sélection dans son ensemble fut publiée en 1899. Nous lui devons beaucoup. Dans l’édition Tusitala, vos lettres représentent au moins cinq volumes.
Alors, à l’homme de lettres, à l’écrivain, au voyageur, au poète, au raconteur d’histoires, à l’aventurier que vous étiez, je rends hommage, en m’engageant dans vos pas et ceux de vos héros, bohémiens de tout poil dans les rues d’Édimbourg ou celles de Paris, highlanders dans les landes et les îles d’Écosse, bateliers des canaux de la Sambre et de l’Oise, artistes du bout du monde dans les hautes futaies de Barbizon à Grez-sur-Loing, pèlerins du Gévaudan, migrants de la vallée de la Napa en Californie, bâtisseurs et gardiens de phare sur toutes les mers, Samoans d’Upolu… Et je m’embarque dans l’écriture de votre biographie. »
(p. 5-11)

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