Abbé Pierre, L’amour? la colère
Thomas Fraisse
On se souvient de la foule innombrable qui se réunit un froid matin de janvier 2007 devant l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où l’abbé Pierre venait de s’éteindre. Foule des anonymes et des ? sans-voix », à qui il avait rendu la parole. On se souvient de la silhouette que Roland Barthes qualifia de mythique, des emportements et des coups de force de ce rebelle à tout ordre et toute étiquette. On se souvient de la légende. Mais va-t-on jamais plus loin ? Sait-on, par-delà l’histoire, qu’il fut un homme? tout simplement, qui n’hésita jamais à mettre sa vie dans la balance. Pour sauver les victimes des persécutions nazies d’abord, pour assurer un toit aux sans-papiers de Saint-Ambroise, en 1996, ensuite. Sait-on qu’il côtoya Chaplin, Einstein et Camus, qu’il fut le confident de De Gaulle et Mitterrand, et refusa le prix Nobel de la paix, au profit de Mandela ? Et qu’en 2004, trois ans avant sa mort, il demanda à être retiré de la liste des personnalités préférées des Français, dont il tint la tête dix ans durant.
Mais les légendes ne s’éteignent pas, elles se multiplient, et continuent incessamment à délivrer l’homme du doute et de l’abattement. Il a voulu qu’il en soit ainsi. Que, par-delà la mort, sa main tremblante continue, depuis son intervention sur RTL à l’hiver 1954, à nous indiquer la route et le chemin. Ceci grâce à ces mots si simples d’Emmaüs : ? Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime. » Ces mots au creux desquels se renouvelle la possibilité d’un monde meilleur.
L’abbé Pierre, c’est cette promesse. La promesse de l’enfant turbulent, qui passa tour à tour pour un espion soviétique, un fervent soutien des Brigades rouges, ou un croyant sur le retour, lorsqu’il soutint le combat de Coluche et célébra ses obsèques. L’abbé Pierre, c’est donc l’histoire d’une liberté forcenée. Elle nous apprend que tout est toujours possible et que l’avenir sommeille dans le cœur et les mains des hommes. Si son souvenir vibre encore aujourd’hui, c’est pour nous enseigner une seule chose, le courage de vivre pleinement notre vie. Puisque demain n’attend que nous.