Collection « Visions »

« Un soir d??t? accablant dans le d?sert du Kyzylkoum, pr?s de la ville mini?re de Zaravchan, la responsable de notre mission g?ologique ?tait d?sesp?r?e par les al?as qui accablaient notre exp?dition, le laisser-aller de coll?gues ouzbeks peu coutumiers des habitudes occidentales de travail. Le 4?x?4 de Ren? Cagnat apparut au loin?: dans cet espace immense, et ? cette heure, ce ne pouvait ?tre que lui, envoy? en renfort par des amis de Tachkent. Ren? ramena imm?diatement l?ordre dans la troupe?: quelques coups de gueule rendirent nos vacanciers aux devoirs que la science leur imposait. La passion commune que nous nous d?couvr?mes pour l?Asie centrale nous rendit rapidement amis. Un simple coup d??il sur l?immense carte de son bureau de Tachkent, z?br?e de gros traits noirs retra?ant ses itin?raires, t?moignait que le d?sert et la montagne l?attiraient dans leurs recoins les plus cach?s. Il m?a men? ainsi des tombes sarmates du plateau de l?Oustiourt, ? l?est de la Caspienne, jusqu?au fin fond du Xinjiang, dans ce d?sert du Taklamakan dont ?on ne revenait jamais?.
C?est ainsi que tr?s loin des circuits rebattus des voyagistes, Ren? Cagnat guide en des contr?es perdues, qu?il visite parfois lui-m?me pour la premi?re fois. Il se montre alors extr?mement prudent, redoutant les dangers qu?il a connus ? plusieurs reprises, agressions, accidents, inondations cons?cutives ? des orages soudains. Inversement, il a des crises de t?m?rit?, le besoin d?affronter des difficult?s que tout autre consid?rerait comme contournables. Sa passion du cheval, qui ne le c?de en rien ? celle qu?il a des hommes, l?am?ne ? consid?rer son 4?x?4 comme le tarpan des Kazakhs ou l?alezan des Turkm?nes. La machine n?a pas toujours la souplesse de l?animal et ren?cle. Je me souviens de la poursuite d?une jolie sa?ga qui paissait sur le plateau de l?Oustiourt, men?e ? toute allure au bord du Tchink, la falaise qui domine la mer d?Aral. Ren? ?tait ? la fois conscient du danger et ivre du plaisir de cette chasse ? courre peu commune. La b?te forc?e tomba haletante. Il lui donna ? boire. La sa?ga se releva et reprit sa route. Nous aussi, qui avions eu l?une des plus grosses frayeurs de notre vie?!
Prudent et t?m?raire. M?ticuleux mais fantasque. Rugueux ? on l?a vu dans l??pisode de Zaravchan ? ou amical, selon les cas?: si Ren? Cagnat aime les grands espaces, il aime aussi, sans doute plus encore, conna?tre les gens qui y vivent. Une passion inn?e pour la sociologie le fait s?arr?ter dans chaque hameau perdu, s?enfoncer dans leurs ruelles mis?rables, y chercher le contact avec les habitants. Pas facile?! Mais Ren? y parvient toujours, et il est bien rare que la conversation n?aboutisse pas ? la visite de la maison, suivie du th? traditionnel. Et il adore, traduction faite, expliquer telle ou telle particularit? des v?tements et des visages, reconstruisant en quelques mots une possible parent? ethnique. Cette passion pour les paysages grandioses et leurs habitants apparaissait dans son premier r?cit, La Rumeur des steppes. On la trouvait d?j? chez nombre de voyageurs fran?ais du XIXe?si?cle, tel Gabriel Bonvalot qui, ? plusieurs reprises, explora ces r?gions de la Transoxiane au Xinjiang, et m?me jusqu?aux portes de Lhassa. Ren? para?t son digne successeur, aussi bien dans sa curiosit? ? l??gard des populations que dans sa facult? ? affronter le terrain pour les y d?couvrir dans leur superbe isolement. »