L’aventure taliban :
« Le 26 septembre 1996, après un an et demi de siège, les taliban entrent dans Kaboul. Une armée de paysans illettrés, convaincus d’incarner le Bien, s’abat sur la ville. La population oscille entre soulagement et résignation. Alors que j’arrive dans la capitale trois semaines après, me revient en mémoire le choc que j’avais ressenti en y pénétrant en 1988, depuis le maquis. J’imagine sans mal ce qui passe par la tête de ces taliban : ils ne sortent pas de deux mois de montagne, mais d’une vie entière passée dans des villages de terre avec pour unique éducation reçue, celle, sommaire, du mollah. Voilà dans cette ville des compatriotes qui se comportent de façon étrange ! Ils regardent des images animées dans des téléviseurs, écoutent de la musique et ne semblent pas être de fervents musulmans. Pourquoi doit-on dire aux boutiquiers de fermer leurs échoppes à l’heure de la prière ? Pourquoi n’y pensent-ils pas eux-mêmes ? Ne prient-ils pas ? Ne craignent-ils pas Dieu, ces blasphémateurs ? Ils ne sont pas convenables, il faut le leur dire. Il y a là des femmes, par milliers, et indécentes, qui vont seules dans la rue ! C’est le diable ici. Le directeur de l’hôtel intercontinental m’avoue un peu gêné, alors que je lui demande pourquoi les ascenseurs ne fonctionnent pas, qu’il est obligé de les mettre en panne dès que des taliban visitent son établissement, sinon les étudiants religieux passent des heures à jouer dedans. À monter et à descendre dans une boîte carrée.
Le soleil est haut dans le ciel. Il brûle les tentures qui servent de toits aux roulottes des marchands ambulants, arrêtées devant la mosquée de Pul-e-Khishti, au centre de la capitale. La rivière Kaboul est un filet d’eau saumâtre constellé d’ordures. Nous sommes vendredi, il est midi. Habillé d’une longue chemise et d’un pantalon bouffant, je m’assieds face à l’entrée de la mosquée, sur le perron de terre d’une maison de thé. Un thé vert étanche ma soif. La foule est dense, au milieu de laquelle passent les voitures, les taxis jaunes et les charrettes de toutes sortes. Mendiants, enfants, porteurs hazaras, hommes et femmes vaquent par milliers à leurs tâches. Dans ce capharnaüm, une poignée de jeunes taliban, kalachnikov à l’épaule et courroies de plastique à la main, tentent de faire la circulation devant le portail du lieu saint. Moins ils y parviennent, plus ils prennent l’air hautain. Agitant, menaçant, frappant parfois de leur trique. Lorsqu’un char s’engage avec nervosité en direction de Jade Maiwand, c’est un miracle qu’il n’écrase personne. Une heure s’écoule. D’autres taliban arrivent, ainsi que plusieurs photographes occidentaux. Un grand blond en jean et veste rouge, avec plusieurs boîtiers autour du cou, déambule l’air de rien, suivi du regard par quelques jeunes taliban rigolards. Ils arrêtent alors des véhicules, sortent les chauffeurs les moins récalcitrants et leur ordonnent d’aller prier. Le sourire aux lèvres, un taliban fait signe au photographe de ne pas faire de photos. »
L’héritage (p. 6-7)
L’épreuve du feu (p. 32-35)
Extrait court
« Le 26 septembre 1996, après un an et demi de siège, les taliban entrent dans Kaboul. Une armée de paysans illettrés, convaincus d’incarner le Bien, s’abat sur la ville. La population oscille entre soulagement et résignation. Alors que j’arrive dans la capitale trois semaines après, me revient en mémoire le choc que j’avais ressenti en y pénétrant en 1988, depuis le maquis. J’imagine sans mal ce qui passe par la tête de ces taliban : ils ne sortent pas de deux mois de montagne, mais d’une vie entière passée dans des villages de terre avec pour unique éducation reçue, celle, sommaire, du mollah. Voilà dans cette ville des compatriotes qui se comportent de façon étrange ! Ils regardent des images animées dans des téléviseurs, écoutent de la musique et ne semblent pas être de fervents musulmans. Pourquoi doit-on dire aux boutiquiers de fermer leurs échoppes à l’heure de la prière ? Pourquoi n’y pensent-ils pas eux-mêmes ? Ne prient-ils pas ? Ne craignent-ils pas Dieu, ces blasphémateurs ? Ils ne sont pas convenables, il faut le leur dire. Il y a là des femmes, par milliers, et indécentes, qui vont seules dans la rue ! C’est le diable ici. Le directeur de l’hôtel intercontinental m’avoue un peu gêné, alors que je lui demande pourquoi les ascenseurs ne fonctionnent pas, qu’il est obligé de les mettre en panne dès que des taliban visitent son établissement, sinon les étudiants religieux passent des heures à jouer dedans. À monter et à descendre dans une boîte carrée.
Le soleil est haut dans le ciel. Il brûle les tentures qui servent de toits aux roulottes des marchands ambulants, arrêtées devant la mosquée de Pul-e-Khishti, au centre de la capitale. La rivière Kaboul est un filet d’eau saumâtre constellé d’ordures. Nous sommes vendredi, il est midi. Habillé d’une longue chemise et d’un pantalon bouffant, je m’assieds face à l’entrée de la mosquée, sur le perron de terre d’une maison de thé. Un thé vert étanche ma soif. La foule est dense, au milieu de laquelle passent les voitures, les taxis jaunes et les charrettes de toutes sortes. Mendiants, enfants, porteurs hazaras, hommes et femmes vaquent par milliers à leurs tâches. Dans ce capharnaüm, une poignée de jeunes taliban, kalachnikov à l’épaule et courroies de plastique à la main, tentent de faire la circulation devant le portail du lieu saint. Moins ils y parviennent, plus ils prennent l’air hautain. Agitant, menaçant, frappant parfois de leur trique. Lorsqu’un char s’engage avec nervosité en direction de Jade Maiwand, c’est un miracle qu’il n’écrase personne. Une heure s’écoule. D’autres taliban arrivent, ainsi que plusieurs photographes occidentaux. Un grand blond en jean et veste rouge, avec plusieurs boîtiers autour du cou, déambule l’air de rien, suivi du regard par quelques jeunes taliban rigolards. Ils arrêtent alors des véhicules, sortent les chauffeurs les moins récalcitrants et leur ordonnent d’aller prier. Le sourire aux lèvres, un taliban fait signe au photographe de ne pas faire de photos. »
(p. 52-55)
L’héritage (p. 6-7)
L’épreuve du feu (p. 32-35)
Extrait court