Interviews
Grasse – Alpes-Maritimes (France)
Année 2016
© Isabelle Grigne
Sandra Mathieu – Azurément vôtre
propos recueillis par Giulia Duponchel
Archives des interviews
Vous avez voyagé dans des pays lointains. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur les Préalpes ?
Les deux types de voyage sont compatibles. Si l’on ne peut pas faire de grand voyage chaque semaine, ou si l’on n’a pas les moyens d’en faire du tout, on peut à proximité des grandes agglomérations partir pour un temps, pour un après-midi, une journée ou un week-end dans un espace préservé. C’est une façon accessible de se retirer, de se ressourcer ou de se retrouver. La durée importe moins que la fréquence. On peut partir loin ? sans voyager ». Certains voyagent en rêve sans jamais être partis au long cours. Les Préalpes d’Azur pourraient constituer une destination en soi pour un Chinois, un Américain, pourquoi pas ? On peut y marcher plusieurs semaines sans retourner à la civilisation. On peut prendre un bus le matin, arriver à l’autre bout du département comme à l’autre bout du monde et rentrer à pied. J’aime cette idée de rentrer à pied à la maison. Il m’est déjà arrivé de prendre un bus en bas de chez moi jusqu’à Saint-Auban, à environ 50 kilomètres, et j’ai cheminé pendant trois jours pour rentrer tranquillement à Grasse. C’est quelque chose qu’on peut faire, avec le minimum, sans quasiment aucune préparation. Je projette encore des voyages lointains. Mais je sais qu’il y aura toujours cette ressource d’aller marcher près de chez moi, en pleine nature, et de découvrir à chaque fois quelque chose de nouveau.
Vous êtes animatrice de randonnées mais vous préférez marcher seule. Qu’apporte en plus la randonnée solitaire ?
Cette formation a été une erreur de parcours. En tout cas, elle n’a pas correspondu à ce que j’imaginais. Son contenu était intéressant, mais après avoir vécu la sélection et parfois l’humiliation du système éducatif français, je ne supporte plus d’apprendre en souffrant. La discipline un peu militaire de cette formation, le condensé des connaissances à enregistrer sur un temps très bref, tout ça n’avait rien à voir avec le plaisir d’apprendre. J’ai malgré tout engrangé beaucoup de choses. Mais je n’ai pas désappris l’instinct et le sens de l’orientation qui se révèlent avec la fréquentation régulière des paysages et le recours à soi. Les randonnées collectives ont un intérêt, elles ont notamment un rôle social et même une mission de solidarité. Pour beaucoup d’entre nous, la solitude est subie. D’autres ont besoin d’être encadrés, entourés et sécurisés. Pour moi, la solitude est une aubaine, une denrée rare. C’est le cas de ceux qui travaillent en collectivité avec de multiples interactions humaines. Ces moments autorisent au contraire un tête-à-tête avec soi-même, et ce processus d’individuation qui fait de chacun un être unique. Le cadre naturel n’est pas anodin, c’est d’ailleurs l’objet de ce livre. Ces voyages en solitaire exacerbent la sensibilité. Pouvoir l’exprimer, d’une façon ou d’une autre, est un bienfait et parfois un luxe. Avoir de bonnes relations avec soi, puis s’oublier, est une façon de partager ensuite des moments de fraternité plus authentiques et sereins.
Vous habitez près des Préalpes d’Azur. La proximité de votre lieu de vie vous rassurait-il ou vous poussait-il à vous en éloigner pour mener plus loin votre exploration de la région ?
Nous avons vendu notre maison à la lisière des Vosges au cours de l’été 2005. Pendant nos vacances, nous avons eu un coup de cœur pour la fameuse capitale des parfums. Nous ne savions pas, consciemment, qu’elle cachait autant de richesses. Un des slogans de ceux qui sont originaires de Grasse est : ? Nous n’avons pas choisi de naître à Grasse, nous avons juste eu de la chance. » Pour nous, la chance est d’avoir pu choisir l’endroit où nous voulions vivre, en dépit de toutes les déterminations familiales ou professionnelles. Quand je pars loin de ma ville, je pars toujours avec le cœur serré et reviens avec enthousiasme, ce qui me rappelle que ce choix était le bon. Lors d’excursions plus brèves dans nos montagnes, Grasse reste le centre de cette étoile tracée dans le Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, même si mon périmètre s’allonge régulièrement. J’évite de longs trajets en voiture pour de multiples raisons. La première étant de limiter les tensions que provoque la conduite dans un département très urbanisé.
Vous n’utilisez pas de guide pour vos voyages et excursions. Qu’est-ce que l’inconnu vous permet-il de découvrir ?
Un guide de voyage pourrait se limiter à ne donner que des informations. Quand on débarque dans une ville en pleine nuit, ce qui arrive aux imprudents comme moi, un plan, l’adresse d’un endroit où dormir sont des éléments utiles. Il reste alors la possibilité de tracer son propre parcours, de vivre son propre voyage, de se forger une opinion par soi-même, de vivre sa propre aventure. Ce que j’évite depuis longtemps, ce sont les guides qui donnent un sens de visite, l’endroit où il faut lever les yeux pour observer quelque chose qui serait beau, les guides qui donnent leur avis. Souvent ces observations sont partiales, inexactes, injustifiées voire injustes. Lors de mon premier voyage en Italie, j’ai lu dans un guide qu’il me fallait laisser les portes de la voiture ouverte pour éviter de la retrouver fracturée en cas de vol, ce qui ne manquerait pas d’arriver. Au fin fond du Portugal, vers Evora, j’ai vu des touristes marcher, livre en main, pour faire leur visite. Ils envisageaient d’aller dormir dans un hôtel qu’on leur disait être tenus par des Nantais, avec l’avantage de pouvoir parler français. Quel intérêt ? Faire le voyage du rédacteur ? Je préfère être imprévoyante. Je préfère me retrouver dans des situations difficiles mais qui débouchent souvent sur des rencontres et des expériences inestimables. Je crois aux vertus de l’autonomie. Pour cette raison, je n’avais pas envie d’écrire quelque chose qui ressemblerait à un guide ni être trop précise dans mes indications. Je ne conteste pas l’intérêt des guides en général, évidemment. J’ai par exemple découvert le récit d’un des cent itinéraires sauvages d’Yves Paccalet. Il décrit une balade que j’aime faire vers le pic des Courmettes, le puy de Tourrettes et le plateau Saint-Barnabé. Son avis est agrémenté de ses connaissances très pointues en botanique. En lisant ce texte, je me suis rendu compte que notre vision des choses était différente. Mais la sienne m’a enrichie. Depuis un moment je marche hors sentiers, sur des itinéraires difficiles à donner pour des raisons de sécurité. J’aime frôler le danger et l’interdit. Rien de tout ça n’est communicable? À votre question : ? Qu’est-ce que l’inconnu vous permet de découvrir », je réponds ? l’inconnu », c’est déjà pas mal.
Quel auteur a, selon vous, le mieux exprimé le caractère et la beauté de cette région ?
En Provence, certains écrivains sont liés à des lieux devenus emblématiques, Giono à Manosque, Pagnol à Aubagne, Izzo à Marseille, Magnan dans les Basses-Alpes. La Côte d’Azur a attiré de nombreux artistes dont on ne peut pas faire la liste ici. Je mentionnerai toutefois certains écrivains comme Fitzgerald, Maupassant ou Colette, qui ont su capter un peu du rayonnement de la Riviera. Ils font plutôt référence aux rives de la Méditerranée, Nice, Cannes ou Saint-Tropez. À ma connaissance, personne n’a écrit de longs textes inspirés des Préalpes d’Azur. On trouve en revanche des livres très intéressants sur certains villages, sur l’architecture, sur l’histoire ou sur les traditions de l’arrière-pays grassois et vençois. J’en ai cité un certain nombre dans la bibliographie d’Ermitages d’un jour. J’évoque également la littérature anodine du berger Albert autour de la montagne de Lure. Le département des Alpes-Maritimes met à disposition des guides de randonnée pour qui le souhaite par l’intermédiaire des offices de tourisme. Je préfère d’ailleurs la dénomination de ? syndicat d’initiative ». Ces guides, très précis, donnent envie d’aller y voir par soi-même. Le nom du rédacteur n’est pas écrit. Peut-être sont-ils plusieurs. C’est l’introduction à ces balades qui m’a donné envie de parcourir certains chemins en arrivant dans le département.
Les deux types de voyage sont compatibles. Si l’on ne peut pas faire de grand voyage chaque semaine, ou si l’on n’a pas les moyens d’en faire du tout, on peut à proximité des grandes agglomérations partir pour un temps, pour un après-midi, une journée ou un week-end dans un espace préservé. C’est une façon accessible de se retirer, de se ressourcer ou de se retrouver. La durée importe moins que la fréquence. On peut partir loin ? sans voyager ». Certains voyagent en rêve sans jamais être partis au long cours. Les Préalpes d’Azur pourraient constituer une destination en soi pour un Chinois, un Américain, pourquoi pas ? On peut y marcher plusieurs semaines sans retourner à la civilisation. On peut prendre un bus le matin, arriver à l’autre bout du département comme à l’autre bout du monde et rentrer à pied. J’aime cette idée de rentrer à pied à la maison. Il m’est déjà arrivé de prendre un bus en bas de chez moi jusqu’à Saint-Auban, à environ 50 kilomètres, et j’ai cheminé pendant trois jours pour rentrer tranquillement à Grasse. C’est quelque chose qu’on peut faire, avec le minimum, sans quasiment aucune préparation. Je projette encore des voyages lointains. Mais je sais qu’il y aura toujours cette ressource d’aller marcher près de chez moi, en pleine nature, et de découvrir à chaque fois quelque chose de nouveau.
Vous êtes animatrice de randonnées mais vous préférez marcher seule. Qu’apporte en plus la randonnée solitaire ?
Cette formation a été une erreur de parcours. En tout cas, elle n’a pas correspondu à ce que j’imaginais. Son contenu était intéressant, mais après avoir vécu la sélection et parfois l’humiliation du système éducatif français, je ne supporte plus d’apprendre en souffrant. La discipline un peu militaire de cette formation, le condensé des connaissances à enregistrer sur un temps très bref, tout ça n’avait rien à voir avec le plaisir d’apprendre. J’ai malgré tout engrangé beaucoup de choses. Mais je n’ai pas désappris l’instinct et le sens de l’orientation qui se révèlent avec la fréquentation régulière des paysages et le recours à soi. Les randonnées collectives ont un intérêt, elles ont notamment un rôle social et même une mission de solidarité. Pour beaucoup d’entre nous, la solitude est subie. D’autres ont besoin d’être encadrés, entourés et sécurisés. Pour moi, la solitude est une aubaine, une denrée rare. C’est le cas de ceux qui travaillent en collectivité avec de multiples interactions humaines. Ces moments autorisent au contraire un tête-à-tête avec soi-même, et ce processus d’individuation qui fait de chacun un être unique. Le cadre naturel n’est pas anodin, c’est d’ailleurs l’objet de ce livre. Ces voyages en solitaire exacerbent la sensibilité. Pouvoir l’exprimer, d’une façon ou d’une autre, est un bienfait et parfois un luxe. Avoir de bonnes relations avec soi, puis s’oublier, est une façon de partager ensuite des moments de fraternité plus authentiques et sereins.
Vous habitez près des Préalpes d’Azur. La proximité de votre lieu de vie vous rassurait-il ou vous poussait-il à vous en éloigner pour mener plus loin votre exploration de la région ?
Nous avons vendu notre maison à la lisière des Vosges au cours de l’été 2005. Pendant nos vacances, nous avons eu un coup de cœur pour la fameuse capitale des parfums. Nous ne savions pas, consciemment, qu’elle cachait autant de richesses. Un des slogans de ceux qui sont originaires de Grasse est : ? Nous n’avons pas choisi de naître à Grasse, nous avons juste eu de la chance. » Pour nous, la chance est d’avoir pu choisir l’endroit où nous voulions vivre, en dépit de toutes les déterminations familiales ou professionnelles. Quand je pars loin de ma ville, je pars toujours avec le cœur serré et reviens avec enthousiasme, ce qui me rappelle que ce choix était le bon. Lors d’excursions plus brèves dans nos montagnes, Grasse reste le centre de cette étoile tracée dans le Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, même si mon périmètre s’allonge régulièrement. J’évite de longs trajets en voiture pour de multiples raisons. La première étant de limiter les tensions que provoque la conduite dans un département très urbanisé.
Vous n’utilisez pas de guide pour vos voyages et excursions. Qu’est-ce que l’inconnu vous permet-il de découvrir ?
Un guide de voyage pourrait se limiter à ne donner que des informations. Quand on débarque dans une ville en pleine nuit, ce qui arrive aux imprudents comme moi, un plan, l’adresse d’un endroit où dormir sont des éléments utiles. Il reste alors la possibilité de tracer son propre parcours, de vivre son propre voyage, de se forger une opinion par soi-même, de vivre sa propre aventure. Ce que j’évite depuis longtemps, ce sont les guides qui donnent un sens de visite, l’endroit où il faut lever les yeux pour observer quelque chose qui serait beau, les guides qui donnent leur avis. Souvent ces observations sont partiales, inexactes, injustifiées voire injustes. Lors de mon premier voyage en Italie, j’ai lu dans un guide qu’il me fallait laisser les portes de la voiture ouverte pour éviter de la retrouver fracturée en cas de vol, ce qui ne manquerait pas d’arriver. Au fin fond du Portugal, vers Evora, j’ai vu des touristes marcher, livre en main, pour faire leur visite. Ils envisageaient d’aller dormir dans un hôtel qu’on leur disait être tenus par des Nantais, avec l’avantage de pouvoir parler français. Quel intérêt ? Faire le voyage du rédacteur ? Je préfère être imprévoyante. Je préfère me retrouver dans des situations difficiles mais qui débouchent souvent sur des rencontres et des expériences inestimables. Je crois aux vertus de l’autonomie. Pour cette raison, je n’avais pas envie d’écrire quelque chose qui ressemblerait à un guide ni être trop précise dans mes indications. Je ne conteste pas l’intérêt des guides en général, évidemment. J’ai par exemple découvert le récit d’un des cent itinéraires sauvages d’Yves Paccalet. Il décrit une balade que j’aime faire vers le pic des Courmettes, le puy de Tourrettes et le plateau Saint-Barnabé. Son avis est agrémenté de ses connaissances très pointues en botanique. En lisant ce texte, je me suis rendu compte que notre vision des choses était différente. Mais la sienne m’a enrichie. Depuis un moment je marche hors sentiers, sur des itinéraires difficiles à donner pour des raisons de sécurité. J’aime frôler le danger et l’interdit. Rien de tout ça n’est communicable? À votre question : ? Qu’est-ce que l’inconnu vous permet de découvrir », je réponds ? l’inconnu », c’est déjà pas mal.
Quel auteur a, selon vous, le mieux exprimé le caractère et la beauté de cette région ?
En Provence, certains écrivains sont liés à des lieux devenus emblématiques, Giono à Manosque, Pagnol à Aubagne, Izzo à Marseille, Magnan dans les Basses-Alpes. La Côte d’Azur a attiré de nombreux artistes dont on ne peut pas faire la liste ici. Je mentionnerai toutefois certains écrivains comme Fitzgerald, Maupassant ou Colette, qui ont su capter un peu du rayonnement de la Riviera. Ils font plutôt référence aux rives de la Méditerranée, Nice, Cannes ou Saint-Tropez. À ma connaissance, personne n’a écrit de longs textes inspirés des Préalpes d’Azur. On trouve en revanche des livres très intéressants sur certains villages, sur l’architecture, sur l’histoire ou sur les traditions de l’arrière-pays grassois et vençois. J’en ai cité un certain nombre dans la bibliographie d’Ermitages d’un jour. J’évoque également la littérature anodine du berger Albert autour de la montagne de Lure. Le département des Alpes-Maritimes met à disposition des guides de randonnée pour qui le souhaite par l’intermédiaire des offices de tourisme. Je préfère d’ailleurs la dénomination de ? syndicat d’initiative ». Ces guides, très précis, donnent envie d’aller y voir par soi-même. Le nom du rédacteur n’est pas écrit. Peut-être sont-ils plusieurs. C’est l’introduction à ces balades qui m’a donné envie de parcourir certains chemins en arrivant dans le département.