Interviews
Port-Cros, îles d’Hyères – Var (France)
Année 2015
© Charlotte Lanièce
Matthieu Delaunay – L’envers de la rizière
propos recueillis par Marc Alaux
Archives des interviews
Dans quelles conditions a eu lieu votre découverte de l’Asie du Sud-Est ?
Avant d’y faire le premier pas, je regardais cette région de loin, d’un air distrait et circonspect, comme toutes les destinations touristiques privilégiées. Puis, j’ai commencé à travailler en tant que journaliste pour l’ONG Enfants du Mékong. À raison de deux voyages par an, je devais aller puiser la matière écrite et photographique de reportages qui paraîtraient dans le magazine de l’organisation. Donner les clés de compréhension aux lecteurs en prenant régulièrement la route, voilà qui était une perspective enthousiasmante ! J’ai alors découvert une région passionnante, d’une grande diversité ethnique, à la richesse culturelle et esthétique époustouflante, et aussi une zone géographique martyre de l’histoire contemporaine. L’envie d’écrire sur ce que j’ai vu là-bas est née à Rangoon (Yangon) dans un café : le sol était jonché de cafards, des rats couraient au plafond, et je passais le temps à m’éponger le front, à cause de la moiteur de la saison des pluies et d’une connexion Internet récalcitrante. Les idées naissent parfois de bien étrange façon.
Comment conciliez-vous reportage et littérature ?
Me vient à l’esprit la sentence de Nietzsche : ? Qu’est-ce que le journalisme ? La fausse alerte permanente. » Mais s’il y a, bien sûr, un côté intemporel à la littérature, j’ai du mal à ne pas voir son lien direct avec le reportage. Ces deux exercices procèdent de la même envie de connaître et de comprendre le monde. Comme je ne suis pas très cérébral, je ressens le besoin d’éprouver pour comprendre. Concevoir une nouvelle ou un article ne présente pas de grandes différences, si ce n’est que le souffle doit porter plus longuement dans le premier cas. Écrire de la fiction, c’est aussi disposer du merveilleux épaississeur de l’existence qu’est l’imagination, qui permet de prendre le relais quand les faits s’épuisent. Cette béquille est inenvisageable dans le journalisme, qui est déjà considéré comme une profession d’affabulateurs – j’essaie donc de ne pas en rajouter ! Je suis aussi un lecteur compulsif et il est évident que, pour écrire, il faut d’abord, et surtout, beaucoup lire.
Quels sont les sujets sur lesquels vous affectionnez d’écrire ?
Au risque de passer pour un garçon triste, ce que je ne suis pas, j’aime les sujets difficiles et violents. Par-dessus tout, je voue une admiration aux héros de notre monde moderne : les pauvres. De plus en plus nombreux, ils luttent dans l’existence, seulement armés de leur courage. Attaché à l’esthétique de toute chose, à commencer par le monde, je suis aussi un farouche défenseur de la cause animale et environnementale. En tant que journaliste, j’ai le sentiment d’avoir une telle chance de pouvoir accéder à presque tout ce qui m’entoure que je me dois d’en informer ceux qui pourraient me lire. Enfin, résolument pessimiste, partisan du fait que le pire est toujours à envisager, je ne veux pas m’endormir en me disant que j’ai évité un sujet parce qu’il pouvait faire mal, à l’auteur comme au lecteur. Comme je ne peux hurler indéfiniment sans agir, j’essaie d’écrire de façon nerveuse, sensible et objective sur ces causes qui m’échappent complètement. Le format de la nouvelle m’a paru être le bon pour transmettre ces passions.
Parmi les pays du Sud-Est asiatique dont vous êtes familier, lequel a votre préférence ?
J’aime le Cambodge pour son peuple, ses pierres, ses pistes, sa pudeur, son bruit, sa fureur de vivre et son histoire pluriséculaire. En tant que journaliste, j’ai particulièrement aimé les sujets que j’ai dû y traiter, de la prostitution infantile à la problématique de l’eau. Comme apprenti photographe, j’y ai vécu de grandes émotions visuelles. C’est aussi un pays qui sort à peine d’un génocide. En quatre ans, de 1975 à 1979, près du tiers de la population – peut-être même la moitié – a été assassiné par le pouvoir politique. Que ces gens gardent un regard si fier et une telle vitalité me déconcerte. Les enfants de rescapés essaient tant bien que mal de réparer un pays qui a été réduit à néant. Malheureusement, les plaies sont si profondes qu’elles sont encore purulentes. C’est à la génération suivante de trouver la voie vers un avenir meilleur.
Une référence littéraire pour aborder ce pays ?
J’apprécie beaucoup Patrick Deville pour son style au couteau, sa voix de caveau et sa façon de nous entraîner dans les méandres de sa pensée en nous faisant humer la fumée de ses cigarettes et le parfum des lieux où il semble somnoler et enquêter à la fois. Je vous encourage donc fortement à entreprendre la lecture de Kampuchéa. À quelques centaines de kilomètres de là, en Birmanie (Myanmar), Joseph Kessel donne à voir dans La Vallée des rubis – qui n’est pas son plus beau reportage –, une belle image de la région de Mogok.
Avant d’y faire le premier pas, je regardais cette région de loin, d’un air distrait et circonspect, comme toutes les destinations touristiques privilégiées. Puis, j’ai commencé à travailler en tant que journaliste pour l’ONG Enfants du Mékong. À raison de deux voyages par an, je devais aller puiser la matière écrite et photographique de reportages qui paraîtraient dans le magazine de l’organisation. Donner les clés de compréhension aux lecteurs en prenant régulièrement la route, voilà qui était une perspective enthousiasmante ! J’ai alors découvert une région passionnante, d’une grande diversité ethnique, à la richesse culturelle et esthétique époustouflante, et aussi une zone géographique martyre de l’histoire contemporaine. L’envie d’écrire sur ce que j’ai vu là-bas est née à Rangoon (Yangon) dans un café : le sol était jonché de cafards, des rats couraient au plafond, et je passais le temps à m’éponger le front, à cause de la moiteur de la saison des pluies et d’une connexion Internet récalcitrante. Les idées naissent parfois de bien étrange façon.
Comment conciliez-vous reportage et littérature ?
Me vient à l’esprit la sentence de Nietzsche : ? Qu’est-ce que le journalisme ? La fausse alerte permanente. » Mais s’il y a, bien sûr, un côté intemporel à la littérature, j’ai du mal à ne pas voir son lien direct avec le reportage. Ces deux exercices procèdent de la même envie de connaître et de comprendre le monde. Comme je ne suis pas très cérébral, je ressens le besoin d’éprouver pour comprendre. Concevoir une nouvelle ou un article ne présente pas de grandes différences, si ce n’est que le souffle doit porter plus longuement dans le premier cas. Écrire de la fiction, c’est aussi disposer du merveilleux épaississeur de l’existence qu’est l’imagination, qui permet de prendre le relais quand les faits s’épuisent. Cette béquille est inenvisageable dans le journalisme, qui est déjà considéré comme une profession d’affabulateurs – j’essaie donc de ne pas en rajouter ! Je suis aussi un lecteur compulsif et il est évident que, pour écrire, il faut d’abord, et surtout, beaucoup lire.
Quels sont les sujets sur lesquels vous affectionnez d’écrire ?
Au risque de passer pour un garçon triste, ce que je ne suis pas, j’aime les sujets difficiles et violents. Par-dessus tout, je voue une admiration aux héros de notre monde moderne : les pauvres. De plus en plus nombreux, ils luttent dans l’existence, seulement armés de leur courage. Attaché à l’esthétique de toute chose, à commencer par le monde, je suis aussi un farouche défenseur de la cause animale et environnementale. En tant que journaliste, j’ai le sentiment d’avoir une telle chance de pouvoir accéder à presque tout ce qui m’entoure que je me dois d’en informer ceux qui pourraient me lire. Enfin, résolument pessimiste, partisan du fait que le pire est toujours à envisager, je ne veux pas m’endormir en me disant que j’ai évité un sujet parce qu’il pouvait faire mal, à l’auteur comme au lecteur. Comme je ne peux hurler indéfiniment sans agir, j’essaie d’écrire de façon nerveuse, sensible et objective sur ces causes qui m’échappent complètement. Le format de la nouvelle m’a paru être le bon pour transmettre ces passions.
Parmi les pays du Sud-Est asiatique dont vous êtes familier, lequel a votre préférence ?
J’aime le Cambodge pour son peuple, ses pierres, ses pistes, sa pudeur, son bruit, sa fureur de vivre et son histoire pluriséculaire. En tant que journaliste, j’ai particulièrement aimé les sujets que j’ai dû y traiter, de la prostitution infantile à la problématique de l’eau. Comme apprenti photographe, j’y ai vécu de grandes émotions visuelles. C’est aussi un pays qui sort à peine d’un génocide. En quatre ans, de 1975 à 1979, près du tiers de la population – peut-être même la moitié – a été assassiné par le pouvoir politique. Que ces gens gardent un regard si fier et une telle vitalité me déconcerte. Les enfants de rescapés essaient tant bien que mal de réparer un pays qui a été réduit à néant. Malheureusement, les plaies sont si profondes qu’elles sont encore purulentes. C’est à la génération suivante de trouver la voie vers un avenir meilleur.
Une référence littéraire pour aborder ce pays ?
J’apprécie beaucoup Patrick Deville pour son style au couteau, sa voix de caveau et sa façon de nous entraîner dans les méandres de sa pensée en nous faisant humer la fumée de ses cigarettes et le parfum des lieux où il semble somnoler et enquêter à la fois. Je vous encourage donc fortement à entreprendre la lecture de Kampuchéa. À quelques centaines de kilomètres de là, en Birmanie (Myanmar), Joseph Kessel donne à voir dans La Vallée des rubis – qui n’est pas son plus beau reportage –, une belle image de la région de Mogok.