Interviews
Málaga – Andalousie (Espagne)
Année 2015
© Frédéric Poirier
Sylvain Bazin – Le trail, of course !
propos recueillis par Marc Alaux
Archives des interviews
Comment est née votre passion pour la course à pied ?
Enfant, j’aimais courir, me déplacer à la seule force de mes jambes. Je crois que ce geste m’a toujours envoûté ; j’aimais jouer à courir avec mes camarades. Ma première course, à 11 ans, fut une révélation. Cette activité si simple mais finalement si complexe m’a tout de suite inspiré. Elle me permettait de m’affirmer individuellement, différemment du ? bon élève » que j’étais aussi, puisque j’y étais performant. Le sentiment d’évasion, les sensations, l’espace introspectif qu’elle m’a rapidement offerts ont fini de sceller ma passion. Également, je me suis vite plongé dans l’histoire de la discipline, et les grands champions, les figures du passé qui étaient de fortes personnalités, m’ont profondément marqué. Dès lors, je n’ai eu de cesse de courir de plus en plus et cela a pris une part importante dans ma vie.
En quoi est-elle devenue pour vous plus qu’un sport et a véritablement participé de votre construction ?
Pratiquer intensivement la course à pied, surtout lorsque vous démarrez à l’adolescence, vous exclut forcément. Cela vous prend beaucoup de temps et d’énergie ; en même temps, cela vous préserve d’autres excès de cet âge. Socialement, la course à pied m’a donc forgé. J’étais coureur, c’était ma différence, mon identité. C’est une activité qui implique l’ensemble de l’être, qui mobilise bien entendu le corps, mais aussi l’esprit, la volonté. C’est donc vite devenu plus qu’un sport : un mode de vie, une discipline dans tous les sens du terme. Et grandir en courant a donc influé sur mes choix, sur la façon de conduire ma vie. Ainsi, j’ai poursuivi mes études à la faculté de lettres afin de disposer du temps libre nécessaire pour continuer à courir. L’appel des grands espaces et de la course a même déterminé ensuite mon choix professionnel. De conservateur de bibliothèque, je suis devenu journaliste spécialisé, encore une fois pour vivre ma passion, qui s’est aujourd’hui élargie au voyage d’aventure.
Quelles sont les principales évolutions contemporaines de cette pratique ?
La course à pied a fortement changé ces dernières décennies, avec la popularisation d’un sport autrefois élitiste à partir des années 1970 et le premier essor du jogging, puis les marathons populaires des années 1980 et l’époque du magazine Spiridon. Mais l’évolution est encore plus rapide ces dernières années, surtout depuis 2010. On assiste à la fois au succès inédit des courses populaires classiques et au développement rapide de nouvelles formes : trail, ultramarathon mais aussi courses festives, courses d’obstacles, battle run entre quartiers. La course devient plus que populaire, elle est bien vue, ? branchée », urbaine. Courir, et même participer à des courses, n’est plus une singularité. On court entre amis, entre collègues ; le monde du travail voit maintenant cette activité d’un bon œil. Typiquement, les pelotons sont beaucoup plus importants et la vitesse moyenne est moindre, la notion de performance étant devenue très relative pour la plupart des participants. Pour le ? vieux » coureur que je suis, c’est un changement important.
Que trouvez-vous dans le voyage en courant que ne vous apportaient plus les courses de longue distance plus classiques ?
Une nouvelle forme de défi, plus proche de mes aspirations. Je m’y sens libre. Je n’ai de contraintes que celles que je m’impose, ou, à la limite, celles imposées par le chemin lui-même. Je passe certes parfois par des moments difficiles, mais c’est un pur défi personnel et un choix total. Je ne trouvais plus cette forme de liberté dans la compétition classique, même si j’y ai vécu des instants inoubliables. Je continue d’ailleurs tout de même prendre part à des courses, pour d’autres raisons, pour côtoyer des coureurs et me surpasser encore. Mais il m’arrive de me demander pourquoi? Lors de mes voyages à pied, l’introspection est plus douce, plus longue, et la contemplation omniprésente. Je peux prendre mon temps, tout en abattant des distances quotidiennes importantes. La tension de la confrontation directe n’est plus là ; la notion de performance, toujours relative, moins obsédante. Du coup, le plaisir de la course et de la découverte est accru.
Quel récit ou roman illustre selon vous joliment la course à pied ?
La course à pied n’est pas forcément encore un grand sujet littéraire. Néanmoins, certains livres savent en parler, comme La Grande Course de Flanagan, de Tom McNab, qui sait mêler fiction et réalité, puisque certains personnages célèbrent de grands noms de la course du début du XXe siècle, et qui rend habilement compte du souffle épique d’une immense course de fond. Le livre raconte une épreuve transcontinentale à travers les États-Unis, en 1931, après la grande crise. L’histoire est également inspirée de faits réels et l’on sent que l’auteur est lui-même un coureur. Néanmoins, j’ai tendance à préférer le film Les Chariots de feu dont McNab est le scénariste, qui transcrit mieux la psychologie des pratiquants. J’aime aussi Courir le monde, de l’Allemand Marc Buhl, inspiré du personnage de Mensen Ernst. Ce roman, lui aussi, aborde le rapport au monde singulier des grands coureurs de fond, dévoreurs d’espace. Enfin Courir, de Jean Echenoz, est bien sûr joliment écrit et raconte bellement l’histoire d’Emil Zátopek.
Enfant, j’aimais courir, me déplacer à la seule force de mes jambes. Je crois que ce geste m’a toujours envoûté ; j’aimais jouer à courir avec mes camarades. Ma première course, à 11 ans, fut une révélation. Cette activité si simple mais finalement si complexe m’a tout de suite inspiré. Elle me permettait de m’affirmer individuellement, différemment du ? bon élève » que j’étais aussi, puisque j’y étais performant. Le sentiment d’évasion, les sensations, l’espace introspectif qu’elle m’a rapidement offerts ont fini de sceller ma passion. Également, je me suis vite plongé dans l’histoire de la discipline, et les grands champions, les figures du passé qui étaient de fortes personnalités, m’ont profondément marqué. Dès lors, je n’ai eu de cesse de courir de plus en plus et cela a pris une part importante dans ma vie.
En quoi est-elle devenue pour vous plus qu’un sport et a véritablement participé de votre construction ?
Pratiquer intensivement la course à pied, surtout lorsque vous démarrez à l’adolescence, vous exclut forcément. Cela vous prend beaucoup de temps et d’énergie ; en même temps, cela vous préserve d’autres excès de cet âge. Socialement, la course à pied m’a donc forgé. J’étais coureur, c’était ma différence, mon identité. C’est une activité qui implique l’ensemble de l’être, qui mobilise bien entendu le corps, mais aussi l’esprit, la volonté. C’est donc vite devenu plus qu’un sport : un mode de vie, une discipline dans tous les sens du terme. Et grandir en courant a donc influé sur mes choix, sur la façon de conduire ma vie. Ainsi, j’ai poursuivi mes études à la faculté de lettres afin de disposer du temps libre nécessaire pour continuer à courir. L’appel des grands espaces et de la course a même déterminé ensuite mon choix professionnel. De conservateur de bibliothèque, je suis devenu journaliste spécialisé, encore une fois pour vivre ma passion, qui s’est aujourd’hui élargie au voyage d’aventure.
Quelles sont les principales évolutions contemporaines de cette pratique ?
La course à pied a fortement changé ces dernières décennies, avec la popularisation d’un sport autrefois élitiste à partir des années 1970 et le premier essor du jogging, puis les marathons populaires des années 1980 et l’époque du magazine Spiridon. Mais l’évolution est encore plus rapide ces dernières années, surtout depuis 2010. On assiste à la fois au succès inédit des courses populaires classiques et au développement rapide de nouvelles formes : trail, ultramarathon mais aussi courses festives, courses d’obstacles, battle run entre quartiers. La course devient plus que populaire, elle est bien vue, ? branchée », urbaine. Courir, et même participer à des courses, n’est plus une singularité. On court entre amis, entre collègues ; le monde du travail voit maintenant cette activité d’un bon œil. Typiquement, les pelotons sont beaucoup plus importants et la vitesse moyenne est moindre, la notion de performance étant devenue très relative pour la plupart des participants. Pour le ? vieux » coureur que je suis, c’est un changement important.
Que trouvez-vous dans le voyage en courant que ne vous apportaient plus les courses de longue distance plus classiques ?
Une nouvelle forme de défi, plus proche de mes aspirations. Je m’y sens libre. Je n’ai de contraintes que celles que je m’impose, ou, à la limite, celles imposées par le chemin lui-même. Je passe certes parfois par des moments difficiles, mais c’est un pur défi personnel et un choix total. Je ne trouvais plus cette forme de liberté dans la compétition classique, même si j’y ai vécu des instants inoubliables. Je continue d’ailleurs tout de même prendre part à des courses, pour d’autres raisons, pour côtoyer des coureurs et me surpasser encore. Mais il m’arrive de me demander pourquoi? Lors de mes voyages à pied, l’introspection est plus douce, plus longue, et la contemplation omniprésente. Je peux prendre mon temps, tout en abattant des distances quotidiennes importantes. La tension de la confrontation directe n’est plus là ; la notion de performance, toujours relative, moins obsédante. Du coup, le plaisir de la course et de la découverte est accru.
Quel récit ou roman illustre selon vous joliment la course à pied ?
La course à pied n’est pas forcément encore un grand sujet littéraire. Néanmoins, certains livres savent en parler, comme La Grande Course de Flanagan, de Tom McNab, qui sait mêler fiction et réalité, puisque certains personnages célèbrent de grands noms de la course du début du XXe siècle, et qui rend habilement compte du souffle épique d’une immense course de fond. Le livre raconte une épreuve transcontinentale à travers les États-Unis, en 1931, après la grande crise. L’histoire est également inspirée de faits réels et l’on sent que l’auteur est lui-même un coureur. Néanmoins, j’ai tendance à préférer le film Les Chariots de feu dont McNab est le scénariste, qui transcrit mieux la psychologie des pratiquants. J’aime aussi Courir le monde, de l’Allemand Marc Buhl, inspiré du personnage de Mensen Ernst. Ce roman, lui aussi, aborde le rapport au monde singulier des grands coureurs de fond, dévoreurs d’espace. Enfin Courir, de Jean Echenoz, est bien sûr joliment écrit et raconte bellement l’histoire d’Emil Zátopek.