Interviews
À bord d’un De Havilland Vampire, sur l’aérodrome de Melun-Villaroche – Seine-et-Marne (France)
Année 2002
© Agnès Dumesny
Germain Chambost – À tire-d’aile
propos recueillis par Marc Alaux
Archives des interviews
D’où vous est venue l’envie de devenir pilote ?
De l’illustration d’un conte de Noël dans L’Almanach du pèlerin. On y voyait un pilote en combinaison de vol, serre-tête et lunettes relevées sur le front, au pied de son avion, dans la neige. J’avais alors 7 ans, 8 tout au plus, et j’étais littéralement fasciné. Avec le recul, j’ignore pourquoi, mais ma décision était prise : moi aussi, je piloterai ce genre de machines volantes ! J’étais alors un enfant unique, plutôt complexé (j’étais juste le fils de l’épicier), et j’avais peu d’échanges avec mes camarades. En revanche, je me confiais à mon journal intime – une sorte d’exutoire. Je n’ai ensuite fait qu’enchaîner dans la solitude du cockpit et de poursuivre sur le même chemin en écrivant.
Que ressentez-vous lorsque vous êtes aux commandes de votre avion ?
Je m’y sens hors du monde, le décollage pouvant être vu comme une séparation d’avec mes préoccupations quotidiennes. Non pas une fuite, puisque je reste en contact visuel ou radiophonique avec les autres habitants et que je retourne à chaque fois à leurs côtés, mais une prise de distance, une parenthèse propice à la contemplation et à la réflexion. C’est en quelque sorte une façon de me ressourcer, de me retrouver face à moi-même, seul et responsable. Quant à mon passé de pilote de combat, il m’a donné une expérience de la réalité de la guerre. Devenu plus tard journaliste, je me suis moins laissé prendre par le jeu de la propagande officielle, qu’elle soit française ou étrangère. Et de plus, sur le terrain, je retrouvais avec amusement d’anciens camarades, dont certains occupaient des postes importants et me renseignaient.
Parlez-nous d’un vol marquant !
Oh ! cela nous ramène au mois d’octobre 1963. J’étais le pilote d’un biréacteur Vautour dans l’Armée de l’air. Le général de Gaulle visitait alors l’Iran, invité par le shah? Nos appareils Vautour avaient été requis pour assurer le transport des films de télévision sur les différentes étapes du voyage présidentiel (il n’y avait pas de relais satellitaires à l’époque). Un camarade avait assuré le transport du film depuis Téhéran jusqu’en Turquie en fin de journée, et j’avais pris la suite depuis Ankara pour rejoindre la base aérienne d’Istres, près de Marseille, où un relais de télévision avait été installé afin de retransmettre les images vers Paris pour le dernier journal télévisé du soir. Le vol a duré trois heures et demie. Trois heures et demie d’émotions intenses. Avec mon navigateur, nous avons ainsi volé de nuit, montant le plus haut possible afin d’économiser le carburant (on consomme moins en atmosphère raréfiée), appréciant d’être seuls au monde, de naviguer bien au-dessus des avions de ligne. En nous penchant, nous identifions même les villes aux taches de lumière qui perçaient les ténèbres terrestres. C’était à la fois angoissant et exaltant.
Quelles sont les qualités indispensables au pilote ?
Un bon pilote, disent les vétérans du ciel, est un pilote qui survit. Le bon pilote est donc un pilote vivant, tout simplement, mais c’est déjà beaucoup. Sachez qu’il est plus difficile d’être un vieux pilote qu’un pilote talentueux ! La qualité première est donc l’humilité devant la nature. L’équipage de l’Air France 447 l’avait oublié : ? On ne va pas se laisser emmerder par un “cunimb” (cumulonimbus) », dit le commandant de bord en consultant les documents météo. Voler, c’est s’inviter dans le ciel, le partager avec d’autres et non s’y comporter en conquérant. Donc, mieux vaut ne pas jouer les gros bras. Et puis, il faut bien sûr acquérir une certaine dextérité dans le maniement de la machine. Voilà pour les pilotes de ligne. Pour les pilotes militaires, on y ajoutera le courage, l’acceptation du risque par esprit de camaraderie et sens patriotique. Eh, oui ! De quoi faire rire, non ?
Y a-t-il un auteur-aviateur dont vous nous conseillez la lecture ?
J’ai honte mais je viens seulement de découvrir l’écrivain américain James Salter et de lire d’affilée quatre de ses livres. Il a été pilote dans l’US Air Force et a combattu en Corée avant de se tourner vers l’écriture. Il est mort en 2015, à l’âge de 90 ans, après avoir publié six livres, et il est tenu pour un grand styliste. À ma connaissance, aucun écrivain ne l’égale en effet dans le ? ressenti » du pilote à bord d’un monoplace de combat. Aucun ! Analyse psychologique et impressions physiques y sont exposées avec une acuité confondante. Je pleurais à la lecture de certains passages, je n’ai pas honte de le dire. Après l’avoir lu, on n’ose guère tenter de l’imiter en décrivant sa propre expérience, et on peut encore moins l’égaler? J’ai quand même tenté le coup, je viens de terminer un manuscrit romanesque sur fond de guerre d’Algérie !
De l’illustration d’un conte de Noël dans L’Almanach du pèlerin. On y voyait un pilote en combinaison de vol, serre-tête et lunettes relevées sur le front, au pied de son avion, dans la neige. J’avais alors 7 ans, 8 tout au plus, et j’étais littéralement fasciné. Avec le recul, j’ignore pourquoi, mais ma décision était prise : moi aussi, je piloterai ce genre de machines volantes ! J’étais alors un enfant unique, plutôt complexé (j’étais juste le fils de l’épicier), et j’avais peu d’échanges avec mes camarades. En revanche, je me confiais à mon journal intime – une sorte d’exutoire. Je n’ai ensuite fait qu’enchaîner dans la solitude du cockpit et de poursuivre sur le même chemin en écrivant.
Que ressentez-vous lorsque vous êtes aux commandes de votre avion ?
Je m’y sens hors du monde, le décollage pouvant être vu comme une séparation d’avec mes préoccupations quotidiennes. Non pas une fuite, puisque je reste en contact visuel ou radiophonique avec les autres habitants et que je retourne à chaque fois à leurs côtés, mais une prise de distance, une parenthèse propice à la contemplation et à la réflexion. C’est en quelque sorte une façon de me ressourcer, de me retrouver face à moi-même, seul et responsable. Quant à mon passé de pilote de combat, il m’a donné une expérience de la réalité de la guerre. Devenu plus tard journaliste, je me suis moins laissé prendre par le jeu de la propagande officielle, qu’elle soit française ou étrangère. Et de plus, sur le terrain, je retrouvais avec amusement d’anciens camarades, dont certains occupaient des postes importants et me renseignaient.
Parlez-nous d’un vol marquant !
Oh ! cela nous ramène au mois d’octobre 1963. J’étais le pilote d’un biréacteur Vautour dans l’Armée de l’air. Le général de Gaulle visitait alors l’Iran, invité par le shah? Nos appareils Vautour avaient été requis pour assurer le transport des films de télévision sur les différentes étapes du voyage présidentiel (il n’y avait pas de relais satellitaires à l’époque). Un camarade avait assuré le transport du film depuis Téhéran jusqu’en Turquie en fin de journée, et j’avais pris la suite depuis Ankara pour rejoindre la base aérienne d’Istres, près de Marseille, où un relais de télévision avait été installé afin de retransmettre les images vers Paris pour le dernier journal télévisé du soir. Le vol a duré trois heures et demie. Trois heures et demie d’émotions intenses. Avec mon navigateur, nous avons ainsi volé de nuit, montant le plus haut possible afin d’économiser le carburant (on consomme moins en atmosphère raréfiée), appréciant d’être seuls au monde, de naviguer bien au-dessus des avions de ligne. En nous penchant, nous identifions même les villes aux taches de lumière qui perçaient les ténèbres terrestres. C’était à la fois angoissant et exaltant.
Quelles sont les qualités indispensables au pilote ?
Un bon pilote, disent les vétérans du ciel, est un pilote qui survit. Le bon pilote est donc un pilote vivant, tout simplement, mais c’est déjà beaucoup. Sachez qu’il est plus difficile d’être un vieux pilote qu’un pilote talentueux ! La qualité première est donc l’humilité devant la nature. L’équipage de l’Air France 447 l’avait oublié : ? On ne va pas se laisser emmerder par un “cunimb” (cumulonimbus) », dit le commandant de bord en consultant les documents météo. Voler, c’est s’inviter dans le ciel, le partager avec d’autres et non s’y comporter en conquérant. Donc, mieux vaut ne pas jouer les gros bras. Et puis, il faut bien sûr acquérir une certaine dextérité dans le maniement de la machine. Voilà pour les pilotes de ligne. Pour les pilotes militaires, on y ajoutera le courage, l’acceptation du risque par esprit de camaraderie et sens patriotique. Eh, oui ! De quoi faire rire, non ?
Y a-t-il un auteur-aviateur dont vous nous conseillez la lecture ?
J’ai honte mais je viens seulement de découvrir l’écrivain américain James Salter et de lire d’affilée quatre de ses livres. Il a été pilote dans l’US Air Force et a combattu en Corée avant de se tourner vers l’écriture. Il est mort en 2015, à l’âge de 90 ans, après avoir publié six livres, et il est tenu pour un grand styliste. À ma connaissance, aucun écrivain ne l’égale en effet dans le ? ressenti » du pilote à bord d’un monoplace de combat. Aucun ! Analyse psychologique et impressions physiques y sont exposées avec une acuité confondante. Je pleurais à la lecture de certains passages, je n’ai pas honte de le dire. Après l’avoir lu, on n’ose guère tenter de l’imiter en décrivant sa propre expérience, et on peut encore moins l’égaler? J’ai quand même tenté le coup, je viens de terminer un manuscrit romanesque sur fond de guerre d’Algérie !