Interviews
En descendant du camp de base de l’Everest – Tibet (Chine)
Année 2014
© Ralph Müller
Claude Marthaler – Incubation
propos recueillis par Élise Le Fourn
Archives des interviews
Quels sont les avantages et les contraintes du vélo en voyage ?
C’est à chacun d’y répondre pour lui-même. Le fait d’être son propre moteur, de voyager à pied, à vélo ou avec un animal, représente fondamentalement une démarche de liberté. Pour ma part, le vélo est un sismographe émotionnel, un moyen d’impression et d’expression optimal, un trait d’union entre les hommes qui m’a toujours convenu. Passionné, je ne me suis jamais véritablement posé cette question.
Confidences cubaines : en quoi s’agit-il de véritables confidences ?
Comment les Cubains voient-ils leur vie, leur île, la politique de leurs dirigeants, le monde ? La seule façon de le savoir est de s’intéresser profondément à eux, en partageant le plus possible de temps ensemble, en multipliant les rencontres, en leur posant des questions, en les écoutant avec attention, chaleur et bienveillance. Bien que le camping sauvage et dormir chez l’habitant (s’il ne possède pas de patente pour une casa particular) soient punissables, je les ai pratiqués sur toute l’île. Dans une dictature, parler librement ne rapporte rien, seulement du soulagement, et peut coûter très cher. Pourtant, tous se sont confiés. J’étais là pour cela.
Quel est votre point de vue sur l’ouverture de Cuba ?
Il faut rester très prudent et se poser la question suivante : à qui profite et profitera cette ? ouverture » ? La liberté dont jouissent les touristes étrangers ne correspond pas du tout au rude quotidien des Cubains dans leur grande majorité. La terre, la mer et l’économie appartiennent à la junte militaire ; les flux monétaires et l’information sont sous leur étroit contrôle. Cette situation de monopole absolu n’est pas près de changer. Raoul, pour qui la Chine est le modèle, a promis de quitter les commandes dans un an. Or il est impensable qu’il n’ait pas préparé sa succession avec des membres de sa famille ou des commandants issus du sérail. Les Cubains n’attendent rien d’un gouvernement obsédé par sa propre survie. Avant chaque visite officielle de personnalités telles que Obama ou le pape, la police ratisse large, arrête systématiquement tous les dissidents, les sans-abri, les prostituées, et les maintient en résidence surveillée ou les expédie loin de la capitale. La délation, l’intimidation, l’emprisonnement et la torture sont institutionnalisés. Ceci dit, la génération qui a fait la révolution se meurt. Les jeunes s’en détachent peu à peu. Cuba est toutefois condamnée au changement.
Y a-t-il un autre pays où vous envisageriez de mener une telle prospection politico-sociale ?
En réalité, la fonction critique est une responsabilité élémentaire dès lors que l’on publie. Je l’ai toujours pratiquée au cours de mes voyages, en correspondant avec la presse suisse et étrangère. Ce qui est frappant à Cuba, c’est la parfaite superposition de son insularité et de son idéologie monolithique. La politique y régit le moindre acte quotidien de ses habitants. Partout dans le monde, la mer est chantée par les poètes, sillonnée par des bateaux, pas à Cuba. La plupart des Cubains ne peuvent s’en échapper qu’au péril de leur vie ou lorsqu’ils possèdent l’équivalent monétaire de plusieurs années de salaire, une impossibilité pour la majorité d’entre eux. Pour les habitants d’un régime totalitaire, la continuité territoriale offre certainement plus d’espoir.
Vous citez souvent George Orwell ; avez-vous d’autres auteurs de référence ?
À Cuba, l’engraissement, la consommation et la vente de viande de porc constituent un rouage central de l’économie informelle, la bidoche du pauvre ; tuer une vache entraîne vingt ans d’emprisonnement. Dans Animal Farm, publié en 1945, les cochons se rebellent, chassent le fermier puis dominent les autres animaux. Ce roman et 1984, paru quatre ans plus tard, s’inspirent de la révolution bolchevique. Le parallèle à propos des cochons était trop tentant. Les propos de George Orwell sont d’une lucidité redoutable. Ils peuvent s’appliquer à tout régime totalitaire, mais aussi à Internet. Ils se sont dès lors imposés au cours de l’écriture de Confidences cubaines, autant que lors de mon séjour en Birmanie en 2008 (relaté dans Entre selle et terre, publié chez Olizane), un pays où l’auteur a séjourné comme officier dans les forces de l’ordre de 1922 à 1927. J’ai un faible pour les auteurs anglophones, Colin Thubron, Peter Fleming, Eric Newby, Bruce Chatwin, Peter Hopkirk, Salman Rushdie, etc. Comment ne pas citer en outre Nicolas Bouvier, mon compatriote né à Genève et que j’ai rencontré ? Mais, à vrai dire, je préfère de beaucoup lire des écrivains issus des pays que je traverse plutôt que les ? écrivains-voyageurs ».
C’est à chacun d’y répondre pour lui-même. Le fait d’être son propre moteur, de voyager à pied, à vélo ou avec un animal, représente fondamentalement une démarche de liberté. Pour ma part, le vélo est un sismographe émotionnel, un moyen d’impression et d’expression optimal, un trait d’union entre les hommes qui m’a toujours convenu. Passionné, je ne me suis jamais véritablement posé cette question.
Confidences cubaines : en quoi s’agit-il de véritables confidences ?
Comment les Cubains voient-ils leur vie, leur île, la politique de leurs dirigeants, le monde ? La seule façon de le savoir est de s’intéresser profondément à eux, en partageant le plus possible de temps ensemble, en multipliant les rencontres, en leur posant des questions, en les écoutant avec attention, chaleur et bienveillance. Bien que le camping sauvage et dormir chez l’habitant (s’il ne possède pas de patente pour une casa particular) soient punissables, je les ai pratiqués sur toute l’île. Dans une dictature, parler librement ne rapporte rien, seulement du soulagement, et peut coûter très cher. Pourtant, tous se sont confiés. J’étais là pour cela.
Quel est votre point de vue sur l’ouverture de Cuba ?
Il faut rester très prudent et se poser la question suivante : à qui profite et profitera cette ? ouverture » ? La liberté dont jouissent les touristes étrangers ne correspond pas du tout au rude quotidien des Cubains dans leur grande majorité. La terre, la mer et l’économie appartiennent à la junte militaire ; les flux monétaires et l’information sont sous leur étroit contrôle. Cette situation de monopole absolu n’est pas près de changer. Raoul, pour qui la Chine est le modèle, a promis de quitter les commandes dans un an. Or il est impensable qu’il n’ait pas préparé sa succession avec des membres de sa famille ou des commandants issus du sérail. Les Cubains n’attendent rien d’un gouvernement obsédé par sa propre survie. Avant chaque visite officielle de personnalités telles que Obama ou le pape, la police ratisse large, arrête systématiquement tous les dissidents, les sans-abri, les prostituées, et les maintient en résidence surveillée ou les expédie loin de la capitale. La délation, l’intimidation, l’emprisonnement et la torture sont institutionnalisés. Ceci dit, la génération qui a fait la révolution se meurt. Les jeunes s’en détachent peu à peu. Cuba est toutefois condamnée au changement.
Y a-t-il un autre pays où vous envisageriez de mener une telle prospection politico-sociale ?
En réalité, la fonction critique est une responsabilité élémentaire dès lors que l’on publie. Je l’ai toujours pratiquée au cours de mes voyages, en correspondant avec la presse suisse et étrangère. Ce qui est frappant à Cuba, c’est la parfaite superposition de son insularité et de son idéologie monolithique. La politique y régit le moindre acte quotidien de ses habitants. Partout dans le monde, la mer est chantée par les poètes, sillonnée par des bateaux, pas à Cuba. La plupart des Cubains ne peuvent s’en échapper qu’au péril de leur vie ou lorsqu’ils possèdent l’équivalent monétaire de plusieurs années de salaire, une impossibilité pour la majorité d’entre eux. Pour les habitants d’un régime totalitaire, la continuité territoriale offre certainement plus d’espoir.
Vous citez souvent George Orwell ; avez-vous d’autres auteurs de référence ?
À Cuba, l’engraissement, la consommation et la vente de viande de porc constituent un rouage central de l’économie informelle, la bidoche du pauvre ; tuer une vache entraîne vingt ans d’emprisonnement. Dans Animal Farm, publié en 1945, les cochons se rebellent, chassent le fermier puis dominent les autres animaux. Ce roman et 1984, paru quatre ans plus tard, s’inspirent de la révolution bolchevique. Le parallèle à propos des cochons était trop tentant. Les propos de George Orwell sont d’une lucidité redoutable. Ils peuvent s’appliquer à tout régime totalitaire, mais aussi à Internet. Ils se sont dès lors imposés au cours de l’écriture de Confidences cubaines, autant que lors de mon séjour en Birmanie en 2008 (relaté dans Entre selle et terre, publié chez Olizane), un pays où l’auteur a séjourné comme officier dans les forces de l’ordre de 1922 à 1927. J’ai un faible pour les auteurs anglophones, Colin Thubron, Peter Fleming, Eric Newby, Bruce Chatwin, Peter Hopkirk, Salman Rushdie, etc. Comment ne pas citer en outre Nicolas Bouvier, mon compatriote né à Genève et que j’ai rencontré ? Mais, à vrai dire, je préfère de beaucoup lire des écrivains issus des pays que je traverse plutôt que les ? écrivains-voyageurs ».