Interviews


Forêt de Brocéliande – Ille-et-Vilaine (France)
Année 2011
© David Lefèvre

David Lefèvre – De la cité légendaire à la vie en cabane
propos recueillis par Antoine Dectot de Christen

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Qu’est-ce qui, en premier lieu, vous a attiré en Argentine et au Chili ?
Les grands espaces et la perspective d’y effectuer des marches solitaires. Ce fut d’abord les salares du nord de l’Argentine puis le désert d’Atacama. Ensuite je me suis naturellement rapproché du sud du Chili et de ses forêts. Là-bas, je pense que mon sentiment géographique était attiré par des paysages qui lui répondaient totalement. Ensuite, j’ai voulu prolonger mon séjour des deux côtés des Andes, en Patagonie. J’y ai trouvé des lieux où il était possible d’errer pendant des semaines. Puis il y avait les marges du continent, un monde de plus en plus sauvage, empreint d’une beauté dramatique. J’étais fasciné par cette profusion de glaciers, de cours d’eau fougueux, par le climat sans concessions. J’ai alors rencontré des gens dont la vie était sur le point de subir des bouleversements radicaux. Parce qu’on voulait construire des barrages sur leurs fleuves. Parce que l’arrivée d’une piste allait rompre leur isolement. Et je me suis attardé auprès d’eux.

Vous êtes parti sur les traces d’une cité légendaire, comment et pourquoi ?
Par hasard. À force de trop fouiller les bibliothèques, on finit parfois par mettre la main sur des histoires extraordinaires qui peuvent nous emmener très loin. C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai découvert la légende de la cité des Césars, un eldorado situé quelque part en Patagonie. Au fil de mes recherches, l’histoire avérée a pris le pas sur la légende. Au final, il s’agissait de savoir si des hommes ayant naufragé sur les bords du détroit de Magellan au XVIe siècle avaient eu des chances de survivre. Je me suis mis en route vers les lieux où l’histoire s’était écrite. L’énigme alimentait le voyage et provoquait des rencontres. Il ne s’agissait pas de gratter la terre à la recherche de vestiges mais plutôt de m’interroger sur la manière dont un voyage pouvait s’écrire au présent tout en étant guidé par des événements figés dans un passé lointain. Puis j’ai commencé à écrire. Au-delà des lieux arpentés, l’aventure était également littéraire. Le défi consistait à lier des évocations historiques à la relation du voyage proprement dite.

Que recouvre pour vous l’expression « cueilleur de mémoire » ?
Ces deux mots se marient à merveille. Cueillir, c’est prélever sur l’arbre le fruit mûr. La mémoire, c’est une toile sur laquelle se greffent le souvenir, la culture, l’expérience, les leçons du passé, ce qui vient de loin… Mais la toile est fragile et peut s’effacer si l’on n’y prend garde. Ce qui me passionne, c’est le travail sur l’héritage, le patrimoine oral. J’aime aller vers les anonymes et graver leur parole avant qu’elle ne devienne poussière. Sur l’île de Chiloé ou en Patagonie, j’arrivai parfois dans des endroits plus ou moins reculés en frappant aux portes. On m’installait sur une chaise, on me faisait partager le maté et je prenais des notes. Des inconnus me livraient le récit de leurs trajectoires personnelles. Ils scrutaient leurs souvenirs derrière les fenêtres, au coin du poêle. Ces morceaux d’existence ont en partie nourri mon livre.

Après avoir voyagé en Amérique du Sud, pourquoi avez-vous décidé d’y poser votre sac et de vous y installer ?
Mon dernier voyage en Patagonie avait été une lente dérive de Chiloé jusqu’à la Terre de Feu. De retour à Buenos Aires, qui en avait été le point de départ, j’ai pris conscience que j’étais dans l’impossibilité de rentrer en France. Les leçons du voyage avaient été nombreuses. Je me sentais rappelé par certains lieux où j’avais vécu de fortes émotions. Il y avait un ou deux endroits où je pourrais mener une expérience à laquelle je pensai depuis longtemps : vivre une vie rustique et frugale. Je me suis souvent demandé si les nomades et autres vagabonds ne sont pas, consciemment ou non, en quête d’un lieu où poser leur bagage. Revenir vivre au Chili, dans une cabane, représentait l’épreuve idéale. Tout était à faire. Un jour, je devais poser des bardeaux ; le lendemain, défricher, retourner la terre, aménager un potager… bref construire de mes propres mains. J’avais beaucoup à apprendre. Je n’étais plus un simple passant mais un homme qui assoit un projet, en lien avec la terre ferme.

Quels sont les livres sur la Patagonie qui vous ont le plus marqué ?
Je pense que les écrits de William Henry Hudson sont inévitables. Ils datent de la fin du XIXe siècle mais n’ont rien perdu de leur intérêt, notamment parce qu’ils évoquent des lieux demeurés en grande partie intacts. Parfait autodidacte, Hudson était un passionné de faune en général et d’ornithologie en particulier. Il a su décrire les oiseaux de Patagonie, leurs chants, leurs mœurs, de façon inattendue, souvent touchante, comme s’il était l’un d’eux. Ses observations étaient si pointues qu’elles ont suscité l’intérêt des meilleurs naturalistes de son temps, dont ceux du British Museum. Je recommande la lecture de Un flâneur en Patagonie. Ce livre est une véritable célébration de la vie sauvage. J’ajouterais le livre de José Emperaire Les Nomades de la mer, un ouvrage d’ethnologie consacré aux Alakalufs, caboteurs nomades des canaux de Patagonie. Emperaire y décrit l’existence des derniers membres de ce peuple, alors sédentarisés à Puerto Edén.
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