Interviews
Limoges (France)
Année 2009
© Françoise de Ravel
Patrice de Ravel – À fleur d’eau
propos recueillis par Marine de Bouillane de Lacoste
Archives des interviews
Jusqu’où votre canoë vous a-t-il conduit ?
Il faut différencier le terme du but du voyage. Les premiers voyageurs en canoë n’aspiraient qu’à parcourir les fleuves de la source à la mer. Ils ne réussissaient que rarement. Géographiquement parlant, je n’ai jamais eu d’ambition d’exploration telle qu’on l’entendait au XIXe siècle. Je suis plus sensible à la progression, à l’évolution du paysage, aux transformations du cours d’eau, aux différences d’usage qu’en ont les riverains, qu’aux points cartographiques. J’accorde beaucoup plus d’attention aux lieux traversés qu’aux arrivées. Je préfère prendre le temps de voir et de sentir plutôt que d’allonger les kilomètres vers une extrémité d’itinéraire. Quitte à n’avancer que très peu par jour. Le fait d’être sur l’eau, d’être en quelque sorte hors de l’espace commun, favorise l’intériorité et, paradoxalement, l’ouverture. Et le voyage n’est pas fini !
Comment la pratique du canoë a-t-elle évolué au cours de l’histoire ?
Les Amérindiens ont développé une embarcation et une technique sophistiquées qui, contrairement à la pirogue, permettent de passer d’un bassin-versant à un autre. L’usage utilitaire a disparu au profit du loisir mais on constate aussi que ses capacités à être porté et à remonter les cours d’eau ont disparu simultanément. On peut dire qu’aujourd’hui la pratique récréative se limite à aller dans le sens du courant. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le canoë a été victime d’un préjugé : il était un ? bateau de sauvage ». On lui a appliqué les techniques connues (aviron et pagaie double, construction à clins) avant de reconsidérer l’essence du bateau. Paradoxalement, c’est un Français, Roger Paris, qui a converti dans les années 1950 les États-Uniens à la pratique du canoë en eau vive. Ils ne juraient alors que par la barque en chêne. Le préjugé a disparu, mais le portage du canoë s’est encore atrophié sous le poids de l’automobile.
Pagayer sans relâche sur fleuves et rivières relève-t-il pour vous d’une quête de solitude ?
Mon travail d’éditeur et de libraire en ligne me protège assez des foules. En canoë, je ne cherche pas la solitude pour la solitude – certains disent que je ne suis pas un vrai misanthrope. Je tente plutôt de m’extraire de la pression urbaine, de l’ordonnance de l’espace et du rythme de vie formaté. Par bonheur, notre civilisation, si moderne soit-elle, n’est pas encore venue totalement à bout des contraintes naturelles posées par l’eau, qui cumule de graves inconvénients : l’homme y respire mal et peu longtemps, et elle a tendance à se répandre partout. Aujourd’hui, aller sur l’eau n’est plus une nécessité, mais la peur qu’elle suscite reste encore très partagée ; ce qui fait que les rivières sont abandonnées. Il n’est donc pas besoin d’aller très loin pour s’extraire des contraintes urbaines et retrouver un espace dont l’homme n’est pas complètement maître.
Quel fleuve aimeriez-vous descendre en canoë ?
Petit, j’étais fasciné par l’Urubamba, sans savoir exactement où il coulait, juste à cause de son nom. La toponymie a toujours représenté pour moi une bonne part du voyage. Par ailleurs, j’aime les cours d’eau dont les rives sont en partie peuplées. Il est toujours très étonnant de naviguer en équilibre entre civilisation humaine et nature. L’Amour, sur lequel je n’irai sans doute jamais, immense frontière sino-russe et beaucoup plus navigable que notre petit Bonheur cévenol, cumule ces deux qualités. Mais il y a tant de fleuves récemment ou prochainement détruits à cause de nos besoins en énergie, que j’aimerais connaître ! J’étais jeune quand le premier barrage fut édifié sur le Rhône, à Donzère. Nous habitions dans une sorte de jungle au bord du fleuve, qui nous inondait presque chaque printemps. J’aurais bien aimé y naviguer alors. Aujourd’hui, le Rhône est un escalier et il serait ridicule de demander si on l’a bien descendu.
Une œuvre littéraire a-t-elle inspiré ou appuyé votre désir de voyager en canoë ?
Mes goûts pour la lecture et le canoë se sont développés indépendamment l’un de l’autre, et ce serait plutôt le canoë qui me tirerait vers des auteurs. Les livres que j’emporte (hormis les livres utiles sur le terrain pour reconnaître les plantes, par exemple) n’ont souvent que peu de rapport avec mon voyage. Je ne ressens pas le besoin de mettre mon bateau dans le sillage d’un prédécesseur : l’avoir lu me suffit. J’aime autant filer mes chemins dont l’un me mènera, un jour où je n’aurai pas envie d’aller loin, à Saint-Florent-le-Vieil où a été en partie écrit Le Rivage des Syrtes. Pour cela, il faudra partir de Meung-sur-Loire, le pays de Gaston Couté, et passer sous les fenêtres de François Bon avant de saluer Balzac. Ce sera en hiver.
Il faut différencier le terme du but du voyage. Les premiers voyageurs en canoë n’aspiraient qu’à parcourir les fleuves de la source à la mer. Ils ne réussissaient que rarement. Géographiquement parlant, je n’ai jamais eu d’ambition d’exploration telle qu’on l’entendait au XIXe siècle. Je suis plus sensible à la progression, à l’évolution du paysage, aux transformations du cours d’eau, aux différences d’usage qu’en ont les riverains, qu’aux points cartographiques. J’accorde beaucoup plus d’attention aux lieux traversés qu’aux arrivées. Je préfère prendre le temps de voir et de sentir plutôt que d’allonger les kilomètres vers une extrémité d’itinéraire. Quitte à n’avancer que très peu par jour. Le fait d’être sur l’eau, d’être en quelque sorte hors de l’espace commun, favorise l’intériorité et, paradoxalement, l’ouverture. Et le voyage n’est pas fini !
Comment la pratique du canoë a-t-elle évolué au cours de l’histoire ?
Les Amérindiens ont développé une embarcation et une technique sophistiquées qui, contrairement à la pirogue, permettent de passer d’un bassin-versant à un autre. L’usage utilitaire a disparu au profit du loisir mais on constate aussi que ses capacités à être porté et à remonter les cours d’eau ont disparu simultanément. On peut dire qu’aujourd’hui la pratique récréative se limite à aller dans le sens du courant. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le canoë a été victime d’un préjugé : il était un ? bateau de sauvage ». On lui a appliqué les techniques connues (aviron et pagaie double, construction à clins) avant de reconsidérer l’essence du bateau. Paradoxalement, c’est un Français, Roger Paris, qui a converti dans les années 1950 les États-Uniens à la pratique du canoë en eau vive. Ils ne juraient alors que par la barque en chêne. Le préjugé a disparu, mais le portage du canoë s’est encore atrophié sous le poids de l’automobile.
Pagayer sans relâche sur fleuves et rivières relève-t-il pour vous d’une quête de solitude ?
Mon travail d’éditeur et de libraire en ligne me protège assez des foules. En canoë, je ne cherche pas la solitude pour la solitude – certains disent que je ne suis pas un vrai misanthrope. Je tente plutôt de m’extraire de la pression urbaine, de l’ordonnance de l’espace et du rythme de vie formaté. Par bonheur, notre civilisation, si moderne soit-elle, n’est pas encore venue totalement à bout des contraintes naturelles posées par l’eau, qui cumule de graves inconvénients : l’homme y respire mal et peu longtemps, et elle a tendance à se répandre partout. Aujourd’hui, aller sur l’eau n’est plus une nécessité, mais la peur qu’elle suscite reste encore très partagée ; ce qui fait que les rivières sont abandonnées. Il n’est donc pas besoin d’aller très loin pour s’extraire des contraintes urbaines et retrouver un espace dont l’homme n’est pas complètement maître.
Quel fleuve aimeriez-vous descendre en canoë ?
Petit, j’étais fasciné par l’Urubamba, sans savoir exactement où il coulait, juste à cause de son nom. La toponymie a toujours représenté pour moi une bonne part du voyage. Par ailleurs, j’aime les cours d’eau dont les rives sont en partie peuplées. Il est toujours très étonnant de naviguer en équilibre entre civilisation humaine et nature. L’Amour, sur lequel je n’irai sans doute jamais, immense frontière sino-russe et beaucoup plus navigable que notre petit Bonheur cévenol, cumule ces deux qualités. Mais il y a tant de fleuves récemment ou prochainement détruits à cause de nos besoins en énergie, que j’aimerais connaître ! J’étais jeune quand le premier barrage fut édifié sur le Rhône, à Donzère. Nous habitions dans une sorte de jungle au bord du fleuve, qui nous inondait presque chaque printemps. J’aurais bien aimé y naviguer alors. Aujourd’hui, le Rhône est un escalier et il serait ridicule de demander si on l’a bien descendu.
Une œuvre littéraire a-t-elle inspiré ou appuyé votre désir de voyager en canoë ?
Mes goûts pour la lecture et le canoë se sont développés indépendamment l’un de l’autre, et ce serait plutôt le canoë qui me tirerait vers des auteurs. Les livres que j’emporte (hormis les livres utiles sur le terrain pour reconnaître les plantes, par exemple) n’ont souvent que peu de rapport avec mon voyage. Je ne ressens pas le besoin de mettre mon bateau dans le sillage d’un prédécesseur : l’avoir lu me suffit. J’aime autant filer mes chemins dont l’un me mènera, un jour où je n’aurai pas envie d’aller loin, à Saint-Florent-le-Vieil où a été en partie écrit Le Rivage des Syrtes. Pour cela, il faudra partir de Meung-sur-Loire, le pays de Gaston Couté, et passer sous les fenêtres de François Bon avant de saluer Balzac. Ce sera en hiver.