Interviews
Paris (France)
Année 2013
© Matthieu Raffard
Nicolas Weill-Parot – Entrez le codex secret !
propos recueillis par Marine de Bouillane de Lacoste
Archives des interviews
Comment votre parcours universitaire en histoire vous a-t-il mené à l’étude des sciences occultes médiévales ?
Le choix d’un sujet d’étude relève de forces parfois obscures et suit des chemins imprévus? Mon intérêt pour la magie médiévale remonte au tout début de mon parcours d’apprenti historien. Pour le dire vite, je suis passé d’une fascination – assez banale – pour l’irrationnel à une passion pour l’étude de la confrontation entre la rationalité scientifique et ses confins. Je me suis d’abord tourné vers les confins magiques et astrologiques, mais – sans délaisser ce domaine – je me suis de plus en plus orienté vers d’autres frontières, comme les propriétés occultes, l’attraction magnétique ou l’horreur que la nature était censée éprouver à l’encontre du vide.
En quoi les grimoires invitent-ils à voyager ?
Le terme ? grimoire » a le mérite d’inviter à une rêverie argumentée et métaphorique sur la puissance ? magique » que cèle tout manuscrit offert à l’étude de l’historien, qui est ainsi promu au rang de nigromant, ou mieux, de nécromant. En jouant ce jeu, les grimoires ont le pouvoir de pousser le chercheur au voyage, et d’abord pour une raison concrète : leur présence dispersée dans les fonds manuscrits de bibliothèques du monde entier. Ces livres ont voyagé au gré de l’histoire et de ses aléas. Il faut aller quérir ce témoin à la fois précieux et fragile dans la châsse qui le conserve. Mais évidemment, il ne faut pas avoir beaucoup d’imagination pour concevoir la métaphore d’un autre voyage, qui prend son origine dans la fréquentation du codex écrit de la main d’un copiste – parfois celle de l’auteur lui-même. Un tel vestige a cette puissance suggestive de faire remonter le cours des mots, le cours du temps.
À l’heure du livre numérique, quel avenir pour l’étude des manuscrits anciens ?
Tout chercheur sait que la consultation du manuscrit dans sa matérialité est irremplaçable. Il existera toujours un hiatus entre le virtuel et le réel, et c’est sans doute mieux ainsi. Vous avez beau connaître au millimètre près la taille de votre codex, faire tous les agrandissements que vous voudrez grâce au zoom du logiciel de lecture, la réalité du manuscrit vous échappera. Néanmoins, la numérisation est une excellente nouvelle, surtout si on la compare aux microfilms en noir et blanc, peu lisibles. L’étude des manuscrits anciens est moins menacée par le numérique en tant que tel que par les idéologies qui s’y greffent parfois : des idéologies ? modernolâtres » ou ? bougistes » (pour reprendre le terme forgé par Pierre-André Taguieff), qui estiment que ce genre d’étude n’a aucun intérêt, puisqu’on ne peut l’insérer ni dans une logique sociale (pour les uns), ni dans une logique économique (pour les autres). Ces deux courants idéologiques convergent vers une même mise à mort des humanités et des études érudites qui les fondent.
Si vous pouviez voyager dans le temps et vous retrouver au Moyen Âge, vers quelle bibliothèque vous conduiraient vos pas ?
Sans doute vers une bibliothèque universitaire à Paris ou à Oxford. Certes, les manuscrits qui y seraient conservés seraient, dans l’ensemble, moins beaux, moins luxueux, moins enluminés que ceux d’une bibliothèque princière, comme la célèbre librairie de Charles V qui se trouvait au Louvre. Mais le contenu des manuscrits, par exemple, ceux de philosophie naturelle, serait passionnant. On sait que nombre de codices se sont perdus. Quant à l’atmosphère de la bibliothèque, elle serait certainement grisante, même si je redoute un peu la trop grande proximité des pieds de certains intellectuels du Moyen Âge?
Un historien vous inspire-t-il par ses travaux de recherche ou par son âme de découvreur ?
Nombreux sont les noms qui pourraient être mentionnés. Par exemple, Guy Beaujouan, qui a tant fait pour l’histoire de la science médiévale. Mais il y a aussi une deuxième manière de comprendre cette question : comme une alternative qui viserait à déterminer, de celui qui réfléchit ou de celui qui découvre, le modèle d’historien qui m’inspire. Dans ce cas, ma réponse mettrait à l’honneur l’historien qui conjugue une aptitude à découvrir et une inclination à réfléchir, car les deux vont souvent de pair. Précisons qu’il y a plusieurs types de découvertes : celle d’un texte nouveau, mais aussi une nouvelle approche d’un texte connu. Quoi qu’il en soit, la véritable réflexion s’élabore à partir de sources connues ou moins connues. De ce point de vue – toute malveillance mise de côté –, je crois que certains historiens seraient avisés d’oublier les théories à la mode pour réfléchir véritablement d’après les sources. Certains auraient intérêt à délaisser un peu Bourdieu ou telle ? prêtresse des études du genre » au profit de Thomas d’Aquin ou de Nicole Oresme?
Le choix d’un sujet d’étude relève de forces parfois obscures et suit des chemins imprévus? Mon intérêt pour la magie médiévale remonte au tout début de mon parcours d’apprenti historien. Pour le dire vite, je suis passé d’une fascination – assez banale – pour l’irrationnel à une passion pour l’étude de la confrontation entre la rationalité scientifique et ses confins. Je me suis d’abord tourné vers les confins magiques et astrologiques, mais – sans délaisser ce domaine – je me suis de plus en plus orienté vers d’autres frontières, comme les propriétés occultes, l’attraction magnétique ou l’horreur que la nature était censée éprouver à l’encontre du vide.
En quoi les grimoires invitent-ils à voyager ?
Le terme ? grimoire » a le mérite d’inviter à une rêverie argumentée et métaphorique sur la puissance ? magique » que cèle tout manuscrit offert à l’étude de l’historien, qui est ainsi promu au rang de nigromant, ou mieux, de nécromant. En jouant ce jeu, les grimoires ont le pouvoir de pousser le chercheur au voyage, et d’abord pour une raison concrète : leur présence dispersée dans les fonds manuscrits de bibliothèques du monde entier. Ces livres ont voyagé au gré de l’histoire et de ses aléas. Il faut aller quérir ce témoin à la fois précieux et fragile dans la châsse qui le conserve. Mais évidemment, il ne faut pas avoir beaucoup d’imagination pour concevoir la métaphore d’un autre voyage, qui prend son origine dans la fréquentation du codex écrit de la main d’un copiste – parfois celle de l’auteur lui-même. Un tel vestige a cette puissance suggestive de faire remonter le cours des mots, le cours du temps.
À l’heure du livre numérique, quel avenir pour l’étude des manuscrits anciens ?
Tout chercheur sait que la consultation du manuscrit dans sa matérialité est irremplaçable. Il existera toujours un hiatus entre le virtuel et le réel, et c’est sans doute mieux ainsi. Vous avez beau connaître au millimètre près la taille de votre codex, faire tous les agrandissements que vous voudrez grâce au zoom du logiciel de lecture, la réalité du manuscrit vous échappera. Néanmoins, la numérisation est une excellente nouvelle, surtout si on la compare aux microfilms en noir et blanc, peu lisibles. L’étude des manuscrits anciens est moins menacée par le numérique en tant que tel que par les idéologies qui s’y greffent parfois : des idéologies ? modernolâtres » ou ? bougistes » (pour reprendre le terme forgé par Pierre-André Taguieff), qui estiment que ce genre d’étude n’a aucun intérêt, puisqu’on ne peut l’insérer ni dans une logique sociale (pour les uns), ni dans une logique économique (pour les autres). Ces deux courants idéologiques convergent vers une même mise à mort des humanités et des études érudites qui les fondent.
Si vous pouviez voyager dans le temps et vous retrouver au Moyen Âge, vers quelle bibliothèque vous conduiraient vos pas ?
Sans doute vers une bibliothèque universitaire à Paris ou à Oxford. Certes, les manuscrits qui y seraient conservés seraient, dans l’ensemble, moins beaux, moins luxueux, moins enluminés que ceux d’une bibliothèque princière, comme la célèbre librairie de Charles V qui se trouvait au Louvre. Mais le contenu des manuscrits, par exemple, ceux de philosophie naturelle, serait passionnant. On sait que nombre de codices se sont perdus. Quant à l’atmosphère de la bibliothèque, elle serait certainement grisante, même si je redoute un peu la trop grande proximité des pieds de certains intellectuels du Moyen Âge?
Un historien vous inspire-t-il par ses travaux de recherche ou par son âme de découvreur ?
Nombreux sont les noms qui pourraient être mentionnés. Par exemple, Guy Beaujouan, qui a tant fait pour l’histoire de la science médiévale. Mais il y a aussi une deuxième manière de comprendre cette question : comme une alternative qui viserait à déterminer, de celui qui réfléchit ou de celui qui découvre, le modèle d’historien qui m’inspire. Dans ce cas, ma réponse mettrait à l’honneur l’historien qui conjugue une aptitude à découvrir et une inclination à réfléchir, car les deux vont souvent de pair. Précisons qu’il y a plusieurs types de découvertes : celle d’un texte nouveau, mais aussi une nouvelle approche d’un texte connu. Quoi qu’il en soit, la véritable réflexion s’élabore à partir de sources connues ou moins connues. De ce point de vue – toute malveillance mise de côté –, je crois que certains historiens seraient avisés d’oublier les théories à la mode pour réfléchir véritablement d’après les sources. Certains auraient intérêt à délaisser un peu Bourdieu ou telle ? prêtresse des études du genre » au profit de Thomas d’Aquin ou de Nicole Oresme?