Interviews


Quartier de Barranco – Lima (Pérou)
Année 2012
© Omar Lucas

Sébastien Jallade – Les Andes pour Extrême-Occident
propos recueillis par Matthieu Delaunay

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Pourquoi être parti en Terre de Feu à 17 ans avec votre frère ?
À cause de l’émission Ushuaïa de Nicolas Hulot. Mais plus par opposition que par fascination. Là-bas, j’ai découvert un continent que je n’avais pourtant pas quitté. L’Argentine, ça n’a jamais été un ailleurs, toujours un second port d’attache. J’avais envie de tordre le cou aux vieux mythes du gaucho et de la pampa construits par les Occidentaux. Ce voyage n’a pas été une révélation, plutôt une confirmation.

Qu’est-ce qui vous a poussé à aller voir le Qhapaq Ñan ?
D’abord l’intérêt que je porte à ce continent. J’ai une relation quasi intime avec l’Amérique du Sud. C’est, du fait de mes liens personnels et familiaux, un peu mon « Extrême-Occident ». Ensuite, l’idée était de suivre la route inca qui relie Pasto en Colombie à Santiago au Chili. C’est un réseau de chemin de 30 000 km. Avec Aurélia Frey et Stéphane Pachot, j’ai donc décidé de me rendre de Quito à La Paz, parce qu’il s’agit du tronçon central andin qui joint notamment les deux anciennes capitales incas, Cusco et Cuenca. Tout en suivant cette épine dorsale, il y a eu aussi la volonté d’aller à la rencontre des hommes qui font l’Amérique latine d’aujourd’hui.

Avez-vous connu des désillusions sur cette route ?
D’abord, nous avons été confrontés à la réalité météorologique, au défi physique, à la réalité ! La réalité, c’est qu’à force de nous battre contre le chemin, nous n’avons pas pu faire le travail pour lequel nous étions venus. Donc il a fallu faire des impasses. Ensuite, il faut oublier le côté mythique du chemin : les ponchos, les lamas, les Incas. Quand on marche dans les Andes, on se trouve dans une faille, une fracture. La Cordillère est marquée depuis plusieurs décennies par l’exode rural, le déclin des communautés traditionnelles et de la langue quechua. Mais nous avons fait des rencontres très fortes, très puissantes.

Quelles images vous ont particulièrement marqué ?
Je garderai toujours en souvenir la semaine sainte. J’étais alors à Huamachuco, au Pérou. Assister à la mise en scène de la mort du Christ a été très impressionnant. Les reconstitutions et les processions étaient accompagnées de la bande-son surréaliste d’un péplum en langue allemande et de la voix d’une narratrice qui lisait des passages de la Bible à destination des paysans venus des environs. C’était un spectacle fascinant. Les populations andines ont un goût passionnel pour la procession ! On a vu des vierges swinguer, des christs danser.

Trois livres pour lequel vous avez de l’affection…
Il y en aurait bien plus ! Mais sans hésiter Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov. C’est un récit exceptionnel de 500 pages dans lequel l’auteur dessine le paysage tourmenté et mythique d’une île de l’Arctique russe autant qu’une aventure personnelle radicale. Ensuite je dirais L’Amour des commencements de Jean-Bertrand Pontalis ; c’est un psychanalyste que je relis souvent et qui y fait un magnifique éloge du départ. J’ai autant appris en lisant ce livre qu’en voyageant physiquement et géographiquement. Enfin, il y a Armen de Jean-Pierre Abraham.
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