Interviews


Terre de Feu (Chili).
Année 1998
© Thierry Debyser

Bruno d’Halluin – Nouveau Monde et dernier Viking
propos recueillis par Claire Dufaure

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Vous écrivez Jón l’Islandais au retour de votre voyage en Islande. Quels éléments de ce pays vous ont le plus inspiré pour l’écriture ?
On peut dire que le voyage et l’écriture se sont nourris l’un l’autre. D’une part, je me suis attaché, lors de cette navigation vers et autour de l’Islande, à visiter des endroits où je voulais voir évoluer mon héros, à la fois pour me fondre dans les paysages et me documenter sur l’histoire de ces lieux. D’autre part, j’ai découvert des îles et des contrées qui m’ont servi de décors, non prévus initialement, pour une escale ou une aventure de Jón. La description d’un paysage sera tout de même plus riche et plus vivante si l’on s’en est imprégné auparavant. Dépeindre par écrit les aléas de la navigation dans les fjords – météo, courants, marées, amers, état de la mer, couleurs – sera plus tangible si l’on en a fait soi-même l’expérience.

En tant que navigateur, vous sentez-vous proche du peuple viking ?
Je ne dirais pas cela, car les conditions de navigation ont bien changé depuis l’époque des Vikings et même depuis celle des Grandes Découvertes. Aujourd’hui, on connaît le climat océanique, on reçoit des prévisions météo et nos GPS nous indiquent la position sur la carte. Ce sont de vrais progrès, même si cela peut se faire au détriment de ce qu’on appelle le sens marin, plus intuitif : l’observation des nuages, de la houle et des vagues, des oiseaux de mer, des animaux marins, des étoiles. Tout au plus pourrait-on trouver quelques points communs liés à la navigation hauturière : l’esprit de découverte et d’aventure, le plaisir de composer avec le vent et la mer.

Vous avez écrit plusieurs romans historiques sur la période des Grandes Découvertes. Quelle serait la spécificité de Jón l’Islandais selon vous ?
Jón l’Islandais est mon premier roman, j’ai donc une tendresse particulière pour lui ! Contrairement à mes deux autres récits, le personnage principal est fictif mais il s’inscrit dans une coïncidence – une injustice ? – de l’Histoire. Vers la fin du XVe siècle, au moment où les nouvelles nations maritimes explorent l’Amérique, le peuple qui l’avait découverte cinq siècles auparavant disparaît : les Vikings du Groenland. J’ai donc créé ce personnage d’un jeune Islandais qui, d’une part, va avoir accès aux anciennes sagas relatant la colonisation du Groenland et la découverte du Vinland (du côté de Terre-Neuve) et, d’autre part, va côtoyer des navigateurs anglais et portugais mettant le cap vers ces terres du couchant. Mais le lecteur va aussi appréhender l’Islande de l’époque au travers des aventures de notre héros et de ses rencontres amicales, hostiles ou amoureuses.

Dites-nous en plus sur la recherche documentaire ayant précédé l’écriture ?
Comme mon parti pris est de ne pas être en contradiction avec l’Histoire, cela nécessite de se documenter le plus possible. Je voulais par exemple connaître l’histoire du Breidafjord à la fin du XVe siècle, où je voulais faire évoluer mon héros. Or la documentation en français et même en anglais est assez succincte. Je me suis donc mis à la recherche, dans les bibliothèques de Reykjavik, de documents en islandais. J’ai rapporté en France tout un tas de photocopies incompréhensibles, que j’ai fait traduire. Je peux désormais affirmer que je suis l’un des meilleurs spécialistes français de l’histoire du Breidafjord à la fin du XVe siècle !

Parlez-nous d’un livre sur l’Islande qui vous a particulièrement plu.
J’ai beaucoup aimé La Cloche d’Islande de Halldór Laxness, dont l’action se passe au début du XVIIIe siècle, dans une Islande très pauvre et soumise à la domination danoise. Les trois personnages principaux – un paysan indigent, une femme solaire et un érudit chercheur de parchemins – sont particulièrement bien campés, avec leurs forces et leurs faiblesses, ambigus, extraordinairement vivants. Comme il est écrit dans la belle préface de Régis Boyer, « sur chacun d’eux pèsent de tout leur poids l’histoire, la légende et le prestige de l’Islande Â». Chacun à leur manière, ils vont résister afin que perdure leur pays. Le lecteur, en les accompagnant, pénètre l’âme de l’Islande.
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