Interviews
Massif du Khan-Khöökhi – Uvs (Mongolie)
Année 2004
© Laurent Barroo
Marc Alaux – Prendre la yourte d’escampette
propos recueillis par Émeric Fisset
Archives des interviews
Pourquoi hiverner sous la yourte ?
Ma passion pour la Mongolie a de l’âge, je l’ai longtemps enrichie de voyages à pied dans la steppe, sac au dos ou avec des chevaux de bât. Ces expériences sont constructives mais ont leurs limites quand elles se répètent ou constituent la seule relation au pays. Il me fallait changer d’angle pour mieux voir, ou plutôt me rapprocher. Rien de mieux alors que d’aller vers ce que je redoutais : l’apprentissage de la langue, le froid et la promiscuité. J’avais déjà passé un hiver à Oulan-Bator au sein d’un foyer citadin. Il fallait que je poursuive l’ancrage en m’immergeant dans l’intimité d’une famille campagnarde : le couple d’éleveurs nomades que forment Gotov et Oyunchimeg m’a accueilli comme un frère. Et le plus étonnant, c’est qu’ils m’ont supporté sans sourciller durant trois mois.
À quoi ressemble leur campement d’hiver ?
C’est l’illustration de la simplicité. À l’abri d’un parapet rocheux qui protège des vents sibériens se dresse l’habitation des hommes : une yourte modeste pour le couple avec son enfant d’un an et demi, qui cohabitent avec les animaux malades ou faibles, et seulement meublée d’un coffre, d’un poêle ainsi que de couvertures et de matelas en feutre. À côté, il y a l’habitation des animaux, en rondins de mélèze : elle héberge 250 chèvres et brebis et une douzaine de bovins. Garées devant, la jeep russe de Gotov et une moto chinoise, toutes deux en ruine. Vous voyez, tout cela est très simple, et donc très beau. D’ailleurs, là, le vallon s’ouvre et le regard plonge vers des dizaines de kilomètres carrés de lac gelé et de steppe inhabitée? Le tout à deux jours et une nuit de bus d’Oulan-Bator, la capitale, et à quelques heures de piste de la Russie.
Quelles ont été les difficultés de votre hiver, et à quelles qualités avez-vous dû faire appel pour les affronter ?
Les difficultés sont nombreuses pour le voyageur étranger à la Mongolie : la promiscuité, l’isolement, les tâches physiques, l’inconfort, l’incertitude? Or, tout cela m’était familier et donc simple à accepter. Par ailleurs, la promiscuité m’a fait oublier l’isolement, l’effort physique dans la steppe vêtue de son habit de fer m’a fait rire de l’inconfort supposé de la yourte. Quant à l’incertitude, je lui trouve des vertus libératrices. À ce stade, avouons-le, ma nature béotienne m’a grandement aidé à trouver simple ce qui paraîtrait compliqué à des esprits mieux équipés. Allez, pour résumer : qui veut traverser l’hiver mongol doit serrer les dents et rire de tout, notamment de lui-même.
Qu’avez-vous compris des relations entre les éleveurs ?
Voilà un sujet de thèse universitaire ! Attardons-nous donc sur un point seulement : le besoin des autres, le refus de la solitude, le sens du groupe. On voit souvent dans les éleveurs nomades des sortes de poètes des confins se nourrissant de la solitude des grands horizons. Ces gens vivent en effet sur un vaste territoire peu peuplé, mais ils rêvent de vie en société, sous la yourte ou au village, de visites aux voisins, de soirées en famille, de fêtes communautaires, de commensalité? On est loin de l’image du berger qui mûrit depuis le haut de sa colline une conception du monde en harmonie avec la nature.
Comment travaillez-vous pour documenter ainsi la steppe mongole et ses habitants ?
Un seul secret : lire et lire encore, c’est le secret pour s’enrichir du regard des autres. Une autre astuce : rester humble devant ce que l’on pense connaître – le sujet dont on fait le tour est en constante évolution ! Donc, quand on ne lit pas, il faut visionner des documentaires, assister à des concerts, rencontrer ceux qui sont originaires de ce pays ou l’étudient. Les informations que je glane se situent au carrefour de toutes les approches du pays – un bon alliage se compose de métaux divers. Vorace de connaissances, j’indexe ces données, les rassemble, les trie et les résume puis j’écris en confrontant ma vision à celle des autres. De là, peut-être, un semblant de vérité, forcément brève – alors, le lendemain, je recommence.
Ma passion pour la Mongolie a de l’âge, je l’ai longtemps enrichie de voyages à pied dans la steppe, sac au dos ou avec des chevaux de bât. Ces expériences sont constructives mais ont leurs limites quand elles se répètent ou constituent la seule relation au pays. Il me fallait changer d’angle pour mieux voir, ou plutôt me rapprocher. Rien de mieux alors que d’aller vers ce que je redoutais : l’apprentissage de la langue, le froid et la promiscuité. J’avais déjà passé un hiver à Oulan-Bator au sein d’un foyer citadin. Il fallait que je poursuive l’ancrage en m’immergeant dans l’intimité d’une famille campagnarde : le couple d’éleveurs nomades que forment Gotov et Oyunchimeg m’a accueilli comme un frère. Et le plus étonnant, c’est qu’ils m’ont supporté sans sourciller durant trois mois.
À quoi ressemble leur campement d’hiver ?
C’est l’illustration de la simplicité. À l’abri d’un parapet rocheux qui protège des vents sibériens se dresse l’habitation des hommes : une yourte modeste pour le couple avec son enfant d’un an et demi, qui cohabitent avec les animaux malades ou faibles, et seulement meublée d’un coffre, d’un poêle ainsi que de couvertures et de matelas en feutre. À côté, il y a l’habitation des animaux, en rondins de mélèze : elle héberge 250 chèvres et brebis et une douzaine de bovins. Garées devant, la jeep russe de Gotov et une moto chinoise, toutes deux en ruine. Vous voyez, tout cela est très simple, et donc très beau. D’ailleurs, là, le vallon s’ouvre et le regard plonge vers des dizaines de kilomètres carrés de lac gelé et de steppe inhabitée? Le tout à deux jours et une nuit de bus d’Oulan-Bator, la capitale, et à quelques heures de piste de la Russie.
Quelles ont été les difficultés de votre hiver, et à quelles qualités avez-vous dû faire appel pour les affronter ?
Les difficultés sont nombreuses pour le voyageur étranger à la Mongolie : la promiscuité, l’isolement, les tâches physiques, l’inconfort, l’incertitude? Or, tout cela m’était familier et donc simple à accepter. Par ailleurs, la promiscuité m’a fait oublier l’isolement, l’effort physique dans la steppe vêtue de son habit de fer m’a fait rire de l’inconfort supposé de la yourte. Quant à l’incertitude, je lui trouve des vertus libératrices. À ce stade, avouons-le, ma nature béotienne m’a grandement aidé à trouver simple ce qui paraîtrait compliqué à des esprits mieux équipés. Allez, pour résumer : qui veut traverser l’hiver mongol doit serrer les dents et rire de tout, notamment de lui-même.
Qu’avez-vous compris des relations entre les éleveurs ?
Voilà un sujet de thèse universitaire ! Attardons-nous donc sur un point seulement : le besoin des autres, le refus de la solitude, le sens du groupe. On voit souvent dans les éleveurs nomades des sortes de poètes des confins se nourrissant de la solitude des grands horizons. Ces gens vivent en effet sur un vaste territoire peu peuplé, mais ils rêvent de vie en société, sous la yourte ou au village, de visites aux voisins, de soirées en famille, de fêtes communautaires, de commensalité? On est loin de l’image du berger qui mûrit depuis le haut de sa colline une conception du monde en harmonie avec la nature.
Comment travaillez-vous pour documenter ainsi la steppe mongole et ses habitants ?
Un seul secret : lire et lire encore, c’est le secret pour s’enrichir du regard des autres. Une autre astuce : rester humble devant ce que l’on pense connaître – le sujet dont on fait le tour est en constante évolution ! Donc, quand on ne lit pas, il faut visionner des documentaires, assister à des concerts, rencontrer ceux qui sont originaires de ce pays ou l’étudient. Les informations que je glane se situent au carrefour de toutes les approches du pays – un bon alliage se compose de métaux divers. Vorace de connaissances, j’indexe ces données, les rassemble, les trie et les résume puis j’écris en confrontant ma vision à celle des autres. De là, peut-être, un semblant de vérité, forcément brève – alors, le lendemain, je recommence.