Interviews


Caravansérail de Tash Rabat – Tian Shan (Kirghizistan)
Année 2019
© Léopoldine Desprez

Élise Desprez – Amazones de la steppe
propos recueillis par Marc Alaux

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Depuis quand vous passionnez-vous pour l’équitation ?
Ayant grandi avec des chevaux réformés de courses, ma sœur aînée Léopoldine et moi-même poursuivons une passion qui remonte à notre plus tendre enfance. De ces animaux, nous avons appris la patience et la persévérance nécessaires pour construire un lien de confiance. Malgré de nombreuses chutes et quelques os cassés, c’est aussi grâce à ces fidèles compagnons de jeu qu’est né en nous un sentiment de liberté unique procuré par nos chevauchées endiablées sur les plages normandes. Nous avons commencé à monter avec nos parents, qui nous emmenaient dans les chemins bocagers autour de la maison. Puis, en grandissant, nous avons gagné en autonomie et en assurance – nous partions toutes les deux explorer la campagne et repousser nos limites. Les chevaux nous ont appris à développer notre confiance en nous et à nous fier à nos instincts.

Quelles sont les spécificités du voyage à cheval ?
Le voyage à cheval nécessite avant tout de s’occuper d’un autre être vivant que soi-même. Sa survie et son bien-être deviennent essentiels et souvent prioritaires par rapport au nôtre. S’il n’y a pas d’eau ou d’herbe en quantité et qualité suffisantes, il faut parcourir quelques kilomètres supplémentaires en fin de journée pour les trouver, même lorsqu’on est épuisé. Ce mode de voyage n’offre aucun répit. Les endroits tels que les villes qui sont accueillants et confortables pour le voyageur restent hostiles aux chevaux ; il faut donc les éviter. Voyager à cheval comporte aussi des risques : se faire voler ses montures, ou que celles-ci se blessent ou s’échappent. Mais cela présente par ailleurs l’avantage d’avoir avec les autochtones l’animal comme médium, qui facilite instantanément les échanges, surtout auprès de peuples cavaliers comme les Kazakhs et les Kirghizes. Il force également à être dépendant des habitants des zones traversées, pour se loger, trouver les ressources nécessaires à leur santé ou pour l’équipement. Là aussi, le cheval sert de vecteur pour interagir avec l’environnement dans lequel nous évoluons. Enfin, le lien qui se tisse avec lui est extrêmement fort ; c’est une expérience unique.

Votre plus beau souvenir de cavalières au Kirghizstan ?
Certainement celui de nous être senties devenir progressivement centaures aux côtés de nos montures pour finir par ne faire plus qu’une avec elles, embrassant notre part sauvage pour être enfin acceptées par les montagnes. Également sentir la confiance réciproque grandir entre nous. Sur les terrains montagneux qui nous étaient parfaitement inconnus, ils devenaient nos guides. Ils ouvraient la voie dans les passages techniques de pierriers ou de gués : nous n’avions plus qu’à les suivre. Au contraire, lorsqu’ils ont foulé pour la première fois des sols bitumés et ont été confrontés au monde motorisé, alors, c’est dans notre calme qu’ils sont venus se réfugier. Peut-être aussi le matin où nos chevaux se sont échappés pour la cinquième fois – ce jour-là, ils ont fugué tous les trois ensemble, preuve que la caravane était enfin soudée !

Qu’est-ce que l’écriture du récit Cavalières, La chevauchée kirghize vous a permis de faire ou de vivre ?
L’écriture permet de revivre l’aventure, de retravailler les souvenirs, de les disséquer à la loupe du temps qui passe. Parfois, sur le terrain, la nécessité d’avancer font que nous vivons le voyage comme un simple enchaînement de tâches à effectuer, une ? besogne Â» quotidienne à accomplir ; à l’inverse, l’écriture permet de poser des mots sur l’expérience, d’en prendre la pleine mesure. Elle permet également de prendre du recul, de tourner la page du voyage, de passer le cap si difficile du retour. Ce récit nous permet aussi de découvrir le monde de la littérature de voyage, de l’édition et offre des rencontres fabuleuses. C’est une autre manière de continuer le voyage.

De quels auteurs cavaliers recommanderiez-vous la lecture ? Et pourquoi ?
Joseph Kessel et ses Cavaliers pour sa manière si unique de décrire les hommes, les bêtes et les paysages dans lesquels ils se fondent.
Émile Brager et son Traité du voyage à cheval pour tous les précieux conseils techniques et pratiques.
Jean-Louis Gouraud avec son Pérégrin émerveillé pour l’exploit accompli – Paris-Moscou à cheval – et sa bienveillance à notre égard.
Tim Cope dans On the Trail of Genghis Khan pour sa ténacité et sa description détaillée des cultures traversées.
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