Interviews
Le balcon de la Mescla – Alpes-de-Haute-Provence (France)
Année 2021
© Jean-Louis Boudart
Jean-Louis Boudart – Dans la Loire que lira-t-on ?
propos recueillis par Tess Groell
Archives des interviews
Vous avez voyagé sur les cinq continents? Parcourir les bords de Loire témoigne-t-il d’une volonté de retour à une certaine proximité ?
Il me semble que nous devons aujourd’hui repenser notre façon de voyager. Le voyage est une expérience humaine indispensable à notre développement personnel et il ne saurait être question d’y renoncer. Mais avec le réchauffement climatique et les enjeux environnementaux, la donne a changé. Notre planète a autant que nous besoin de respirer. Est-il aujourd’hui pertinent de faire des dizaines d’heures d’avion pour voyager ? Selon moi, le voyage n’est pas une destination mais un état d’esprit : c’est la curiosité, l’envie d’apprendre et d’aller vers les autres, d’échanger avec tout ce qui nous entoure, savoir écouter la nature. Pour ça, il n’est pas nécessaire de partir au bout du monde. Mais il m’a fallu sans doute partir très loin, jusqu’en Nouvelle-Zélande, pour mieux apprécier la beauté de la Loire de mon enfance. L’ailleurs semble souvent préférable, mais on ne voit pas toujours le trésor qui se trouve à notre porte. J’ai ressenti le besoin de retourner aux sources.
Pensez-vous que les rencontres faites en chemin sont fondamentales pour contrebalancer la dimension individuelle et solitaire du voyage à vélo ?
La solitude du voyageur n’est pas toujours désagréable. J’aime le silence des grands arbres qui ont la sagesse de savoir se taire. Mais les rencontres constituent aussi une dimension importante du voyage, ce sont elles qui nous font progresser humainement. Et c’est réciproque. Le voyageur apporte sa propre expérience de la vie à celui ou à celle qu’il croise sur son chemin. J’ai voyagé seul, en couple, en groupe et avec mes enfants, mais c’est en étant seul que j’ai rencontré le plus de monde. Quand je voyage seul, je suis plus disponible, plus souple, plus libre, sans doute plus désireux de parler aussi. La solitude nous rend plus humble. L’échange avec l’autre est plus simple. Un voyageur solitaire est plus facilement accueilli qu’un groupe de six personnes. En fait, je ne me sens jamais seul lorsque je voyage en solo. Si on le souhaite, la rencontre est toujours au bout de la route.
Quelle émotion procure l’association de l’effort et de la rencontre avec la puissance de la nature ?
La nature m’apparaît comme une profonde source d’équilibre et d’harmonie. Chaque être vivant y a sa place et y joue parfaitement son rôle. Mis à part l’homme qui, par ses agissements, ne cesse de perturber cet équilibre. Qu’il s’agisse de l’océan, du désert, des montagnes ou d’un simple sous-bois, la nature procure beaucoup de bien-être et d’apaisement à l’âme humaine. Nous ne sommes pas conçus pour vivre dans des villes, mais dehors au grand air. La société urbanisée nous a éloigné de nos racines fondamentales : l’eau, la terre, la lumière. Nous sommes faits pour marcher, pour bouger. Et lorsque nous sommes en plein effort en gravissant un col, à pied ou à vélo, nous retrouvons enfin cette relation primitive de l’être humain avec son environnement. Nous faisons corps avec l’univers des origines. Même si parfois la nature sait nous rappeler notre vraie place, celle d’un être vivant minuscule et vulnérable. Face aux éléments déchaînés, on ne pèse pas grand-chose. Je n’aime pas affronter le mauvais temps, mais j’avoue qu’il me fascine. Aller passer quelques jours d’hiver à Ouessant quand hurle le vent de la tempête est une expérience grandiose.
Votre parcours professionnel est resté proche des Lettres ; pour autant, et malgré vos nombreux voyages, La Loire en roue libre est votre premier livre. Qu’est ce qui a motivé cette fois votre démarche d’écriture ?
Il me semble écrire depuis toujours. C’est cette appétence pour les mots qui m’a conduit très jeune à souhaiter devenir journaliste. Depuis près de quarante ans, je tiens également un journal personnel, un carnet de route qui accompagne mon parcours de vie. Écrire et lire sont les deux activités que je pratique le plus régulièrement. Mais la rédaction d’un livre demande beaucoup de temps et j’ai toujours préféré courir le monde, plutôt que de rester assis derrière un bureau. Cette fois, en suivant le cours de la Loire à vélo, il m’a semblé vivre une expérience différente, inédite, une relation fusionnelle avec le fleuve et j’ai eu envie de raconter cette histoire. J’ai enfin accepté de rester assis derrière un bureau du matin au soir, durant plus de six mois. La Loire en valait bien la peine. J’ai écrit ce livre pour elle.
Quelle œuvre a inspiré votre voyage et votre désir de découverte ?
Ce voyage au long cours en suivant la Loire est la résultante de tous les voyages qui l’ont précédé. Ils furent nombreux, autant que les lectures qui ont pu le motiver. J’ai puisé mon goût de la découverte chez de multiples auteurs tout au long de mon existence et je continue encore. Lire et voyager participent de la même démarche, c’est l’envie d’ailleurs. J’ai découvert très jeune les aventures de Tintin. L’univers d’Hergé ne fut pas étranger à ma vocation de journaliste. Ce furent ensuite vers 14 ans Les Aventures extraordinaires de Jules Verne et les romans de Jack London. L’Appel de la forêt fut une révélation. En naviguant je me suis mis à lire les marins : Joseph Conrad, Herman Melville, Henry de Monfreid. Kessel m’a également beaucoup influencé, ainsi que Sylvain Tesson et Patrice Franceschi. Et puis Jack Kerouac, Jim Harrison et bien sûr Bruce Chatwin. Son Chant des pistes est un pur chef-d’œuvre. Et comment ne pas évoquer Arthur Rimbaud, qui reste selon moi la référence ultime de la poésie et de l’errance.
Il me semble que nous devons aujourd’hui repenser notre façon de voyager. Le voyage est une expérience humaine indispensable à notre développement personnel et il ne saurait être question d’y renoncer. Mais avec le réchauffement climatique et les enjeux environnementaux, la donne a changé. Notre planète a autant que nous besoin de respirer. Est-il aujourd’hui pertinent de faire des dizaines d’heures d’avion pour voyager ? Selon moi, le voyage n’est pas une destination mais un état d’esprit : c’est la curiosité, l’envie d’apprendre et d’aller vers les autres, d’échanger avec tout ce qui nous entoure, savoir écouter la nature. Pour ça, il n’est pas nécessaire de partir au bout du monde. Mais il m’a fallu sans doute partir très loin, jusqu’en Nouvelle-Zélande, pour mieux apprécier la beauté de la Loire de mon enfance. L’ailleurs semble souvent préférable, mais on ne voit pas toujours le trésor qui se trouve à notre porte. J’ai ressenti le besoin de retourner aux sources.
Pensez-vous que les rencontres faites en chemin sont fondamentales pour contrebalancer la dimension individuelle et solitaire du voyage à vélo ?
La solitude du voyageur n’est pas toujours désagréable. J’aime le silence des grands arbres qui ont la sagesse de savoir se taire. Mais les rencontres constituent aussi une dimension importante du voyage, ce sont elles qui nous font progresser humainement. Et c’est réciproque. Le voyageur apporte sa propre expérience de la vie à celui ou à celle qu’il croise sur son chemin. J’ai voyagé seul, en couple, en groupe et avec mes enfants, mais c’est en étant seul que j’ai rencontré le plus de monde. Quand je voyage seul, je suis plus disponible, plus souple, plus libre, sans doute plus désireux de parler aussi. La solitude nous rend plus humble. L’échange avec l’autre est plus simple. Un voyageur solitaire est plus facilement accueilli qu’un groupe de six personnes. En fait, je ne me sens jamais seul lorsque je voyage en solo. Si on le souhaite, la rencontre est toujours au bout de la route.
Quelle émotion procure l’association de l’effort et de la rencontre avec la puissance de la nature ?
La nature m’apparaît comme une profonde source d’équilibre et d’harmonie. Chaque être vivant y a sa place et y joue parfaitement son rôle. Mis à part l’homme qui, par ses agissements, ne cesse de perturber cet équilibre. Qu’il s’agisse de l’océan, du désert, des montagnes ou d’un simple sous-bois, la nature procure beaucoup de bien-être et d’apaisement à l’âme humaine. Nous ne sommes pas conçus pour vivre dans des villes, mais dehors au grand air. La société urbanisée nous a éloigné de nos racines fondamentales : l’eau, la terre, la lumière. Nous sommes faits pour marcher, pour bouger. Et lorsque nous sommes en plein effort en gravissant un col, à pied ou à vélo, nous retrouvons enfin cette relation primitive de l’être humain avec son environnement. Nous faisons corps avec l’univers des origines. Même si parfois la nature sait nous rappeler notre vraie place, celle d’un être vivant minuscule et vulnérable. Face aux éléments déchaînés, on ne pèse pas grand-chose. Je n’aime pas affronter le mauvais temps, mais j’avoue qu’il me fascine. Aller passer quelques jours d’hiver à Ouessant quand hurle le vent de la tempête est une expérience grandiose.
Votre parcours professionnel est resté proche des Lettres ; pour autant, et malgré vos nombreux voyages, La Loire en roue libre est votre premier livre. Qu’est ce qui a motivé cette fois votre démarche d’écriture ?
Il me semble écrire depuis toujours. C’est cette appétence pour les mots qui m’a conduit très jeune à souhaiter devenir journaliste. Depuis près de quarante ans, je tiens également un journal personnel, un carnet de route qui accompagne mon parcours de vie. Écrire et lire sont les deux activités que je pratique le plus régulièrement. Mais la rédaction d’un livre demande beaucoup de temps et j’ai toujours préféré courir le monde, plutôt que de rester assis derrière un bureau. Cette fois, en suivant le cours de la Loire à vélo, il m’a semblé vivre une expérience différente, inédite, une relation fusionnelle avec le fleuve et j’ai eu envie de raconter cette histoire. J’ai enfin accepté de rester assis derrière un bureau du matin au soir, durant plus de six mois. La Loire en valait bien la peine. J’ai écrit ce livre pour elle.
Quelle œuvre a inspiré votre voyage et votre désir de découverte ?
Ce voyage au long cours en suivant la Loire est la résultante de tous les voyages qui l’ont précédé. Ils furent nombreux, autant que les lectures qui ont pu le motiver. J’ai puisé mon goût de la découverte chez de multiples auteurs tout au long de mon existence et je continue encore. Lire et voyager participent de la même démarche, c’est l’envie d’ailleurs. J’ai découvert très jeune les aventures de Tintin. L’univers d’Hergé ne fut pas étranger à ma vocation de journaliste. Ce furent ensuite vers 14 ans Les Aventures extraordinaires de Jules Verne et les romans de Jack London. L’Appel de la forêt fut une révélation. En naviguant je me suis mis à lire les marins : Joseph Conrad, Herman Melville, Henry de Monfreid. Kessel m’a également beaucoup influencé, ainsi que Sylvain Tesson et Patrice Franceschi. Et puis Jack Kerouac, Jim Harrison et bien sûr Bruce Chatwin. Son Chant des pistes est un pur chef-d’œuvre. Et comment ne pas évoquer Arthur Rimbaud, qui reste selon moi la référence ultime de la poésie et de l’errance.