Interviews
Sur les rives du lac Song Köl (Kirghizistan).
Année 2021
© Nursultan Emilbekov
Aymeric de Lamotte – Aymeric en Amérique
propos recueillis par Julie Coupet
Archives des interviews
Quelle est l’origine de votre passion pour l’alpinisme ?
Durant mon enfance et mon adolescence, je passais l’intégralité de mes vacances hivernales et estivales à la montagne. En hiver, je skiais et, l’été, je randonnais en famille. Mon attachement à l’univers montagnard n’est donc pas apparu d’un seul coup ; il a plutôt grandi progressivement. En outre, je suis naturellement fasciné par cet univers, ce qui aide. On sépare souvent les êtres entre deux camps, ceux qui sont ? plutôt montagne » et ceux qui sont ? plutôt mer ». Chez moi, ce n’est pas une caricature. J’aime évidemment la mer comme milieu naturel, j’aime la contempler, mais je la crains et je préfère rester sur la plage. À l’inverse, je ne crains pas du tout l’univers montagnard, il m’attire comme un aimant et je m’y sens comme un poisson dans l’eau si je peux me permettre l’expression. J’aime son caractère âpre, indompté et indomptable et sa beauté hors du temps. Je ressens aussi très profondément ce que Bachelard appelle ? l’attraction pour le mouvement vertical des cimes ». La verticalité m’excite et me galvanise, contrairement à l’horizontalité de la mer qui me calme ou m’ennuie.
Dans quel état d’esprit êtes-vous parti relever le défi de l’ascension de l’Aconcagua ? Faut-il une préparation particulière ?
J’étais partagé entre un sentiment d’excitation et un sentiment d’appréhension. D’une part, j’avais un besoin de wilderness comme disent les Anglais (je ne crois pas qu’il existe un terme en français qui fasse aussi bien ressortir le caractère sauvage de la nature), j’avais envie de me fondre dans une nature hostile, aussi cette phrase d’André Gide des Nourritures terrestres m’obsédait-elle : ? Chaque jour, d’heure en heure, je ne cherchais plus rien qu’une pénétration toujours plus simple de la nature. » Il est devenu assez convenu de dire que notre monde à haut débit génère paradoxalement une grande soif de reconnexion – et donc de déconnexion – à soi, à la simplicité et à la pureté de la nature, à la beauté du monde. Nous sentons, de manière diffuse pour certains, de manière plus palpable pour d’autres, que la modernité virtuelle nous fait perdre cette relation-là. D’autre part, je n’étais pas véritablement inquiet, disons plutôt que j’appréhendais de monter si haut. J’ignorais tout de ma capacité d’adaptation à la haute altitude. J’avais gravi le mont Blanc cinq ans plus tôt, mais il se situe tout de même 2 000 mètres plus bas – 4 808 mètres pour le mont Blanc et 6 932 mètres pour l’Aconcagua. Je touche du bois jusqu’à aujourd’hui, je résiste plutôt bien à l’altitude. Enfin, il faut une bonne préparation sportive, mais l’aspect technique est secondaire car l’ascension s’apparente plutôt à une longue marche. Il n’y a aucun passage qui demande une véritable technicité alpine.
Qu’avez-vous appris sur vous-même sur les sentiers de l’Aconcagua ?
Je dirais que j’ai appris deux choses fondamentales : à maîtriser ma nervosité et à voir. Je m’explique. La haute montagne me prend à contre-pied. Cela a d’ailleurs augmenté mon attirance à son endroit. J’ai un tempérament assez énergique et la haute montagne exige, à l’inverse, une grande dose de maîtrise de soi et de calme. C’est lors d’une conversation vespérale – que je relate dans le livre – avec Francisco, le gardien de Los Penitentes, la station de ski glauque et désertée à 2 500 mètres en bordure du parc provincial de l’Aconcagua où les grimpeurs s’acclimatent, que je prends vraiment conscience de cela. Il me dit qu’il faut anesthésier sa frénésie, qu’il faut tout exécuter très lentement, que se précipiter est la meilleure manière de contracter le mal aigu des montagnes que l’on nomme là-bas la puna. Par ailleurs, grâce au calme que je m’imposais, j’ai appris à contempler et à voir. Dans Saint Exupery Paraclet, Sylvain Fort explique que Saint Exupéry et Simone Weil étanchent leur soif spirituelle dans l’attention extrême et la contemplation. J’ai donc tenté de faire l’expérience de la véritable observation, au sens d’une contemplation. Dans sa correspondance, Flaubert dit qu’il faut ? bien voir », se ? faire prunelle » et ? bien faire voir ». J’ai essayé d’appliquer cette attitude au voyage. Grâce au pouvoir des mots, j’ai tenté de ? bien faire voir » au lecteur en dépeignant le mieux possible la majesté et la beauté de la cordillère des Andes.
Votre livre rend hommage aux héros de l’Aéropostale. D’autres figures vous inspirent-elles ?
J’ai rendu hommage aux héros de l’Aéropostale, car j’ai voulu inscrire mon récit dans l’histoire du lieu. Mermoz et Guillaumet ont défriché le ciel juste au-dessus de l’Aconcagua ! D’une part, cela donnait évidemment du relief, de la densité à mon récit et, d’autre part, je ne voulais pas que ça soit un récit un peu ingrat, nombriliste, uniquement circonscrit à mon aventure personnelle. J’évoque également le Suisse Matthias Zurbriggen qui réalisa la première ascension de l’Aconcagua en 1897 et le Français Robert Paragot et son équipe qui vinrent à bout de la redoutable face sud en 1954. Beaucoup de figures de l’alpinisme m’inspirent : l’italien Walter Bonatti pour son style, sa longévité, son immense respect pour la notion de cordée ; la cordée mythique Lionel Terray-Louis Lachenal. J’ai dévoré le récit de vie de Terray au titre magnifique Les Conquérants de l’inutile ; la cordée Louis Lachenal et Maurice Herzog qui réalisa la première ascension de l’Annapurna en 1950, première fois qu’une cordée accéda à un des huit sommets de plus de 8 000 mètres. J’ai une profonde admiration pour Louis Lachenal, car il sentait que ses pieds gelaient et que le sommet allait lui les coûter, mais étant donné qu’Herzog voulait continuer et que si ce dernier y allait seul, il ne reviendrait pas, Lachenal a tout de même continué en expliquant ensuite qu’il n’avait pas le choix, que ? c’était une affaire de cordée ». Enfin, même si c’est un alpiniste plus contemporain et qu’il s’est éloigné du style alpin traditionnel en relevant son défi à grand renfort d’aide d’extérieur, j’ai été impressionné par l’exploit récent de Nirmal Purja qui a gravi les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres en six mois et six jours.
Avez-vous d’autres ambitions littéraires après ce premier titre ?
Oui, je me suis engagé à écrire une trilogie des cimes, c’est-à-dire trois livres qui parlent d’aventures en montagne. En juillet, je suis parti gravir le pic Lénine au Kirghizistan. Le deuxième portera sur cette ascension et cette région d’Asie centrale qui fut un véritable carrefour de civilisations entre l’Orient et l’Occident grâce aux routes de la soie. J’ai noirci une centaine de pages qui représente la base d’un nouveau livre, mais il me manque une trame. Nous verrons pour le troisième.
Durant mon enfance et mon adolescence, je passais l’intégralité de mes vacances hivernales et estivales à la montagne. En hiver, je skiais et, l’été, je randonnais en famille. Mon attachement à l’univers montagnard n’est donc pas apparu d’un seul coup ; il a plutôt grandi progressivement. En outre, je suis naturellement fasciné par cet univers, ce qui aide. On sépare souvent les êtres entre deux camps, ceux qui sont ? plutôt montagne » et ceux qui sont ? plutôt mer ». Chez moi, ce n’est pas une caricature. J’aime évidemment la mer comme milieu naturel, j’aime la contempler, mais je la crains et je préfère rester sur la plage. À l’inverse, je ne crains pas du tout l’univers montagnard, il m’attire comme un aimant et je m’y sens comme un poisson dans l’eau si je peux me permettre l’expression. J’aime son caractère âpre, indompté et indomptable et sa beauté hors du temps. Je ressens aussi très profondément ce que Bachelard appelle ? l’attraction pour le mouvement vertical des cimes ». La verticalité m’excite et me galvanise, contrairement à l’horizontalité de la mer qui me calme ou m’ennuie.
Dans quel état d’esprit êtes-vous parti relever le défi de l’ascension de l’Aconcagua ? Faut-il une préparation particulière ?
J’étais partagé entre un sentiment d’excitation et un sentiment d’appréhension. D’une part, j’avais un besoin de wilderness comme disent les Anglais (je ne crois pas qu’il existe un terme en français qui fasse aussi bien ressortir le caractère sauvage de la nature), j’avais envie de me fondre dans une nature hostile, aussi cette phrase d’André Gide des Nourritures terrestres m’obsédait-elle : ? Chaque jour, d’heure en heure, je ne cherchais plus rien qu’une pénétration toujours plus simple de la nature. » Il est devenu assez convenu de dire que notre monde à haut débit génère paradoxalement une grande soif de reconnexion – et donc de déconnexion – à soi, à la simplicité et à la pureté de la nature, à la beauté du monde. Nous sentons, de manière diffuse pour certains, de manière plus palpable pour d’autres, que la modernité virtuelle nous fait perdre cette relation-là. D’autre part, je n’étais pas véritablement inquiet, disons plutôt que j’appréhendais de monter si haut. J’ignorais tout de ma capacité d’adaptation à la haute altitude. J’avais gravi le mont Blanc cinq ans plus tôt, mais il se situe tout de même 2 000 mètres plus bas – 4 808 mètres pour le mont Blanc et 6 932 mètres pour l’Aconcagua. Je touche du bois jusqu’à aujourd’hui, je résiste plutôt bien à l’altitude. Enfin, il faut une bonne préparation sportive, mais l’aspect technique est secondaire car l’ascension s’apparente plutôt à une longue marche. Il n’y a aucun passage qui demande une véritable technicité alpine.
Qu’avez-vous appris sur vous-même sur les sentiers de l’Aconcagua ?
Je dirais que j’ai appris deux choses fondamentales : à maîtriser ma nervosité et à voir. Je m’explique. La haute montagne me prend à contre-pied. Cela a d’ailleurs augmenté mon attirance à son endroit. J’ai un tempérament assez énergique et la haute montagne exige, à l’inverse, une grande dose de maîtrise de soi et de calme. C’est lors d’une conversation vespérale – que je relate dans le livre – avec Francisco, le gardien de Los Penitentes, la station de ski glauque et désertée à 2 500 mètres en bordure du parc provincial de l’Aconcagua où les grimpeurs s’acclimatent, que je prends vraiment conscience de cela. Il me dit qu’il faut anesthésier sa frénésie, qu’il faut tout exécuter très lentement, que se précipiter est la meilleure manière de contracter le mal aigu des montagnes que l’on nomme là-bas la puna. Par ailleurs, grâce au calme que je m’imposais, j’ai appris à contempler et à voir. Dans Saint Exupery Paraclet, Sylvain Fort explique que Saint Exupéry et Simone Weil étanchent leur soif spirituelle dans l’attention extrême et la contemplation. J’ai donc tenté de faire l’expérience de la véritable observation, au sens d’une contemplation. Dans sa correspondance, Flaubert dit qu’il faut ? bien voir », se ? faire prunelle » et ? bien faire voir ». J’ai essayé d’appliquer cette attitude au voyage. Grâce au pouvoir des mots, j’ai tenté de ? bien faire voir » au lecteur en dépeignant le mieux possible la majesté et la beauté de la cordillère des Andes.
Votre livre rend hommage aux héros de l’Aéropostale. D’autres figures vous inspirent-elles ?
J’ai rendu hommage aux héros de l’Aéropostale, car j’ai voulu inscrire mon récit dans l’histoire du lieu. Mermoz et Guillaumet ont défriché le ciel juste au-dessus de l’Aconcagua ! D’une part, cela donnait évidemment du relief, de la densité à mon récit et, d’autre part, je ne voulais pas que ça soit un récit un peu ingrat, nombriliste, uniquement circonscrit à mon aventure personnelle. J’évoque également le Suisse Matthias Zurbriggen qui réalisa la première ascension de l’Aconcagua en 1897 et le Français Robert Paragot et son équipe qui vinrent à bout de la redoutable face sud en 1954. Beaucoup de figures de l’alpinisme m’inspirent : l’italien Walter Bonatti pour son style, sa longévité, son immense respect pour la notion de cordée ; la cordée mythique Lionel Terray-Louis Lachenal. J’ai dévoré le récit de vie de Terray au titre magnifique Les Conquérants de l’inutile ; la cordée Louis Lachenal et Maurice Herzog qui réalisa la première ascension de l’Annapurna en 1950, première fois qu’une cordée accéda à un des huit sommets de plus de 8 000 mètres. J’ai une profonde admiration pour Louis Lachenal, car il sentait que ses pieds gelaient et que le sommet allait lui les coûter, mais étant donné qu’Herzog voulait continuer et que si ce dernier y allait seul, il ne reviendrait pas, Lachenal a tout de même continué en expliquant ensuite qu’il n’avait pas le choix, que ? c’était une affaire de cordée ». Enfin, même si c’est un alpiniste plus contemporain et qu’il s’est éloigné du style alpin traditionnel en relevant son défi à grand renfort d’aide d’extérieur, j’ai été impressionné par l’exploit récent de Nirmal Purja qui a gravi les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres en six mois et six jours.
Avez-vous d’autres ambitions littéraires après ce premier titre ?
Oui, je me suis engagé à écrire une trilogie des cimes, c’est-à-dire trois livres qui parlent d’aventures en montagne. En juillet, je suis parti gravir le pic Lénine au Kirghizistan. Le deuxième portera sur cette ascension et cette région d’Asie centrale qui fut un véritable carrefour de civilisations entre l’Orient et l’Occident grâce aux routes de la soie. J’ai noirci une centaine de pages qui représente la base d’un nouveau livre, mais il me manque une trame. Nous verrons pour le troisième.