Interviews


Sur le pont du brise-glace Akademik Fedorov – océan Austral.
Année 2016
© Cédric Gras

Cédric Gras – Un blanc dans le rouge
propos recueillis par Agnès Guillemot

Archives des interviews

D’où connaissez-vous Bezsonov, et comment en êtes-vous venu à proposer la réédition de son récit à Transboréal ?
J’ai découvert son nom chez Soljenitsyne, cité dans L’Archipel du Goulag, je crois. Je réalisais alors des recherches pour la rédaction de mon livre Alpinistes de Staline. La littérature du Goulag m’accompagne depuis longtemps et j’ai été intrigué par cet ouvrage dont je n’avais jamais entendu parler. Je rentrais d’un tournage pour Arte en mer Blanche, où j’avais notamment visité le « Camp du Nord à régime sévère » (SLON) de l’archipel des Solovki – l’ancêtre du Goulag. C’est de ces rivages que Bezsonov et ses compagnons se sont évadés.

Au-delà du document historique incontestable sur les débuts de la révolution bolchevik et du Goulag, en quoi ce texte dépasse-t-il le genre du récit de captivité et d’évasion ?
Il s’inscrit dans la grande histoire, c’est certain ! Le titre original du livre est Mes vingt-six prisons et mon évasion de Solovki. Bezsonov a vécu la révolution d’Octobre puis a été ballotté de camp en camp. Quand il quitte définitivement l’URSS naissante, c’est pour l’exil. Il sait qu’il ne reverra plus jamais sa terre natale. Au-delà d’un récit de survie dans la taïga, la Tcheka aux trousses, il raconte un pays-continent qui bascule dans le XXe siècle et l’expérience du communisme. L’ancien monde, s’il ne veut pas mourir dans les camps, est condamné à fuir. Bezsonov n’était pas un repris de justice mais un prisonnier politique. C’est un homme cultivé qui relate son histoire avec nuance et précision, tout en maniant l’ironie contre les agissements des bolcheviks. Lorsque le désespoir l’effleure, la plume est sa fidèle compagne et s’il a composé son texte a posteriori à Paris, il ne s’appuie pas moins sur des notes et des souvenirs indélébiles.

Comment fut reçu ce témoignage à sa parution et ultérieurement ?
Comme étaient reçus tous les récits sur la jeune URSS dans ces années-là ! Les anticommunistes y trouvaient des preuves à charge contre ce régime que d’autres encensaient, accusant Bezsonov, et tous ceux qui viendraient après, d’affabulation et de mensonge. L’évasion de ces hommes était la première à être rapportée. Le livre a eu un certain écho à l’époque avant d’être effacé par des nouvelles plus fraîches d’URSS – Albert Londres, Panaït Istrati, André Gide. Il n’a ensuite jamais été réédité jusqu’à aujourd’hui...

Que peut-on déduire de la personnalité de Bezsonov à la lumière de ce qu’il a vécu et de la façon qu’il a de la retranscrire ?
Bezsonov ne se cache pas d’être très orthodoxe et fidèle partisan du tsar. Ses compagnons le décrivent comme courageux et inflexible. C’est un officier russe sans doute assez rigide dans ses principes. Bien qu’une lecture soit toujours subjective, il m’a semblé au travers de ses lignes qu’il esquissait une certaine compréhension de la révolution, ou tout au moins de ses racines profondes. Il dit son empathie pour les moujiks miséreux tout en haïssant les méthodes bolcheviks. Il sait que ce qui se passe n’est pas sans fondement...

Quels seraient les autres récits d’évasion à lire absolument ?
La littérature du Goulag est surtout celle de survivants ayant écrit après leur libération. On peut néanmoins citer l’incroyable évasion d’un soldat allemand dans Aussi loin que mes pas me portent de Josef Martin Bauer ou celle, imaginaire mais sans doute inspirée de faits réels, de Slawomir Rawicz, À marche forcée. Au-delà, dans la littérature carcérale soviétique, il faut lire, à mon avis, Le Ciel de la Kolyma, témoignage d’une femme, Evguénia S. Guinzbourg.
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