Interviews


Sur l’arête ouest du Grand Bec en Vanoise – Savoie (France).
Année 2016
© Mickaël Pecollet

Jérôme Colonna d’Istria – Accore et à criques
propos recueillis par Justine Brun

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Pourquoi ce titre Girandulata ?
La musicalité de la langue corse nous met d’emblée dans le bain ! Elle transporte les sens. A Girandulata signifie « la petite randonnée », « la promenade », « la virée ». C’est l’essence même du livre : une balade à travers une Corse authentique et intime. Au-delà de leur signification, les mots, par la poésie de leur musique, invitent parfois naturellement au voyage.

Ce voyage vous a-t-il permis de découvrir votre terre natale sous un nouvel angle ?
Bien sûr qu’une grande traversée pédestre de la Corse du nord au sud permet un regard différent sur l’île. La progression à pied est en soit une aventure. Le temps prend une autre échelle : on apprend la patience, on se rapproche des modes de vie ancestraux. On apprécie mieux la valeur des choses : la rareté de l’eau parfois et le miracle de certaines fontaines, l’éloignement des villages, les caprices climatiques par endroits, la rudesse du relief, la richesse du patrimoine des premiers hommes à nos jours, la préservation des territoires de notre île, la chaleur de ses habitants, l’incroyable variété de ses paysages… Vivre l’histoire et la géographie, c’est donner du sens à sa propre vie. Je l’écris au début du livre : « La Corse est une terre de contraste et de surprise » ; j’en ai pris, je crois, pleinement conscience.

Quelle fut, durant votre périple à travers la Corse, votre plus belle rencontre ?
Difficile de n’en retenir qu’une. Les hommes, les lieux, les animaux, le spectacle lent de la nature, créent une alchimie qui rend difficile la scission. Je me remémore parmi mille autres la rencontre avec Jean-Marc, le berger du Niolo, sur le plateau d’Alzo, entre les vallées du Tavignano et celle de la Restonica. Il est, à travers sa vie, le témoignage d’une Corse ancestrale, immuable, coincée entre une histoire séculaire très enracinée et une modernité un peu destructrice. Une sorte de vie à contre-courant, une existence dans le passé mais qui veut croire encore en l’avenir. Ce fut une rencontre forte et empreinte de poésie.

Vos deux livres, Girandulata et La Grande Traversée des Alpes, relatent vos périples à travers le monde sauvage. Quel marcheur êtes-vous ?
Je me qualifierais de rêveur des cimes et de marcheur éclectique. La traversée des Alpes n’avait pas les mêmes objectifs que celle de la Corse. Chaque voyage a ses motivations ! En Corse, je ne cherchais pas l’isolement, mais, au contraire, j’étais en quête de rencontres et de civilisation même si je traversais un monde plutôt rural et isolé (l’île est un vaste désert en réalité !). La marche au long cours est un moyen facile, très abordable, de relier justement la civilisation à la nature ; elle permet l’évasion dans sa tête d’abord et dans la réalité. Combien d’écrivains, de philosophes, de poètes, de peintres ont conçu leur œuvre en marchant !

Justement, quelle œuvre artistique sur la Corse vous a émerveillé ?
Impossible de s’arrêter à une seule tant le choix est vaste ! La Corse inspire naturellement les artistes. Je le rappelle au début du livre, Matisse, jeune marié, vint séjourner à Ajaccio et fut époustouflé par la lumière des paysages : il peint alors une cinquantaine de toiles extraordinaires. Je citerai aussi en exemple le Lorrain Pierre Bach, autre peintre du XXe siècle, qui a su admirablement saisir les nuances de la montagne corse. Dans mon livre, j’évoque aussi Raymond Depardon, qui a photographié avec sobriété l’île de Beauté et notamment l’église San Michele de Murato. Comment ne pas parler enfin de Mérimée et de ses nouvelles, certes outrancières, et offrant une vision romantique et trop « continentale » de l’île, mais qui ont tellement bercé mon enfance. Pour la musique, bien sûr, les chants traditionnels et les guitares ajacciennes ont ancré dans la latinité méditerranéenne quantités d’instants magiques !
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