Interviews
Écriture à bord – golfe du Morbihan (France)
Année 2003
© JMR Bancharelle
Françoise Sylvestre – Des lueurs dans la nuit
propos recueillis par Émilie Talon
Archives des interviews
Originaire de la péninsule du Jutland, vous entretenez un rapport intime à la mer. Cela explique-t-il l’émotion que vous pouvez ressentir à la lumière d’un phare ?
Assurément. Les paysages de mer ne s’entendent pas sans la présence élective d’un phare. Les artistes de la célèbre École des peintres de Skagen au nord du Jutland, au XIXe siècle, à l’apogée de l’éclairage des mers, n’en ont pas fait l’économie. Et si vous demandez à un enfant de dessiner la mer, il mettra à coup sûr un phare au cœur de son tableau. Moi-même, petite fille, alors que nous allions en vacances à l’île d’Oléron, au-delà de l’image du bac que nous prenions pour gagner l’île, du moulin où nous séjournions, j’ai gardé celle, impressionnante et tellement emblématique, du phare de Chassiron, de cette tour immense, rayée de noir et de blanc, au cap sur la falaise, et de ses 224 marches à monter pour atteindre la lanterne. C’est là que j’ai l’impression d’avoir appris à compter. Et c’est là que j’ai découvert la notion du fruit de l’effort. Souvenir inoubliable, à jamais émouvant ! Qui s’est, depuis, maintes fois renouvelé.
Qu’est-ce qu’un bateau-phare ?
J’ai découvert les bateaux-phares dans les manuels de navigation, puis dans les musées flottants du littoral. Et un jour, au terme d’une traversée de l’Atlantique à bord d’un cargo, j’en ai vu un, en fonctionnement, le long des côtes de l’Angleterre. Un vrai bateau-phare ! Il semble d’abord être un bateau, mais il sert de phare. Solidement ancré à distance du rivage pour signaler une côte délicate ou un écueil, il est effectivement un ancien bateau, de pêche ou de cabotage, qui a été transformé en phare, avec sur son pont une structure tubulaire, sorte de mât, au sommet de laquelle est installée une lanterne caractéristique. En cela, il est un phare. Une réalité.
À l’heure des ordinateurs de bord et autres GPS embarqués, est-il encore utile d’éclairer la mer ?
Le phare éclaire la mer, en effet. Mais il éclaire surtout le marin qui a besoin de repères pour connaître sa position, tracer sa route et déterminer son cap. Même de jour, il a son importance. Il est une marque sur la route. À l’heure actuelle, avec le développement de la navigation assistée par ordinateur et l’omniprésent système GPS, le phare semble avoir perdu son rôle de guide pour les navires. Quel dommage ! Mais je dis ? semble », car quoi de plus rassurant que la lumière d’un phare dans la nuit ! Cela participe probablement de l’effort qui est accompli pour sauvegarder les phares dans le monde entier, au-delà de l’aspect historique et patrimonial qu’ils présentent...
Virginia Woolf a écrit La Promenade au phare et Une chambre à soi, ces deux lieux de retraite vous paraissent-ils se faire écho ?
Je n’en suis pas tout à fait certaine. La série de conférences qu’a données Virginia Woolf à la fin des années 1920, il y a un siècle donc, sur la position de la femme dans la société, et que relate Une chambre à soi, ne me semble pas correspondre, dans les sentiments en tout cas, à cette image émouvante de la femme, l’héroïne de To the Lighthouse, ? La promenade au phare ». Dans le roman, chaque soir, depuis la fenêtre de la maison d’été, la mère attend avec une certaine mélancolie que le phare s’allume au large, en rêvant de s’y rendre avec son enfant. Certes, l’époque est la même. Le roman de Virginia Woolf a été publié en 1927. Et si, dans le roman, l’héroïne n’ira jamais au phare, c’est que le père a fait en sorte que ce voyage ne puisse s’accomplir. De là à imaginer un écho entre ? ces deux lieux de retraite » ! Vous m’amenez à douter. Je vous en remercie?
Quelles représentations picturales ou littéraires du phare vous semblent particulièrement fortes ?
Les romans, poésies, bandes dessinées, films, photographies ou tableaux qui mettent en scène un ? phare » sont pléthore. Les raisons en sont multiples et simples. Le phare est en soi un objet d’une d’architecture remarquable, toujours implanté dans un site d’exception qu’il ne fait qu’amplifier. Mais au-delà de cet aspect physique et concret, le phare exprime tant de symboles, depuis ceux de la lumière, du temps et de l’espace jusqu’à ceux de la volonté de puissance, du courage et, de façon plus abstraite, de la solitude et de l’isolement. En un mot, le phare symbolise tout ce qui fait la grandeur humaine, si petit soit l’individu... S’il fallait parmi tant d’œuvres, de chefs-d’œuvre, n’en élire qu’un en littérature et un autre dans le domaine pictural, je choisirais de façon tout à fait subjective La Tour d’amour, roman de 1899 de Rachilde, et Le Phare, œuvre de 1952 de Nicolas de Staël, reflets l’un et l’autre d’une expression entre abstraction et figuration. Sur fond de folie, Rachilde raconte la vie des gardiens du phare d’Ar-Men. Nicolas de Staël, lui, de son trait tendu, épure littéralement la silhouette du phare, réduit à de simples rayures noires et blanches sur un aplat de ciel plombé : le phare apporte de la matière, du sens, un cap au paysage totalement abstrait du peintre.
Assurément. Les paysages de mer ne s’entendent pas sans la présence élective d’un phare. Les artistes de la célèbre École des peintres de Skagen au nord du Jutland, au XIXe siècle, à l’apogée de l’éclairage des mers, n’en ont pas fait l’économie. Et si vous demandez à un enfant de dessiner la mer, il mettra à coup sûr un phare au cœur de son tableau. Moi-même, petite fille, alors que nous allions en vacances à l’île d’Oléron, au-delà de l’image du bac que nous prenions pour gagner l’île, du moulin où nous séjournions, j’ai gardé celle, impressionnante et tellement emblématique, du phare de Chassiron, de cette tour immense, rayée de noir et de blanc, au cap sur la falaise, et de ses 224 marches à monter pour atteindre la lanterne. C’est là que j’ai l’impression d’avoir appris à compter. Et c’est là que j’ai découvert la notion du fruit de l’effort. Souvenir inoubliable, à jamais émouvant ! Qui s’est, depuis, maintes fois renouvelé.
Qu’est-ce qu’un bateau-phare ?
J’ai découvert les bateaux-phares dans les manuels de navigation, puis dans les musées flottants du littoral. Et un jour, au terme d’une traversée de l’Atlantique à bord d’un cargo, j’en ai vu un, en fonctionnement, le long des côtes de l’Angleterre. Un vrai bateau-phare ! Il semble d’abord être un bateau, mais il sert de phare. Solidement ancré à distance du rivage pour signaler une côte délicate ou un écueil, il est effectivement un ancien bateau, de pêche ou de cabotage, qui a été transformé en phare, avec sur son pont une structure tubulaire, sorte de mât, au sommet de laquelle est installée une lanterne caractéristique. En cela, il est un phare. Une réalité.
À l’heure des ordinateurs de bord et autres GPS embarqués, est-il encore utile d’éclairer la mer ?
Le phare éclaire la mer, en effet. Mais il éclaire surtout le marin qui a besoin de repères pour connaître sa position, tracer sa route et déterminer son cap. Même de jour, il a son importance. Il est une marque sur la route. À l’heure actuelle, avec le développement de la navigation assistée par ordinateur et l’omniprésent système GPS, le phare semble avoir perdu son rôle de guide pour les navires. Quel dommage ! Mais je dis ? semble », car quoi de plus rassurant que la lumière d’un phare dans la nuit ! Cela participe probablement de l’effort qui est accompli pour sauvegarder les phares dans le monde entier, au-delà de l’aspect historique et patrimonial qu’ils présentent...
Virginia Woolf a écrit La Promenade au phare et Une chambre à soi, ces deux lieux de retraite vous paraissent-ils se faire écho ?
Je n’en suis pas tout à fait certaine. La série de conférences qu’a données Virginia Woolf à la fin des années 1920, il y a un siècle donc, sur la position de la femme dans la société, et que relate Une chambre à soi, ne me semble pas correspondre, dans les sentiments en tout cas, à cette image émouvante de la femme, l’héroïne de To the Lighthouse, ? La promenade au phare ». Dans le roman, chaque soir, depuis la fenêtre de la maison d’été, la mère attend avec une certaine mélancolie que le phare s’allume au large, en rêvant de s’y rendre avec son enfant. Certes, l’époque est la même. Le roman de Virginia Woolf a été publié en 1927. Et si, dans le roman, l’héroïne n’ira jamais au phare, c’est que le père a fait en sorte que ce voyage ne puisse s’accomplir. De là à imaginer un écho entre ? ces deux lieux de retraite » ! Vous m’amenez à douter. Je vous en remercie?
Quelles représentations picturales ou littéraires du phare vous semblent particulièrement fortes ?
Les romans, poésies, bandes dessinées, films, photographies ou tableaux qui mettent en scène un ? phare » sont pléthore. Les raisons en sont multiples et simples. Le phare est en soi un objet d’une d’architecture remarquable, toujours implanté dans un site d’exception qu’il ne fait qu’amplifier. Mais au-delà de cet aspect physique et concret, le phare exprime tant de symboles, depuis ceux de la lumière, du temps et de l’espace jusqu’à ceux de la volonté de puissance, du courage et, de façon plus abstraite, de la solitude et de l’isolement. En un mot, le phare symbolise tout ce qui fait la grandeur humaine, si petit soit l’individu... S’il fallait parmi tant d’œuvres, de chefs-d’œuvre, n’en élire qu’un en littérature et un autre dans le domaine pictural, je choisirais de façon tout à fait subjective La Tour d’amour, roman de 1899 de Rachilde, et Le Phare, œuvre de 1952 de Nicolas de Staël, reflets l’un et l’autre d’une expression entre abstraction et figuration. Sur fond de folie, Rachilde raconte la vie des gardiens du phare d’Ar-Men. Nicolas de Staël, lui, de son trait tendu, épure littéralement la silhouette du phare, réduit à de simples rayures noires et blanches sur un aplat de ciel plombé : le phare apporte de la matière, du sens, un cap au paysage totalement abstrait du peintre.