Interviews
Plage de Nexpa – Michoacán (Mexique)
Année 2010
© Kristel Michoux
Lodewijk Allaert – Le chemin des Carpates
propos recueillis par Émeric Fisset
Archives des interviews
Quelle est l’origine de votre attrait pour les anciens pays de l’Est ?
J’ai été recruté en 2005 par la Fondation franco-hongroise pour la jeunesse en qualité de jeune enseignant. J’ignorais tout ou presque de cette partie de l’Europe. J’y ai découvert des espaces sauvages fascinants : la Puszta, la Transylvanie, les Carpates, les Balkans, les plaines alluviales du Danube comme le Bărăgan, si cher à Panaït Istrati. Ce sont néanmoins les rencontres qui ont définitivement accordé ma géographie intérieure à celle qui s’offrait à mes yeux. Au fil des errances, je découvrais une sorte d’antimonde débordant de vie, d’histoires, d’originalité. Un patrimoine humain qui à mes yeux se manifestait comme l’écho d’une vitalité que l’Occident avait perdue en chemin.
Que permet la marche en regard du kayak, parcourir une chaîne de montagnes plutôt que descendre un fleuve ?
Bien souvent les cours d’eau suivent la ligne définie par la plus basse altitude d’un relief (talweg). Inversement pour les chemins de crête. L’un et l’autre s’inscrivent donc dans une géographie contraire. Pourtant, dans les deux cas, il s’agit d’emprunter une voie qui n’est pas tracée par l’homme mais esquissée par un paysage. C’est là qu’intervient ce que Kenneth White appelle la géopoétique. En empruntant les lacis d’un fleuve ou les oscillations dessinées par les montagnes, le voyageur ne cherche pas l’itinéraire le plus court, mais une connivence avec la nature qu’il traverse. Il se soumet aux conditions de son environnement – et non le contraire – ce qui constitue une façon à la fois respectueuse et poétique de repenser son rapport au monde.
Qu’est-ce qui fait l’identité des Carpates ?
Historiquement les Carpates on été un refuge pour les populations insoumises des plaines environnantes. Brigands, paysans opprimés, déserteurs, Tsiganes, sont venus chercher dans les plissements alpins une forme d’indépendance, un supplément de liberté en réaction aux idéologies et à l’oppression qu’exerçait sur eux une autorité centrale. Aujourd’hui, les populations montagnardes conservent ce sens de la justice et du partage. Pour elles, la chaîne des Carpates est un royaume à part entière, une unité géographique qui transcende le tracé imaginaire et absurde des frontières.
Deux ou trois moments particuliers ou intenses?
Carpates, La traversée de l’Europe sauvage est composé de trente et un chapitres et au moins autant de moments forts. Ce récit est une succession d’événements intenses, tout simplement parce que le voyage l’était. Des premiers pas dans les hêtraies slovaques aux cimes escarpées des Tatras polonaises, en passant par les tavernes enfumées de Slovaquie, les cueilleurs ukrainiens au sourire pourpre, les anachorètes des monts Retezat, les bergers solitaires de Roumanie, les no man’s lands frontaliers, les transes exaltées de la marche, le face-à-face avec un ours, la ? guerre des pierres » avec les chiens, et j’en passe.
Quels auteurs ont inspiré votre voyage ou permis son approfondissement ?
Ils sont nombreux et on les retrouve dans la bibliographie du livre. On pourrait citer parmi eux Mirel Bran et son ouvrage Les Roumains qui offre un bel éclairage sur l’identité d’un peuple, Paolo Rumiz et sa quête des périphéries oubliées dans Aux frontières de l’Europe ou encore Patrick Leigh Fermor avec Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople. Mais s’il y a un seul écrivain à lire pour se préparer à traverser le rideau de fer de nos idées reçues, c’est bien Andrzej Stasiuk, véritable philosophe des marges : Fado, Sur la route de Babadag, Mon Europe et L’Est sont des ouvrages exaltants que je recommande chaudement.
J’ai été recruté en 2005 par la Fondation franco-hongroise pour la jeunesse en qualité de jeune enseignant. J’ignorais tout ou presque de cette partie de l’Europe. J’y ai découvert des espaces sauvages fascinants : la Puszta, la Transylvanie, les Carpates, les Balkans, les plaines alluviales du Danube comme le Bărăgan, si cher à Panaït Istrati. Ce sont néanmoins les rencontres qui ont définitivement accordé ma géographie intérieure à celle qui s’offrait à mes yeux. Au fil des errances, je découvrais une sorte d’antimonde débordant de vie, d’histoires, d’originalité. Un patrimoine humain qui à mes yeux se manifestait comme l’écho d’une vitalité que l’Occident avait perdue en chemin.
Que permet la marche en regard du kayak, parcourir une chaîne de montagnes plutôt que descendre un fleuve ?
Bien souvent les cours d’eau suivent la ligne définie par la plus basse altitude d’un relief (talweg). Inversement pour les chemins de crête. L’un et l’autre s’inscrivent donc dans une géographie contraire. Pourtant, dans les deux cas, il s’agit d’emprunter une voie qui n’est pas tracée par l’homme mais esquissée par un paysage. C’est là qu’intervient ce que Kenneth White appelle la géopoétique. En empruntant les lacis d’un fleuve ou les oscillations dessinées par les montagnes, le voyageur ne cherche pas l’itinéraire le plus court, mais une connivence avec la nature qu’il traverse. Il se soumet aux conditions de son environnement – et non le contraire – ce qui constitue une façon à la fois respectueuse et poétique de repenser son rapport au monde.
Qu’est-ce qui fait l’identité des Carpates ?
Historiquement les Carpates on été un refuge pour les populations insoumises des plaines environnantes. Brigands, paysans opprimés, déserteurs, Tsiganes, sont venus chercher dans les plissements alpins une forme d’indépendance, un supplément de liberté en réaction aux idéologies et à l’oppression qu’exerçait sur eux une autorité centrale. Aujourd’hui, les populations montagnardes conservent ce sens de la justice et du partage. Pour elles, la chaîne des Carpates est un royaume à part entière, une unité géographique qui transcende le tracé imaginaire et absurde des frontières.
Deux ou trois moments particuliers ou intenses?
Carpates, La traversée de l’Europe sauvage est composé de trente et un chapitres et au moins autant de moments forts. Ce récit est une succession d’événements intenses, tout simplement parce que le voyage l’était. Des premiers pas dans les hêtraies slovaques aux cimes escarpées des Tatras polonaises, en passant par les tavernes enfumées de Slovaquie, les cueilleurs ukrainiens au sourire pourpre, les anachorètes des monts Retezat, les bergers solitaires de Roumanie, les no man’s lands frontaliers, les transes exaltées de la marche, le face-à-face avec un ours, la ? guerre des pierres » avec les chiens, et j’en passe.
Quels auteurs ont inspiré votre voyage ou permis son approfondissement ?
Ils sont nombreux et on les retrouve dans la bibliographie du livre. On pourrait citer parmi eux Mirel Bran et son ouvrage Les Roumains qui offre un bel éclairage sur l’identité d’un peuple, Paolo Rumiz et sa quête des périphéries oubliées dans Aux frontières de l’Europe ou encore Patrick Leigh Fermor avec Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople. Mais s’il y a un seul écrivain à lire pour se préparer à traverser le rideau de fer de nos idées reçues, c’est bien Andrzej Stasiuk, véritable philosophe des marges : Fado, Sur la route de Babadag, Mon Europe et L’Est sont des ouvrages exaltants que je recommande chaudement.