Interviews
Dans le ryokan Bozanso à Yudanaka – préfecture de Nagano (Japon)
Année 2017
© Aurélie Roperch
Julien Giry – Les 100 Objets du Japon
propos recueillis par Isaure Dehaye
Archives des interviews
Quelles représentations aviez-vous du Japon avant d’y séjourner ?
Mon image du Japon, avant de m’y envoler la première fois en 2015, était surtout culinaire. J’avais eu l’occasion de goûter à plusieurs plats japonais plutôt familiaux (tonkatsu, udon, curry, etc.) et avais une image du pays comme d’une terre de gastronomes. C’est l’un des éléments qui a motivé le premier voyage, orienté autour d’expériences de bénévolats dans des exploitations biologiques. Cela mis à part, c’était des images d’Épinal, pas vraiment réfléchies ; des éléments de la culture japonais que l’on a facilement en tête, depuis l’urbanité et les néons des villes ou nombreux temples et sanctuaires. Sans parler des robots et des samouraïs. Ce sont des éléments que l’on retrouve évidemment dans l’archipel, mais aux côtés d’autres facettes moins connues.
Pour Les 100 Vues, vous disposiez de la liste officielle de l’ère Heisei, mais comment avez-vous établi cette liste de cent objets représentatifs du Japon ?
Pour élaborer cette liste, nous avons travaillé avec l’éditrice et auteur japonaise Aya Ozu, qui est de notre génération, et avons confronté les points de vue. L’idée était de regrouper autant que facettes du pays, avec des objets répondant aux trois critères suivants : 1. répandus dans tous l’archipel ; 2. toujours importants aujourd’hui ; 3. exclusivement japonais ou inventés au Japon. Ils devaient ensuite répondre aux autres critères suivants : surprenants pour les voyageurs (et parfois invisible aux yeux des Japonais, tellement intégrés au paysage quotidien), essentiels au quotidien, très populaires en ce moment. Nous les avons ensuite classés par catégorie, selon leur type (vêtement, nourriture, souvenir de voyage, etc.) et leur lieu d’utilisation (extérieur, intimité du foyer, etc.).
Rencontre-t-on facilement tous ces objets sur l’archipel ; ont-ils tous la même popularité ?
Chacun de ces cent objets, même s’ils sont parfois déclinés dans des versions régionales avec leur particularités propres, est très présent au Japon. Certains le sont depuis plusieurs siècles, d’autres depuis l’après-guerre ; d’autres sont des succès contemporains, dont la durée de vie ne sera pas forcément aussi longue, mais qui permettent de parler de groupes d’objets : comme le butachin, ce petit couvercle de silicone en forme de cochon, énorme succès actuel des accessoires de cuisine. Tous sont donc populaires, mais le voyageur ne les remarquera pas forcément tout de suite, comme les feuilles de bois kyogi, très présentes pour le stockage des denrées, mais rares en dehors des boucheries, poissonneries (des lieux que ne fréquentent pas souvent les visiteurs) et de certains bento. La majorité sont toutefois visibles (directement ou via des indices) dans l’espace public. Simplement, ils sont parfois très saisonniers, comme les clochettes furin, indissociables de l’été et présentes dans quasiment tous les films/livres/séries japonaises se déroulant à cette période de l’année. De même, la table chauffante kotatsu est invisible hors de l’hiver.
Outre la dimension quotidienne, quelle dimension environnementale, historique ou sociétale les Japonais associent-ils à ces objets ? En quoi la modernité a-t-elle permis de les redéployer ?
Cela dépend grandement des objets. De manière générale, la modernité n’a pas forcément redéployer certains objets – leurs fonctions ont pu changé, légèrement ou non, et leurs usages se raréfier ou s’intensifier. La majorité des objets sont révélateurs de l’époque à laquelle ils sont apparus. On reconnaît l’inspiration chinoise des plus anciens, notamment les lanternes ou les éventails, mais le caractères national se déploie très vite. Les versions pliables de ces deux objets sont les premières inventions purement japonaises. Après les objets liés au mode de vie traditionnel, kimono et vêtements, tatami et tous les éléments de l’intérieur japonais, vaisselle (en léger recul mais pas mis à mal par la modernité – on croise toujours des femmes en kimono dans le métro de Tokyo), viennent les objets révélateurs de nouvelles habitudes prises avec l’ouverture du pays, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ce sont le katoributa, le patch chauffant, le cartable randoseru, le bento ferroviaire, les répliques de nourriture – jusqu’à la mayonnaise Kewpie et aux sur-chaussure que furent les slippers. Viennent ensuite une série d’objets remontant à l’après-guerre – les Cup Noodle, l’autocuiseur et le chauffe-eau, les mangas et les vitamin drinks, le Calpis et nombre de snacks. La dernière grande vague d’innovation a commencé il y a trente ans et se poursuit aujourd’hui. Toute l’histoire du Japon est racontée dans la succession des objets et des moments qu’ils représentent. L’ensemble formant une fresque du Japon contemporain, dans toute sa diversité. D’autant que nombre d’objets trouvent leur origine dans le climat ou le relief du pays.
Quel est votre objet fétiche et quelle œuvre conseilleriez-vous pour s’initier à la culture nippone ?
Lorsque l’on vit un peu au Japon, on prend rapidement goût à plusieurs habitudes : le bain quotdien, thermal ou non, précédé d’une douche rapide opérée avec une petite bassine, la sieste sous le kotatsu en hiver, etc. Les objets liés au travail du métal, le couteau santoku ou les ciseaux à bonsaï sont des outils très pratiques au quotidien, facile à rapporter, témoins d’un savoir-faire ancien et desquels il est dur de se passer. Pour un aperçu rapide de la culture japonaise et de la manière dont elle se structure, L’Empire des signes de Roland Barthes est un classique. Pour une immersion plus profonde, il faut se replonger dans les écrits de Robert Guillain, le correspondant du Monde sur place de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1980). Un ensemble cohérent vient d’être réédité sous le titre Aventure Japon (Arléa). Sinon, les films du studio Ghibli sont une porte d’entrée attachante sur l’archipel.
Mon image du Japon, avant de m’y envoler la première fois en 2015, était surtout culinaire. J’avais eu l’occasion de goûter à plusieurs plats japonais plutôt familiaux (tonkatsu, udon, curry, etc.) et avais une image du pays comme d’une terre de gastronomes. C’est l’un des éléments qui a motivé le premier voyage, orienté autour d’expériences de bénévolats dans des exploitations biologiques. Cela mis à part, c’était des images d’Épinal, pas vraiment réfléchies ; des éléments de la culture japonais que l’on a facilement en tête, depuis l’urbanité et les néons des villes ou nombreux temples et sanctuaires. Sans parler des robots et des samouraïs. Ce sont des éléments que l’on retrouve évidemment dans l’archipel, mais aux côtés d’autres facettes moins connues.
Pour Les 100 Vues, vous disposiez de la liste officielle de l’ère Heisei, mais comment avez-vous établi cette liste de cent objets représentatifs du Japon ?
Pour élaborer cette liste, nous avons travaillé avec l’éditrice et auteur japonaise Aya Ozu, qui est de notre génération, et avons confronté les points de vue. L’idée était de regrouper autant que facettes du pays, avec des objets répondant aux trois critères suivants : 1. répandus dans tous l’archipel ; 2. toujours importants aujourd’hui ; 3. exclusivement japonais ou inventés au Japon. Ils devaient ensuite répondre aux autres critères suivants : surprenants pour les voyageurs (et parfois invisible aux yeux des Japonais, tellement intégrés au paysage quotidien), essentiels au quotidien, très populaires en ce moment. Nous les avons ensuite classés par catégorie, selon leur type (vêtement, nourriture, souvenir de voyage, etc.) et leur lieu d’utilisation (extérieur, intimité du foyer, etc.).
Rencontre-t-on facilement tous ces objets sur l’archipel ; ont-ils tous la même popularité ?
Chacun de ces cent objets, même s’ils sont parfois déclinés dans des versions régionales avec leur particularités propres, est très présent au Japon. Certains le sont depuis plusieurs siècles, d’autres depuis l’après-guerre ; d’autres sont des succès contemporains, dont la durée de vie ne sera pas forcément aussi longue, mais qui permettent de parler de groupes d’objets : comme le butachin, ce petit couvercle de silicone en forme de cochon, énorme succès actuel des accessoires de cuisine. Tous sont donc populaires, mais le voyageur ne les remarquera pas forcément tout de suite, comme les feuilles de bois kyogi, très présentes pour le stockage des denrées, mais rares en dehors des boucheries, poissonneries (des lieux que ne fréquentent pas souvent les visiteurs) et de certains bento. La majorité sont toutefois visibles (directement ou via des indices) dans l’espace public. Simplement, ils sont parfois très saisonniers, comme les clochettes furin, indissociables de l’été et présentes dans quasiment tous les films/livres/séries japonaises se déroulant à cette période de l’année. De même, la table chauffante kotatsu est invisible hors de l’hiver.
Outre la dimension quotidienne, quelle dimension environnementale, historique ou sociétale les Japonais associent-ils à ces objets ? En quoi la modernité a-t-elle permis de les redéployer ?
Cela dépend grandement des objets. De manière générale, la modernité n’a pas forcément redéployer certains objets – leurs fonctions ont pu changé, légèrement ou non, et leurs usages se raréfier ou s’intensifier. La majorité des objets sont révélateurs de l’époque à laquelle ils sont apparus. On reconnaît l’inspiration chinoise des plus anciens, notamment les lanternes ou les éventails, mais le caractères national se déploie très vite. Les versions pliables de ces deux objets sont les premières inventions purement japonaises. Après les objets liés au mode de vie traditionnel, kimono et vêtements, tatami et tous les éléments de l’intérieur japonais, vaisselle (en léger recul mais pas mis à mal par la modernité – on croise toujours des femmes en kimono dans le métro de Tokyo), viennent les objets révélateurs de nouvelles habitudes prises avec l’ouverture du pays, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ce sont le katoributa, le patch chauffant, le cartable randoseru, le bento ferroviaire, les répliques de nourriture – jusqu’à la mayonnaise Kewpie et aux sur-chaussure que furent les slippers. Viennent ensuite une série d’objets remontant à l’après-guerre – les Cup Noodle, l’autocuiseur et le chauffe-eau, les mangas et les vitamin drinks, le Calpis et nombre de snacks. La dernière grande vague d’innovation a commencé il y a trente ans et se poursuit aujourd’hui. Toute l’histoire du Japon est racontée dans la succession des objets et des moments qu’ils représentent. L’ensemble formant une fresque du Japon contemporain, dans toute sa diversité. D’autant que nombre d’objets trouvent leur origine dans le climat ou le relief du pays.
Quel est votre objet fétiche et quelle œuvre conseilleriez-vous pour s’initier à la culture nippone ?
Lorsque l’on vit un peu au Japon, on prend rapidement goût à plusieurs habitudes : le bain quotdien, thermal ou non, précédé d’une douche rapide opérée avec une petite bassine, la sieste sous le kotatsu en hiver, etc. Les objets liés au travail du métal, le couteau santoku ou les ciseaux à bonsaï sont des outils très pratiques au quotidien, facile à rapporter, témoins d’un savoir-faire ancien et desquels il est dur de se passer. Pour un aperçu rapide de la culture japonaise et de la manière dont elle se structure, L’Empire des signes de Roland Barthes est un classique. Pour une immersion plus profonde, il faut se replonger dans les écrits de Robert Guillain, le correspondant du Monde sur place de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1980). Un ensemble cohérent vient d’être réédité sous le titre Aventure Japon (Arléa). Sinon, les films du studio Ghibli sont une porte d’entrée attachante sur l’archipel.