Interviews
Lushoto – West Usambaras Lushoto Mountain Reserve (Tanzanie)
Année 2015
© Leonsia Mugisha
Victor Muller – Yes, we Kin !
propos recueillis par Raphaël Domergue
Archives des interviews
Vous avez habité Kinshasa. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur cette capitale ?
L’envie d’écrire sur Kinshasa m’est venue, naturellement, dès le début de mon installation. Tout ce que j’avais sous les yeux me paraissait tellement décalé par rapport à ce que je m’imaginais que j’ai voulu partager mon expérience par des écrits, que je transmettais au fur et à mesure à mes proches. Je craignais qu’ils se désintéressent de mes anecdotes ou, pire, qu’ils me prennent pour un affabulateur. J’ai été surpris par leur retour enthousiaste. Pour répondre à leur attente, j’envoyais, toutes les deux semaines, une chronique sur un thème précis. Plus tard, j’ai compilé ces billets pour en faire un manuscrit cohérent. C’est que Kinshasa est une ville peu ordinaire : des sapeurs, un faux coup d’État, de la joie, de la musique, des morts précoces, des bidonvilles infâmes, un plan urbain avant-gardiste et? tellement d’énergie ! Depuis, j’ai connu Dar es-Salaam, Antananarivo, Kigali et Tunis, des villes très intéressantes, mais qui m’ont moins touché que Kin.
Comment définir ce que vous ont apporté vos différents séjours africains ?
J’ai la chance, grâce à mon métier, d’être en contact direct avec les populations locales. Je visite les arrière-boutiques, les exploitations, les maisons des emprunteurs et les marchés. Pour une de mes amies, visiter les marchés est un des meilleurs moyens de s’imprégner de la réalité d’un pays. Je pense que sa remarque est pertinente. Dans les pays africains où j’ai séjourné, la fréquentation des marchés m’a amené à porter un regard différent, plus prosaïque, sur ce continent et sur le reste du monde. Je me rappelle, par exemple, avoir suivi des cours, au lycée et dans le supérieur, où l’on parlait longuement des échanges, économiques et migratoires, Nord/Sud. Or, les échanges Sud/Sud sont tout autant, sinon plus, évidents. Les liens entretenus par l’Afrique avec le Moyen-Orient, la Chine et l’Inde sont une réalité, et ne datent pas d’hier.
Comment parvenez-vous à combiner votre vie professionnelle avec votre goût pour les destinations lointaines ?
J’ai toujours aimé les voyages et ne me lasse pas de lire les reportages. Plus jeune, exercer un métier qui ne me permettait pas de voyager me paraissait inconcevable. Au cours de mes études, j’ai saisi l’occasion d’aller séjourner en Chine. J’y suis resté près de deux ans cumulés. Par la suite, j’ai rapidement bifurqué vers la microfinance. Travailler pour le compte de petites banques qui opèrent dans les pays en développement m’a amené à beaucoup voyager. Pendant quatre ans, j’ai été basé en Afrique. Désormais, c’est depuis l’Europe que j’effectue, régulièrement, des déplacements dans des pays du Sud. En Afrique, où se porte davantage mon expérience, l’offre de microfinancement est moins développée que sur les autres continents. Le secteur de la microfinance ne se limite pas seulement aux pays du Sud. Les problèmes de solvabilité et d’accès aux services financiers existent même en France.
Vous évoquez dans votre livre la passion des Congolais pour la musique. Qu’est-ce qu’on entend le plus à Kinshasa ?
Il suffit d’un petit tour chez un disquaire de Matongé à Bruxelles pour comprendre cette passion. La rumba congolaise est le genre musical numéro 1. C’est une musique assez douce, gaie, parfois teintée de mélancolie. Depuis les années 1930, elle a gagné en rythme, jusqu’à ce que le ndombolo, plus spectaculaire et dansant, envahisse les scènes, boîtes et haut-parleurs de la ville. Il y a, toutefois, un prolongement de la rumba originelle qui n’est pas reniée par les grandes stars d’aujourd’hui. Les artistes congolais s’exportent moins en Europe que les stars ouest-africaines du jazz, du hip-hop, de l’azonto ou de l’afro beat. Probablement parce que les chants en lingala, les morceaux parfois très longs, le recours aux aigus et l’importante présence de la danse correspondent peu aux standards de ce continent. En revanche, la rumba et le ndombolo font des émules dans toute l’Afrique subsaharienne.
L’œuvre d’un auteur africain vous a-t-elle inspiré ? Pourquoi ? Quel livre ?
L’essai de David Van Reybrouck Congo, Une histoire a été une vraie découverte. L’auteur s’appuie sur une série de témoignages locaux pour nourrir une réflexion en profondeur sur l’histoire du Congo. Je me suis aussi délecté des Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane. L’auteur prend en toile de fond un simulacre de coup d’État similaire à celui vécu par les habitants de Kinshasa le 30 décembre 2013 ! Des mutins non identifiés investissant la maison de la radio, un message obscur diffusé à la télévision nationale, la ville paralysée pendant vingt-quatre heures, la répression impitoyable qui ne laisse aucun survivant, l’absence d’enquête sur les événements et le mutisme des autorités. Comme si tout était déjà écrit d’avance? Enfin, certains aspects absurdes et violents évoqués dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad se retrouvent encore en RDC. Cette saveur amère est présente, également, dans Voyage au Congo d’André Gide ou Le Rêve du Celte de Mario Vargas Llosa.
L’envie d’écrire sur Kinshasa m’est venue, naturellement, dès le début de mon installation. Tout ce que j’avais sous les yeux me paraissait tellement décalé par rapport à ce que je m’imaginais que j’ai voulu partager mon expérience par des écrits, que je transmettais au fur et à mesure à mes proches. Je craignais qu’ils se désintéressent de mes anecdotes ou, pire, qu’ils me prennent pour un affabulateur. J’ai été surpris par leur retour enthousiaste. Pour répondre à leur attente, j’envoyais, toutes les deux semaines, une chronique sur un thème précis. Plus tard, j’ai compilé ces billets pour en faire un manuscrit cohérent. C’est que Kinshasa est une ville peu ordinaire : des sapeurs, un faux coup d’État, de la joie, de la musique, des morts précoces, des bidonvilles infâmes, un plan urbain avant-gardiste et? tellement d’énergie ! Depuis, j’ai connu Dar es-Salaam, Antananarivo, Kigali et Tunis, des villes très intéressantes, mais qui m’ont moins touché que Kin.
Comment définir ce que vous ont apporté vos différents séjours africains ?
J’ai la chance, grâce à mon métier, d’être en contact direct avec les populations locales. Je visite les arrière-boutiques, les exploitations, les maisons des emprunteurs et les marchés. Pour une de mes amies, visiter les marchés est un des meilleurs moyens de s’imprégner de la réalité d’un pays. Je pense que sa remarque est pertinente. Dans les pays africains où j’ai séjourné, la fréquentation des marchés m’a amené à porter un regard différent, plus prosaïque, sur ce continent et sur le reste du monde. Je me rappelle, par exemple, avoir suivi des cours, au lycée et dans le supérieur, où l’on parlait longuement des échanges, économiques et migratoires, Nord/Sud. Or, les échanges Sud/Sud sont tout autant, sinon plus, évidents. Les liens entretenus par l’Afrique avec le Moyen-Orient, la Chine et l’Inde sont une réalité, et ne datent pas d’hier.
Comment parvenez-vous à combiner votre vie professionnelle avec votre goût pour les destinations lointaines ?
J’ai toujours aimé les voyages et ne me lasse pas de lire les reportages. Plus jeune, exercer un métier qui ne me permettait pas de voyager me paraissait inconcevable. Au cours de mes études, j’ai saisi l’occasion d’aller séjourner en Chine. J’y suis resté près de deux ans cumulés. Par la suite, j’ai rapidement bifurqué vers la microfinance. Travailler pour le compte de petites banques qui opèrent dans les pays en développement m’a amené à beaucoup voyager. Pendant quatre ans, j’ai été basé en Afrique. Désormais, c’est depuis l’Europe que j’effectue, régulièrement, des déplacements dans des pays du Sud. En Afrique, où se porte davantage mon expérience, l’offre de microfinancement est moins développée que sur les autres continents. Le secteur de la microfinance ne se limite pas seulement aux pays du Sud. Les problèmes de solvabilité et d’accès aux services financiers existent même en France.
Vous évoquez dans votre livre la passion des Congolais pour la musique. Qu’est-ce qu’on entend le plus à Kinshasa ?
Il suffit d’un petit tour chez un disquaire de Matongé à Bruxelles pour comprendre cette passion. La rumba congolaise est le genre musical numéro 1. C’est une musique assez douce, gaie, parfois teintée de mélancolie. Depuis les années 1930, elle a gagné en rythme, jusqu’à ce que le ndombolo, plus spectaculaire et dansant, envahisse les scènes, boîtes et haut-parleurs de la ville. Il y a, toutefois, un prolongement de la rumba originelle qui n’est pas reniée par les grandes stars d’aujourd’hui. Les artistes congolais s’exportent moins en Europe que les stars ouest-africaines du jazz, du hip-hop, de l’azonto ou de l’afro beat. Probablement parce que les chants en lingala, les morceaux parfois très longs, le recours aux aigus et l’importante présence de la danse correspondent peu aux standards de ce continent. En revanche, la rumba et le ndombolo font des émules dans toute l’Afrique subsaharienne.
L’œuvre d’un auteur africain vous a-t-elle inspiré ? Pourquoi ? Quel livre ?
L’essai de David Van Reybrouck Congo, Une histoire a été une vraie découverte. L’auteur s’appuie sur une série de témoignages locaux pour nourrir une réflexion en profondeur sur l’histoire du Congo. Je me suis aussi délecté des Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane. L’auteur prend en toile de fond un simulacre de coup d’État similaire à celui vécu par les habitants de Kinshasa le 30 décembre 2013 ! Des mutins non identifiés investissant la maison de la radio, un message obscur diffusé à la télévision nationale, la ville paralysée pendant vingt-quatre heures, la répression impitoyable qui ne laisse aucun survivant, l’absence d’enquête sur les événements et le mutisme des autorités. Comme si tout était déjà écrit d’avance? Enfin, certains aspects absurdes et violents évoqués dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad se retrouvent encore en RDC. Cette saveur amère est présente, également, dans Voyage au Congo d’André Gide ou Le Rêve du Celte de Mario Vargas Llosa.