Interviews
Égine – golfe Saronique (Grèce)
Année 2008
© Nicole Dubois-Tartacap
Nicole Dubois-Tartacap – Heureux qui comme Ulysse?
propos recueillis par Solange d’Alançon
Archives des interviews
Pourquoi la Grèce vous inspire-t-elle autant ?
Si je dois trouver des raisons objectives, je dirais que le terrain était préparé depuis longtemps, et que ma première rencontre avec la Grèce a eu des allures de retrouvailles puisque Thésée, le Minotaure, Ariane, Antigone ou le roi Midas, Hector et Patrocle, et bien entendu Ulysse, ont bercé mon enfance. Ainsi, lorsque j’ai foulé pour la première fois le sol grec, j’ai eu très vite l’impression d’arriver chez moi. Ce qui rend la Grèce unique à mes yeux, c’est une adéquation entre les paysages, les hommes et la langue : un mélange de douceur et d’âpreté, une harmonie qui ne tient pas à une recherche excessive du beau, mais à un sens esthétique inné. Ajoutons à cela une histoire riche – Antiquité, Byzance, occupation ottomane – et l’incomparable lumière de l’Égée.
Quel lieu en Grèce vous a profondément marqué ?
Ma rencontre avec la Grèce a eu lieu lorsque j’ai pris le bateau au Pirée et que, deux heures plus tard, accoudée au bastingage, j’ai vu se dessiner la courbe du port d’Égine. Depuis ce jour lointain, cette île proche d’Athènes demeure mon point d’enracinement. J’en aime la douceur des paysages, l’admirable temple d’Aphaia, la ville byzantine abandonnée de Palaiochora, les villages perdus dans la montagne, les champs de pistachiers, les tavernes et le petit port de pêche de Perdika, les couchers de soleil qui embrasent les collines d’Épidaure, de l’autre côté du golfe Saronique. Peut-être cet amour tient-il au fait qu’Égine était la première île que je découvrais, alors que mon esprit était vierge de toute image et finalement de toute attente.
Vous dites dans Kaliméra que la culture grecque a évolué sans changer. Comment la définiriez-vous ?
Je pense au goût des Grecs pour la rencontre, l’échange, l’ouverture envers l’étranger dans lequel, dans l’Antiquité, on voyait un dieu potentiel, le xénos à qui l’on offrait le gîte et le couvert. Ils ont conservé ce sens de l’hospitalité. Ils nourrissent un amour pour le topos, le lieu des racines – l’Ithaque d’Ulysse – qui se double souvent d’une irrésistible attirance pour l’ailleurs. On peut illustrer la culture grecque par les mots kéfi, kaïmos et charmolipi. Kéfi, c’est l’énergie, la bonne humeur, l’enthousiasme de l’instant (voir Alexis Zorba de Kazantzakis !). Kaïmos, c’est l’angoisse, le chagrin profond. Quant au mot charmolipi, il désigne tristesse et joie mêlées – le kéfi et le kaïmos. Ce charmolipi se retrouve fréquemment dans la musique et la cassure des voix grecques dont Michel Déon disait qu’à les écouter quelque chose se déchire en nous.
Vous avez travaillé pour une compagnie aérienne?
J’ai beaucoup voyagé. J’ai pu être confrontée à d’autres manières de vivre et de penser que les nôtres, j’ai appris à regarder avec d’autres yeux, à me décentrer, à remettre en question mes certitudes? Quoi de plus formateur que de découvrir, jeune encore, qu’une vérité n’est pas universelle, que, selon la formule de Pascal, ? vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ? Et puis j’ai constaté que, fondamentalement, il existe peu de différences entre les hommes : on retrouve sous toutes les latitudes les mêmes émotions, les mêmes qualités et les mêmes travers. Il n’y a que les manières de faire qui changent.
Quel est l’auteur grec qui vous a particulièrement inspirée ?
Là, je vais être obligée de tricher et d’en désigner trois. Le premier est bien entendu Homère, qui n’a cessé de m’enchanter depuis mes 11 ans. Le deuxième est Kazantzakis, dont les livres sont un foisonnement, un bouillonnement de vie, d’émerveillement, d’interrogations métaphysiques, d’humanité. Enfin, il y a le poète Yannis Ritsos dont les mots ont le pouvoir de faire surgir en moi toute la Grèce – les pierres, l’aridité, la chaleur, le vent, la mer, les petites gens, la salle d’un kafénio, la barque d’un pêcheur? Ces trois auteurs, que quelque vingt-huit siècles séparent, possèdent à mes yeux une même force évocatrice, un même talent de conteurs, d’aèdes.
Si je dois trouver des raisons objectives, je dirais que le terrain était préparé depuis longtemps, et que ma première rencontre avec la Grèce a eu des allures de retrouvailles puisque Thésée, le Minotaure, Ariane, Antigone ou le roi Midas, Hector et Patrocle, et bien entendu Ulysse, ont bercé mon enfance. Ainsi, lorsque j’ai foulé pour la première fois le sol grec, j’ai eu très vite l’impression d’arriver chez moi. Ce qui rend la Grèce unique à mes yeux, c’est une adéquation entre les paysages, les hommes et la langue : un mélange de douceur et d’âpreté, une harmonie qui ne tient pas à une recherche excessive du beau, mais à un sens esthétique inné. Ajoutons à cela une histoire riche – Antiquité, Byzance, occupation ottomane – et l’incomparable lumière de l’Égée.
Quel lieu en Grèce vous a profondément marqué ?
Ma rencontre avec la Grèce a eu lieu lorsque j’ai pris le bateau au Pirée et que, deux heures plus tard, accoudée au bastingage, j’ai vu se dessiner la courbe du port d’Égine. Depuis ce jour lointain, cette île proche d’Athènes demeure mon point d’enracinement. J’en aime la douceur des paysages, l’admirable temple d’Aphaia, la ville byzantine abandonnée de Palaiochora, les villages perdus dans la montagne, les champs de pistachiers, les tavernes et le petit port de pêche de Perdika, les couchers de soleil qui embrasent les collines d’Épidaure, de l’autre côté du golfe Saronique. Peut-être cet amour tient-il au fait qu’Égine était la première île que je découvrais, alors que mon esprit était vierge de toute image et finalement de toute attente.
Vous dites dans Kaliméra que la culture grecque a évolué sans changer. Comment la définiriez-vous ?
Je pense au goût des Grecs pour la rencontre, l’échange, l’ouverture envers l’étranger dans lequel, dans l’Antiquité, on voyait un dieu potentiel, le xénos à qui l’on offrait le gîte et le couvert. Ils ont conservé ce sens de l’hospitalité. Ils nourrissent un amour pour le topos, le lieu des racines – l’Ithaque d’Ulysse – qui se double souvent d’une irrésistible attirance pour l’ailleurs. On peut illustrer la culture grecque par les mots kéfi, kaïmos et charmolipi. Kéfi, c’est l’énergie, la bonne humeur, l’enthousiasme de l’instant (voir Alexis Zorba de Kazantzakis !). Kaïmos, c’est l’angoisse, le chagrin profond. Quant au mot charmolipi, il désigne tristesse et joie mêlées – le kéfi et le kaïmos. Ce charmolipi se retrouve fréquemment dans la musique et la cassure des voix grecques dont Michel Déon disait qu’à les écouter quelque chose se déchire en nous.
Vous avez travaillé pour une compagnie aérienne?
J’ai beaucoup voyagé. J’ai pu être confrontée à d’autres manières de vivre et de penser que les nôtres, j’ai appris à regarder avec d’autres yeux, à me décentrer, à remettre en question mes certitudes? Quoi de plus formateur que de découvrir, jeune encore, qu’une vérité n’est pas universelle, que, selon la formule de Pascal, ? vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ? Et puis j’ai constaté que, fondamentalement, il existe peu de différences entre les hommes : on retrouve sous toutes les latitudes les mêmes émotions, les mêmes qualités et les mêmes travers. Il n’y a que les manières de faire qui changent.
Quel est l’auteur grec qui vous a particulièrement inspirée ?
Là, je vais être obligée de tricher et d’en désigner trois. Le premier est bien entendu Homère, qui n’a cessé de m’enchanter depuis mes 11 ans. Le deuxième est Kazantzakis, dont les livres sont un foisonnement, un bouillonnement de vie, d’émerveillement, d’interrogations métaphysiques, d’humanité. Enfin, il y a le poète Yannis Ritsos dont les mots ont le pouvoir de faire surgir en moi toute la Grèce – les pierres, l’aridité, la chaleur, le vent, la mer, les petites gens, la salle d’un kafénio, la barque d’un pêcheur? Ces trois auteurs, que quelque vingt-huit siècles séparent, possèdent à mes yeux une même force évocatrice, un même talent de conteurs, d’aèdes.