Puissances et impuissances de la littérature
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On ne cesse de pleurer la fin de la littérature française contemporaine et de dénoncer l’émergence d’une « post-littérature » (Richard Millet) qui n’aurait plus rien de commun avec ce que nous connaissons, depuis le début du XIXe siècle, sous ce nom. On peut voir l’éclipse du prestige et de la conception romantique sacralisée et typiquement française des lettres une forme de déclin et dénoncer le démantèlement des formes et valeurs symboliques qui lui étaient propres. Mais ces théories du déclin, somme toute assez banales, sont peut-être l’occasion de réfléchir à ce que la mutation de la république des lettres peut avoir de précieux.
Tournant le dos en effet aussi bien à la tradition formaliste qu’aux pratiques propres à une littérature engagée, la littérature contemporaine se confronte au monde en voulant non le changer ou s’en extraire mais simplement en cherchant à en penser ce qui ne peut être pensé que par elle : à travers un retour au sujet et au réel, une attention nouvelle portée aux choses, un intérêt renouvelé pour les problématiques de la transmission et de l’identité, la littérature se veut être un instrument de construction de soi, de réflexion morale aiguisée. Si elle refuse de devenir une thérapeutique, la littérature française contemporaine a l’ambition de prendre soin de la vie originaire, des individus fragiles, des oubliés de la grande histoire, des communautés ravagées, de nos démocraties inquiètes, en offrant au lecteur sa capacité à penser le singulier, à faire mémoire des morts, à penser des identités pluralisés, à mettre en partage des expériences sensibles ou à inventer des devenirs possibles : c’est à ce titre qu’elle redevient transitive, qu’elle fait face au monde.
Alexandre Gefen est notamment le concepteur et le cofondateur du site communautaire www.fabula.org qui, depuis 1999, nourrit la réflexion sur les enjeux des études littéraires.
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