Seule sur les routes d’Asie centrale
par Alice Plane
Voyager seule est une gageure : on craint, lorsqu’on est une femme, de quitter sa famille, ses proches, son environnement, car on appréhende, plus que tout, les mauvaises rencontres. Il faut s’y préparer, quelle que soit la destination choisie, et anticiper les dangers que d’aucuns ne prendraient pas en considération. Si partir à l’aventure semble plus difficile pour le « sexe faible », une fois sur les routes, une femme seule attire l’empathie : on veut la protéger. Même de passage, vagabonde, une femme ne fait pas peur ; elle suscite une interrogation, voire une admiration, qui se transforme généralement en invitation.
En Asie centrale, de l’Azerbaïdjan au Kazakhstan, en passant par l’Iran, le Pamir tadjik et le Ferghana kirghiz, l’hospitalité est de mise jusque dans les cuisines où se préparent des plats traditionnels agrémentés du précieux pistil de crocus, le safran, qui égaye les mets d’une couleur jaune d’or et d’un goût amer, ou bien du fameux mouton karakul, dont la poche de graisse caudale fait le délice des gourmets kirghizes.
Apprendre la cuisine dans cette région est plus qu’un prétexte à la rencontre, c’est l’occasion de découvrir, dans l’intimité des foyers, la résultante de civilisations millénaires : le raffinement antique des Perses qui furent conquis par Alexandre le Grand – l’illustre inventeur du plov (plat de riz pilaf) –, puis sauvés de la menace porcine par les Arabes dix siècles plus tard, pour être ensuite razziés par Gengis Khan dont la besace renfermait des manti, raviolis farcis de viande ovine. Les empires russes et chinois, respectivement porteurs l’un de la vodka, l’autre des nouilles, prendront peu à peu le contrôle du Turkestan à partir du XVIe siècle, jusqu’à ce que la région devienne, pour la majeure partie, un sous-ensemble de l’Union soviétique, et se constitue en « stan », ces pays dont les frontières furent conçues pour étouffer toute velléité d’indépendance par un certain Staline, alors Commissaire aux nationalités.
L’influence soviétique, encore très forte, se ressent autant dans les statues du camarade Lénine que dans la difficulté d’obtenir des visas pour la région, mais également dans la crainte des délations, qui fait des cuisines, aujourd’hui encore, le lieu privilégié des confidences, celui où on se révèle, celui où on se laisse « cuisiner » sous le feu des questions.
Alice Plane, gourmande de géopolitique, a appris le russe pour aller à la rencontre des peuples d’Asie centrale, au sein de leurs cuisines. Partie seule, à peine âgée de 22 ans, elle a mis à profit sa condition féminine pour pénétrer cet espace clos aux hommes. Elle révèle dans son premier récit, À l’auberge de l’Orient, le quotidien des jeunes Téhéranaises au nez refait autant que l’âpreté de la vie en haute montagne des Pamiri, l’œcuménisme azéri et les traditions nomadisantes des Kirghizes et Kazakhs. Son audace et sa curiosité, alliées à son sens de l’observation, font d’elle une authentique baroudeuse, dans la lignée des exploratrices d’antan.
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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
À l’auberge de l’Orient, Seule sur les routes d’Asie centrale
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