Une journaliste chez les Ouighours du Turkestan chinois
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Les Ouighours, peuple turcophone et musulman, sont établis à l’extrême ouest de la Chine, au Turkestan oriental, dans ce que la Chine appelle aujourd’hui le Xinjiang – « nouvelle frontière » – ou plus précisément « Région autonome ouighoure du Xinjiang ». Établi le 1er octobre 1955, le Xinjiang est la région la plus vaste de Chine, devant le Tibet, grande comme trois fois la France. La province, principalement constituée de déserts et de montagnes, est limitrophe du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Pakistan, du Tadjikistan, de l’Afghanistan, du Cachemire indien, de la Russie et de la Mongolie. Son sous-sol est riche en hydrocarbures (30 % des réserves nationales de pétrole et 35 % des réserves de gaz) et minerais précieux.
Baptisée « Nouvelle Frontière » en 1884 sous la dynastie Qing, la dernière à avoir régné sur la Chine, la province du Xinjiang est incorporée à la Chine populaire en 1949 après l’échec de deux tentatives de création d’États indépendants : la République islamique du Turkestan oriental (1933-1934) puis la République du Turkestan oriental (1945-1949). Cette dernière verra sa fin précipitée par un événement mystérieux : en août 1949, les principaux dirigeants de la République du Turkestan oriental sont victimes d’un accident d’avion au-dessus de la Mongolie, ce qui met fin à la nouvelle république et aux espoirs d’indépendance du peuple ouighour.
Pris dans l’étau des communismes soviétique et chinois, de nombreux Ouighours migrèrent vers les républiques soviétiques où vivaient d’autres peuples turcs (Kazakhs, Kirghizes, Ouzbeks, Turkmènes…). Aujourd’hui, près de 9 millions d’entre eux vivent au Turkestan chinois et entre 500 000 et 1 million en Asie centrale, 230 000 seraient établis au Kazakhstan, de 200 000 à 500 000 selon les sources en Ouzbékistan, 50 000 au Kirghizistan. En Turquie, ils seraient près de 9 000. Plus récemment, chassés par l’oppression du régime de Pékin, nombre d’entre eux se sont établis en Europe (4 000), au Canada ou encore en Australie. Ils seraient 500 en Allemagne (la plus importante communauté d’Europe), où siège le World Uyghur Congress qui fédère les quarante-neuf organisations militant pour leurs droits dans le monde. En France, ils seraient entre 200 et 300. La diaspora, quant à elle, estime sa population à 20 millions dans le monde.
En 1949, les Chinois han représentaient 4 % de la population du Turkestan oriental, soit près de 300 000. Aujourd’hui, ils sont aussi nombreux que les Ouighours. L’afflux de colons s’est fortement amplifié ces dix dernières années, notamment dans les chefs-lieux. À Urumqi, la capitale régionale, ils sont devenus majoritaires.
Les Ouighours, impuissants, voient leur culture ancestrale et millénaire sévèrement contrôlée et disparaître. Considérée comme le fleuron des cultures centrasiatiques, très proche de la culture ouzbèke, elle présente peu de liens avec la culture han. Les Ouighours subissent la politique volontariste d’assimilation forcée mise en œuvre par Pékin. Ils sont de plus en plus folklorisés : danse, musique, littérature, traditions culinaires… C’est le gouvernement qui décide et choisit : les fêtes ancestrales (meshrep) sont strictement contrôlées, voire interdites dans la région de Ghulja, alors même que les douze muqam, chefs-d’œuvre musicaux, sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.
Depuis les événements d’Urumqi en juillet 2009, la question ouighoure est devenue une préoccupation majeure du régime chinois. Le gouvernement de Pékin a annoncé un renforcement des contrôles d’identité et des activités religieuses au Xinjiang à partir du 1er février 2010 ainsi que l’entrée en vigueur de « nouvelles mesures de sécurité » censées « aider les forces de l’ordre et la justice à lutter contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme ».
« Nous vivons dans un immense camp de concentration à ciel ouvert ! » C’est armée de cette phrase de la célèbre dissidente Rebiya Kadeer que Sylvie Lasserre gagne le Turkestan chinois, le pays des Ouighours. En reportage avec un visa de tourisme, d’Almaty, au Kazakhstan, à Urumqi en passant par Ghulja, puis d’Urumqi à Kachgar et Turfan, elle parcourt près de 6 000 km en train, en taxi collectif, en triporteur pour se heurter à … un mur de silence. Un constat : la colonisation han progresse à vive allure jusqu’aux confins de l’Asie centrale. Les rêves d’indépendance ne sont jamais très loin, mais partout l’on se tait. « Turkestan » – pire « Ouighouristan » ! – est un mot qui conduit directement en prison. Pékin a instauré un régime de terreur, les espions sont partout. Une culture millénaire est menacée de disparition et ne laissera bientôt place qu’à un folklore fossilisé pour touristes.
Tout au long de son voyage, Sylvie Lasserre est frappée par l’absence de sourires, la tristesse des visages, gais d’habitude en Asie centrale. Au Turkestan chinois, la joie s’en est allée. Beaucoup rêvent de partir à l’étranger : « Ici nous n’avons aucun avenir. » Mais les passeports des Ouighours ont été confisqués. Autre fait marquant : l’ignorance dans laquelle Pékin maintient ce peuple, par un contrôle efficace des médias. « Tout ce que l’on sait, c’est par vous, les étrangers, qu’on l’apprend. »
Partie en quête de témoignages et de faits précis, l’auteur, qui a le plus grand mal à délier les langues, poursuit ses recherches sur les traditions et l’histoire : sur les traces du premier royaume ouighour à Khar Balgas, sur la rivière Orkhon dans l’actuelle Mongolie, puis des momies du Taklamakan vieilles de quatre millénaires au cirque du célèbre funambule Adil Hoshur, en passant par la maison d’un chamane qui n’a plus le droit d’exercer, sans oublier, à Kachgar, la fameuse samâ – ronde des hommes au lendemain de la fin du ramadan – et le quartier transformé en « Ouighourland », ainsi que les mausolées des saints soufis de la région… Mais partout, ce sera le silence. Le reste, elle l’approfondira en Occident à son retour.
À l’issue de ce voyage, le choix entre journalisme et militantisme se révèle difficile. À la suite des événements de l’été 2009 à Urumqi, Sylvie Lasserre devient militante, mettant en veille son activité professionnelle pour une dizaine de mois afin de mieux se consacrer à ce peuple oublié du reste du monde. Au point que Rebiya Kadeer, qu’elle a rencontrée à plusieurs reprises, lui propose d’occuper une fonction au sein du World Uyghur Congress.
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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Voyage au pays des Ouighours, Turkestan chinois, début du XXIe siècle
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