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Un voyage sur le Qhapaq Ñan, la grande route inca
par
le jeudi 15 janvier 2009 à 20 heures 30


Au début du XVIe siècle, à leur arrivée sur l’isthme de Panamá, les conquistadors espagnols entendent les indigènes leur conter l’existence d’un fabuleux royaume dont les princes vivraient vêtus d’or. Bien que l’Eldorado reste un mythe, les explorateurs européens découvrent l’immense empire inca ainsi que les vestiges des civilisations qui l’ont précédé. À son apogée, l’empire s’étendait du sud de la Colombie actuelle au nord de l’Argentine et du Chili, en passant par le Pérou et la Bolivie.
Le Qhapaq Ñan – chemin principal andin – constituait la colonne vertébrale du projet politique et économique inca. Cette route longue de plus de 6 000 kilomètres – que certains comparent à la route de la soie en Orient – peut être vue comme la matérialisation des ambitions impériales de ce peuple conquérant. Il faut imaginer des sections pavées, des volées d’escaliers taillés dans la pierre grimpant jusqu’à plus de 4 500 mètres d’altitude, des plates-formes de plusieurs kilomètres de long, des ponts suspendus accrochés aux flancs des canyons. Il faut aussi se représenter l’Inca, assis dans un palanquin plaqué d’or et d’argent, décoré de plumes et porté par 80 hommes sur une route jonchée de pétales de fleurs… Il faut enfin penser aux valeureux messagers, les chasqui, qui portaient des missives d’une extrémité à l’autre de ce vaste territoire, courant de relais en relais et de ville en ville… Ces hommes dévoués à la cause impériale véhiculaient l’information jusqu’aux confins des terres contrôlées par l’Inca à la seule force de leurs jambes !
Le tracé principal reliait les centres administratifs des régions habitées aux zones agricoles et minières ainsi qu’aux lieux de culte : ainsi en allait-il des villes de Quito, en Équateur, et de Santiago du Chili. Cette infrastructure permettait à l’Inca de contrôler son empire et de déployer ses troupes depuis Cusco, la capitale. Un système de chasqui wasi (postes de relais), pukara (forts) et tambo (auberges) rendait praticable cette route parfois pavée et atteignant jusqu’à 20 mètres de large… 40 000 kilomètres de routes transversales constituaient un réseau secondaire comparable à celui des voies romaines et qui reliaient l’épine dorsale du Qhapaq Ñan aux deux versants de la cordillère des Andes en basculant vers la côte Pacifique ou dans le bassin amazonien.
La majeure partie de cette route monumentale sillonne des vallées encaissées inhabitées ainsi que des plateaux désertiques, avec pour plancher 3 500 mètres d’altitude et pour plafond 5 000 mètres. Plus de 80 % de son tracé se situent au-dessus de 3 000 mètres d’altitude ! Ce chemin de montagne a permis l’unification d’un empire immense, hétérogène, à la géographie exceptionnelle grâce à l’administration inca, hiérarchisée et travailleuse.
Aujourd’hui, au-delà des frontières modernes, la grande route inca continue de constituer un trait d’union entre les cultures andines. Mais ce patrimoine archéologique est menacé. En collaboration avec les gouvernements des six pays traversés (Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Pérou), des institutions comme l’Unesco, l’IUCN et Conservation International ont élaboré un projet de préservation de ce patrimoine : entre crêtes, vallées d’altitude et déserts, le chemin est ponctué de trésors archéologiques (certains sur la liste du patrimoine mondial), dont Ingapirca en Équateur, Cusco et la Vallée sacrée au Pérou, Tiwanaku en Bolivie ou Quilmes en Argentine, mais aussi de sites moins étudiés comme Huanuco Pampa au Pérou, qui est victime de pillages.
Il faut aussi protéger l’environnement : la route traverse quinze écosystèmes différents, dont certains sont en danger – les junga péruviennes, la forêt sèche de Marañon, la forêt humide et le mattoral chiliens. De plus, la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques de la cordillère des Andes menace aussi bien les montagnards du massif que les riverains du Pacifique. Parmi les situations alarmantes, celle du lac Junin, au Pérou, pollué par l’exploitation des mines environnantes.
Enfin, il est nécessaire de sauvegarder le patrimoine culturel et identitaire des communautés andines : le Qhapaq Ñan relie de nombreuses régions indigènes aux cultures en péril. Cette route peut unir les communautés et les aider à se construire une identité après des siècles d’oppression. L’objectif de l’Unesco est ainsi d’assister les pays qui partagent ce patrimoine commun dans un projet pionnier : la préparation d’une candidature pour l’inscription du Qhapaq Ñan sur la liste du patrimoine mondial.


Conscients des dangers qui pèsent sur le Qhapaq Ñan, Laurent Granier et Megan Son se donnent pour objectif de faire découvrir au public ce chemin oublié et de dresser la liste des enjeux associés à sa préservation et à la vie des montagnards andins. En dix-huit mois de marche, ils sillonnent la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, l’Argentine et le Chili sur plus de 6 000 kilomètres, de Quito à l’Aconcagua. La grande route inca, qui relie la vallée sacrée de Cusco au Machu Picchu, n’est qu’une portion du gigantesque réseau de routes inca mais ils l’arpentent dans son intégralité.
Soucieux de découvrir l’histoire de cet axe, ils bâtissent leur itinéraire en se fondant sur les conseils d’archéologues, d’historiens et de spécialistes, comme le Péruvien Ricardo Espinosa. Leur émerveillement de jeunes voyageurs s’enrichit ainsi d’une vraie découverte historique.
Mais les jeunes voyageurs ne se satisfont pas de cette initiation à l’archéologie de l’Amérique du Sud : ils souhaitent également partager des moments forts avec les populations qui vivent le long du chemin. C’est pourquoi ils voyagent sans matériel de bivouac. Tributaires de l’accueil des populations, ils sont ainsi contraints de se porter à leur rencontre. Laurent Granier et Megan Son s’initient aux coutumes des peuples des hautes terres andines et, forts de cette immersion, achètent deux lamas qu’ils utilisent comme animaux de bât pour porter leurs affaires. Ils vivent le voyage le plus long et le plus risqué qu’ils aient entrepris ensemble, traversant des zones isolées et sauvages, rendues parfois dangereuses par la guérilla, la production d’héroïne ou les conflits entre les communautés et les entrepreneurs miniers.




En savoir davantage sur :  


Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
À la recherche de la grande route inca, 6 000 kilomètres à travers les Andes (avec Megan Son, GEO, 2008)

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