Peindre les Amérindiens
par Antoine Tzapoff
En partenariat avec le magazine Animan
Les Amériques sont le dernier continent peuplé par l’homme. À l’échelle de l’histoire de l’humanité, son arrivée y est extrêmement tardive. Si les premières traces de l’Homo erectus en Afrique remontent à 3 millions d’années et celles de l’Homo sapiens en Afrique et en Europe à 150 000 ans, l’immigration américaine est bien plus récente, variant selon les experts entre 40 000 et 15 000 ans, et aurait une origine allogène. Les Indiens d’Amérique seraient venus de Sibérie, en profitant d’une période de glaciation pour franchir à pied le détroit de Béring et atteindre l’Alaska. Mais les immenses calottes glaciaires du Canada bloquant l’avance des Paléo-Indiens, ils attendirent le dégel, vers 13 000 avant notre ère, pour suivre la côte Ouest, le long des Rocheuses, et investir les plaines nord-américaines. Puis ces bandes se dirigèrent vers l’Amérique du Sud pour atteindre la partie australe du continent, vers 11 000 avant J.-C. En seulement quelques milliers d’années, l’homme marque de son empreinte l’ensemble du Nouveau Monde.
Des civilisations se dĂ©veloppent, notamment olmèque, zapotèque et maya au Mexique, et chavin en AmĂ©rique du Sud, qui Ă©rigent des citĂ©s comme Teotihuacán, Tikal ou Chanchán. Ces empires connaissent des densitĂ©s de population Ă©levĂ©es : elle est par exemple de 50 hab/km2 sur le plateau d’Anáhuac au Mexique. Toutefois, le nomadisme reste rĂ©pandu. La chasse, la pĂŞche et la cueillette conditionnant les dĂ©placements au grĂ© du gibier et des saisons, les tribus vivent isolĂ©es. Cette errance est l’une des raisons de la diversitĂ© exceptionnelle des peuples indiens : sur les seules Ă©tendues nord-amĂ©ricaines, on a recensĂ© près d’un millier de langues, rĂ©parties en trente familles linguistisques. Avant l’arrivĂ©e des EuropĂ©ens, le continent compte environ 5 millions d’habitants, dont 2 pour le seul Mexique et 1 au PĂ©rou. Toutefois, les AmĂ©rindiens ne peuvent rĂ©sister aux envahisseurs europĂ©ens, qu’ils soient des conquistadors espagnols ou des colons yankees. En effet, les Ă©tendues d’eau qui sĂ©parent les AmĂ©riques du reste du monde et la submersion du dĂ©troit de BĂ©ring les incitent Ă croire qu’ils sont les seuls ĂŞtres au monde, conviction qui facilite la progression des Conquistadors au XVIe siècle, souvent assimilĂ©s Ă des dieux vivants. En outre, sur le plan technologique, s’ils maĂ®trisent l’irrigation et la mĂ©tallurgie du cuivre, de l’or et de l’argent – mais ignorent les alliages –, ils ne connaissent ni l’écriture alphabĂ©tique ni la roue, ce qui met en Ă©vidence leur immense dĂ©calage par rapport Ă l’Europe de la Renaissance, ni bien sĂ»r la tĂ©lĂ©graphie, la poudre et les fusils, qui dĂ©cuplent leur retard sur les techniques de l’Europe industrielle. La dĂ©pendance des Indiens Ă l’égard des technologies occidentales commence avec le cheval. Dès 1680, après la rĂ©volte indienne du RĂo Grande, des Espagnols de Santa Fe laissent s’égailler des chevaux que leurs rivaux apprennent Ă utiliser comme animaux de bât en place des chiens puis Ă monter. Avec l’établissement des premiers forts militaires et points de commerce, vers 1820-1830, apparaĂ®t le besoin de fusils et de couvertures, pour le prestige d’abord. Vont surgir aussi nombre d’épidĂ©mies. Les grandes dates de capitulation de l’homme rouge sont la reddition de Geronimo en 1886, la mort dans le Nevada du dernier Indien, un Shoshone, en parure de plumes d’aigle en 1911 et 1932 oĂą sont abattus dans la Sierra Madre les ultimes rebelles Ă l’ordre de l’homme blanc, l’Apache Big Foot et six de ses hommes.
Dès son plus jeune âge, Ă 4 ans dĂ©jĂ , Antoine Tzapoff se met Ă dessiner les Indiens d’AmĂ©rique. Il appartient Ă la dernière gĂ©nĂ©ration dont l’enfance rĂŞvait Ă l’ancien Ouest amĂ©ricain et se souvient : « Panoplies, illustrĂ©s, films, les Indiens Ă©taient partout prĂ©sents. Ils reprĂ©sentaient alors la libertĂ© en lutte avec les contraintes et l’autoritĂ© de la civilisation. » Ce n’est toutefois qu’à 27 ans, après la rĂ©alisation de nombreuses Ĺ“uvres cinĂ©tiques pour le compte de Victor Vasarely, qu’il s’oriente vers sa seule passion, la reprĂ©sentation des peuples d’avant le contact avec l’Occident. Dans cet art qui magnifie l’individu, sa parure, son costume et ses rites, le peintre figuratif excelle. Toutefois, c’est avec la reprĂ©sentation des Indiens d’AmĂ©rique qu’il va se faire connaĂ®tre, notamment Ă travers ses expositions Ă la galerie Blondel. En 1981, la cĂ©lèbre actrice mexicaine Maria FelĂx, devenue sa mĂ©cène, le promeut au Mexique, oĂą ses toiles connaissent un immense succès. Le dĂ©cès de son amie en 2002 verra Antoine Tzapoff s’en revenir Ă Paris. Collectionneur d’objets ethnographiques, grand visiteur de musĂ©es de par le vaste monde, lecteur assidu des catalogues d’exposition, le peintre connaĂ®t tout des personnages qu’il reprĂ©sente : la composition des Ă©lĂ©ments de leur parure – pigments, matĂ©riaux, techniques de couture ou de tissage –, le milieu dans lequel ils Ă©voluaient, le contexte historique dans lequel ils s’inscrivaient, leurs rites de passage et rituels de guerre. Chaque portrait, composĂ© de manière fort rigoureuse, fait d’élĂ©ments connus de la tribu amĂ©rindienne concernĂ©e, est une micro-histoire qui, dans sa pose hiĂ©ratique, vise Ă reprĂ©senter le sujet Ă l’apogĂ©e de son identitĂ©. Chasseur yupik, de la mer de BĂ©ring, Ă l’armure tĂ©lescopique pour mieux prendre la fuite, Iroquois porteur de terrifiantes mains rouges imprimĂ©es sur le visage, Indien des Plaines tout emplumĂ© Ă cheval, femme winnebago au bain, coureur tarahumara du Mexique… cela fait maintenant trente ans qu’Antoine Tzapoff fait revivre, pour le plus grand bonheur des amĂ©ricanistes, l’apogĂ©e des peuples amĂ©rindiens. Ă€ travers son Ĺ“uvre, c’est toute la puissance et l’extrĂŞme diversitĂ© des cultures indiennes qui se rĂ©vèlent. Et, selon ses propres termes, ses « peintures constituent donc un hommage Ă cette race vaincue et un regard admiratif sur leur rĂ©sistance ».
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