Du Ladakh au Sikkim, une collecte musicale à  travers l’Himalaya
par Tullio Rizzato & Carine Rochez
Vaste chaîne de montagnes comptant quelques-uns des plus hauts sommets du globe, l’Himalaya est une frontière à la fois géographique, climatique et culturelle. Bordée au nord par les hauts plateaux tibétains et au sud par les plaines de l’Inde, elle est un carrefour de civilisations, où les migrations et les invasions ont engendré un important brassage de populations. De plus, l’isolement géographique des vallées et les difficultés de communication ont accentué l’originalité culturelle de ses habitants. Des dizaines de dialectes sont parlés le long de la chaîne himalayenne, et chaque ethnie possède ses propres coutumes et traditions musicales. Il en résulte une grande diversité, un foisonnement de chants et de mélodies de nature à séduire le voyageur curieux.
Les musiques ethniques traditionnelles ont un rôle important dans la vie quotidienne. Elles sont jouées à l’occasion des fêtes villageoises, pour des événements de la vie sociale et certaines cérémonies religieuses. De nombreux chants sont également interprétés lors des travaux agricoles afin de rythmer le difficile labeur. Le rythme et les percussions sont des éléments fondamentaux de ces musiques.
Au Ladakh, les fêtes sont rythmées par de gros tambours dha-man à la sonorité puissante, pendant que des hautbois surna égrènent des mélodies répétitives. Les Ladakhi, en costume d’apparat, dansent à petits pas mesurés et lents sur cette musique au tempo rapide. Au Népal, c’est sur le rythme du madal, percussion à double peau à hauteur déterminée, que les gens chantent les mélodies populaires. Certains, pour rejoindre leur village à pied, s’accompagnent d’un madal ou d’une petite flûte en roseau, le basuri, pour passer le temps. Dans les régions limitrophes du Tibet, c’est plus souvent le dranyen, un grand luth, qui accompagne le chant. Son jeu, énergique et scandé, tient à la fois la partie rythmique et double la mélodie. Dans ces régions frontalières, l’influence de la culture tibétaine est forte. Le bouddhisme, omniprésent, offre des musiques aux sonorités pour le moins inhabituelles. Dans les monastères, les récitations des textes sont accompagnées de trompes dungchen au son grave et puissant, de hautbois rgyaling à la sonorité nasillarde, du tambour rna joué avec une baguette courbe, de cymbales et de clochettes. Cette musique, sans réelle mélodie, crée des ambiances profondes et hypnotiques où chaque instrument a un rôle et une signification.
Plus au sud, aux confins de l’Inde, la religion hindoue devient prépondérante, la musique religieuse change et se diversifie. On voit apparaître l’harmonium, instrument à clavier introduit en Asie par les missionnaires chrétiens, ainsi que de nombreuses percussions dont les célèbres tablas. Au Népal, les dévots se réunissent quotidiennement sous des abris, les patis, et chantent des prières en s’accompagnant de ces instruments.
Enfin, dans la plupart des régions himalayennes, des musiciens itinérants, poètes et chanteurs, assurent la circulation des informations. Les Gaïnés du Népal chantent en s’accompagnant du sarangi, viole au son aigrelet. Mais avec l’avènement de la radio et de la télévision, leur rôle s’amenuise et ils en viennent à se sédentariser.
À ces genres musicaux s’ajoutent des musiques dites savantes, les raga, venus d’Inde ou le lhamo, l’opéra tibétain, ainsi qu’une kyrielle de musiques pop indiennes et chinoises prisées des jeunes.
La chaîne himalayenne est aussi un monde sonore contrasté, fait du bruissement de la jungle, du claquement des drapeaux à prières dans le vent, de la respiration d’un glacier ou du ressac d’un lac d’altitude.
Tullio Rizzato et Carine Rochez sont nés à Grenoble, dans les Alpes. Parallèlement à la pratique des sports de montagne, ils ont poursuivi des études au Conservatoire de musique de Grenoble, jouant dans des orchestres et des formations de musique de chambre. C’est donc tout naturellement que le premier, devenu ingénieur du son, et la seconde, professeur des écoles, se sont intéressés à l’Himalaya, et tout particulièrement à ses musiques.
D’un premier voyage au Népal, ils rapportent de nombreux extraits musicaux et sonores avec des photos qu’ils mettent en ligne sur un site dédié aux musiques du Népal.
Forts de cette première expérience, ils décident de traverser la chaîne himalayenne en s’attachant plus particulièrement aux musiques et aux sons, dans l’idée de les faire connaître au grand public. Ils partent ainsi pour six mois avec du matériel de prise de son et de prise de vues, d’ouest en est, à travers le Ladakh, le Spiti, l’Himachal Pradesh, le Népal, le Tibet et le Sikkim. Cette démarche de collecte leur permet de rencontrer les habitants, de les comprendre et de donner un sens et un rythme au voyage. Mais c’est aussi l’échange qui les intéresse. Les musiciens voyageurs n’hésitent pas à jouer de la flûte et de la clarinette en retour des musiques qui leur sont offertes, ou à faire écouter leurs enregistrements aux artistes, ravis de s’entendre jouer…
Leur reportage est un témoignage du foisonnement musical des régions himalayennes.
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